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Billet de blog 31 mars 2015

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Romstorie : Assemblée nationale, sous les travées le plagiaire : Valérie Boyer n’est pas un cas isolé

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Madame Valérie Boyer, députée UMP des Bouches du Rhône, sensible aux persécutions que subissent en ce moment les chrétiens d’Orient, a déposé le 11 mars dernier une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide assyrien de 1915. Elle y demande la reconnaissance du génocide assyrien, qui « a eu lieu durant la même période et dans le même contexte que le génocide arménien et des Grecs pontiques »

Une étourderie a donné à son initiative un retentissement inattendu. Comme le soulignent de nombreux tweets et maintenant les articles de presse, la rédaction de sa proposition de loi, aussi généreuse soit-elle, était très largement, trop largement sans doute, inspirée des fiches de Wikipédia.

Si, comme le disait Henri Jeanson, « pour un plagiaire, le pain des autres est du gâteau », à l’heure d’Internet, un plagiaire démasqué, c’est pain bénit pour les twittos.

Valérie Boyer n’est hélas pas la seule à piocher l’antisèche dans Wikipédia. Elle avait néanmoins, comme elle le déclare à la presse, fait vérifier et valider ses sources par Alain Cabras, maître de conférences à Sciences-Po Aix. Un autre député, Christophe Premat, député socialiste des Français établis hors de France (Europe du Nord) aurait été bien inspiré de prendre les mêmes précautions.

Les Français n’avaient pas été insensibles à notre questionnement sur l’absence des Roms et Tsiganes aux commémorations d’Auschwitz le 27 janvier dernier. Or, avec une semaine de retard, quand la messe était dite, le 3 février, le journal officiel publiait une question écrite du député Christophe Premat, adressée au Ministre des Anciens Combattants. (QE 73210) http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-73210QE.htm

C’est déjà là une première maladresse que de ne pas prêter attention au calendrier et demander avec une semaine de retard « si le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps d'Auschwitz pouvait être l'occasion de reconnaître officiellement les massacres systématiques des minorités tsiganes par les forces nazies entre 1933 et 1945 »

Une deuxième maladresse allait très rapidement apparaître dans la rédaction du texte qui, émanant d’un député français, ne faisait aucune allusion aux Tsiganes de France, alors qu’il y en eu malheureusement beaucoup d’assassinés par les nazis.

Le préambule indiquait seulement que : « - Beaucoup de Tsiganes de Pologne, de Belgique, des Pays-Bas, de Hongrie, d'Italie, de Yougoslavie et d'Albanie ont été abattus ou déportés dans les camps d'extermination et exterminés. » Comment honorer la mémoire de ceux qu’on fait disparaître de l’Histoire par omission ? Pourquoi occulter le martyre des Manouches français, et aussi des Tsiganes roumains, des Roms de Crimée, des Sinti d’Allemagne et d’Autriche, exterminés à 90% ?

Cette initiative malheureuse est un vrai cas d’école, un enchaînement de légèretés sur une question grave. Si chacun sait que les Juifs furent les premières victimes, le dictionnaire de la Shoah (Bensoussan, Dreyfus, Husson), comme toutes les sources historiques d’ailleurs, précise que « les Tsiganes composent la deuxième population européenne victime d'une extermination familiale et raciale ».

Or, dans sa question au Ministre des Anciens Combattants, Christophe Premat nous rappelle « - que les Roms furent la troisième minorité parmi les victimes, et que malheureusement, cette réalité n'est pas connue de tous les Européens. »

En dehors de ces débats toujours pénibles d’éventuelles « concurrences mémorielles » nous aimerions connaître les raisons qui relèguent les Tsiganes à la troisième place, et surtout quelle serait cette deuxième minorité européenne victime d'une extermination familiale et raciale par les nazis. Nous n’avons nulle part, dans toutes les sources disponibles, connaissance d’une « minorité européenne » ayant subi plus de pertes que les Tsiganes et moins que les Juifs.

Cette erreur provient d’une transcription erronée du discours de Jerzy Buzek au parlement européen le 2 février 2011 à Bruxelles. Elle figure toujours dans la fiche Wikipédia.

Voilà ce qui arrive quand on recopie à l’arraché des fiches Wikipédia. Voilà ce qui arrive quand sur les 253 mots d’une question parlementaire109 sont recopiés intégralement avec les ponctuations et les guillemets, 20 autres sont un remix de la définition de Porajmos, et 34 encore tirés de la recension des initiatives d’autres députés. http://fr.wikipedia.org/wiki/Porajmos

C’est là le résultat effarant qu’on obtient quand on prend pour argent comptant ce qui figure sur une page d’Internet, qu’on rédige une question au gouvernement où le seul travail vraiment personnel figure en 90 mots, partagés entre l’introduction et les formules de politesses convenues.   C’est ainsi qu’on se retrouve en enfer sur le pavé des bonnes intentions.

Il est sans doute nécessaire de considérer les Tsiganes comme des interlocuteurs, d’entamer avec eux le dialogue et les échanges, de les consulter éventuellement quand on envisage de légiférer à leur sujet, comme on consulte les médecins, les notaires, les paysans, les patrons, de les considérer enfin comme des citoyens français et européens, à part entière.

La photo en haut du texte représente des enfants tsiganes contraints de danser devant des nazis en uniforme.

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