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Billet de blog 1 avril 2022

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L'erreur judiciaire d'Outreau

De façon générale, le scandale lié à une possible erreur judiciaire a toujours été, et en France particulièrement, un très puissant carburant qui alimente le ressenti et les colères populaires vis-à-vis de la Justice. Depuis peut-être l’affaire Calas.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De façon générale, le scandale lié à une possible erreur judiciaire a toujours été, et en France particulièrement, un très puissant carburant qui alimente le ressenti et les colères populaires vis-à-vis de la Justice. Depuis peut-être l’affaire Calas1.

Ressenti et colères sans aucune commune mesure devant l’erreur d’impunité2, l’expression restant d’ailleurs très peu usitée. Erreur d’impunité pourtant également scandaleuse.

La colère devant une erreur dite judiciaire supposée est sans doute l’expression d’une très forte prévention à l’égard des Institutions, du pouvoir pyramidal, de la hiérarchie, et de la Justice elle-même. Comme une sorte de défiance atavique envers les Puissants et tous ceux qui, devant les simples citoyens que nous sommes, représentent le Pouvoir.

Outreau, point final?3

Concernant l’affaire d’Outreau, ce carburant de l’erreur judiciaire s’est tari.

En effet, ceux des accusés qui furent peu à peu, au fur et à mesure qu’avançait l’histoire, métamorphosés en «victimes » d’un système injuste, ont été acquittés pour la plupart donc, comme chacun le répétera, «innocentés». Largement dédommagés, leurs souffrances reconnues. La France entière a pleuré avec eux. Plus d’erreur judiciaire, donc plus de colère: sous la pression populaire, grâce au talent, au dévouement, et à l’opiniâtreté des avocats de la défense, grâce au travail des journalistes honnêtes qui avaient couvert l’affaire… la froide et implacable justice des Hommes avait fini enfin par entendre raison. Bêtise, jeunesse du juge, incompétence d’à peu près tout le monde, acharnement, aveuglement… Chacun, de manière malgré tout peu vraisemblable, s’était trompé.

Les coupables disparus, ou presque. Les accusés ainsi innocentés, il n’y avait plus de victimes non plus, ou si peu. De leur côté, sans coupables réels et clairement identifiables par le public, les enfants victimes s’étaient évaporés à leur tour.

Sans coupables, sans victimes, comment donc s’intéresser encore à l’affaire aujourd’hui?

Car des victimes, pour tout le monde, c’est encore mieux que des coupables. Les victimes restent de très bons clients lacrymogéniques pour les médias, surtout télévisuels. C’est sans doute aussi pour cela que Jonathan Delay-reconnu victime comme onze autres enfants- reste le seul enfant devenu grand encore un peu invité sur les plateaux, une larme versée à l’occasion, du coin de l’oeil, par les uns et les autres. C’est peu, mais ça reste vendeur. Et puis, de toute façon, cela ne renversera pas la table. Elle est solidement arrimée.

Des dégâts pourtant considérables

Mais qu’on ne se méprenne pas. Les dégâts engendrés par la résolution toute particulière de l’affaire restent profonds et durables. La Justice, en tout cas son image, n’en est pas sortie embellie. En partie grâce au labeur des avocats des accusés, dont celui qui, le plus braillard de tous, deviendra -ironie- ministre de cette même justice par lui pourtant sans cesse et sans répit furieusement fustigée à l’époque. La défense des enfants en souffrit également. Les associations qui les soutiennent, constamment décriées. Les rares journalistes qui remettent en question la version officielle de l’affaire, qualifiés de tous les noms d’oiseau, malgré le sérieux de leurs travaux et de leurs recherches. A cet égard, les passions ne semblent en rien retombées. Pourquoi donc?

La démocratie en a elle-même gravement souffert, surtout lorsque chacun aura enfin compris que l’opinion publique, c’est-à-dire les citoyens, a été gravement trompée et mystifiée. Par les médias notamment, et toutes celles et ceux qui écrivirent sur l’affaire. Les mensonges les plus éhontés et grossiers y prospérèrent sans réaction de personne.

Les médias n’étaient pas seuls responsables. En effet, l’affaire avait été politiquement pilotée de façon très habile. Et quand on sait la forte hiérarchisation de l’appareil judiciaire et policier, et que le pouvoir politique est partout, il ne peut en être autrement.

Pilotée ainsi, dans l’urgence du moment, avec toutefois des risques. Risques assumés en n’en pas douter. Que le subterfuge soit un jour découvert. C’était pourtant un moindre mal: au moins, en attendant, la tempête sera passée sans trop de dommages.

Et puis, le citoyen trompé? N’en a-t’il donc, avec le temps, pas encore pris l’habitude?

On disait autrefois: «Le poisson pourrit toujours par la tête.»

Rien n’a changé.

1On s’en souviens peut-être : un des célèbres combats de Voltaire.

2C’est lorsqu’un coupable échappe à la punition.

3Titre d’un des chapitres du livre de Dupond-Moretti et Durand-Souffland Direct du Droit (2017). Sans point d’interrogation, bien entendu.

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