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Billet de blog 1 mai 2015

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Outreau procès Legrand

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

OUTREAU, AFFAIRE DANIEL LEGRAND OU:«TOUT LE MONDE PEUT SE TROMPER».

Monsieur Stéphane Durand-Souffland, journaliste au Figaro, m'a fait préciser que l'article que j'ai laborieusement décortiqué dans mon précédent billet n'était en réalité pas de lui. Je le confirme d'autant plus volontiers que je n'ai pas prétendu le contraire...Il est vrai, toutefois, que j'ai un peu ironisé, persiflé et, forcément, les insinuations, ça énerve...J'en suis désolé.

Comme il n'est cependant pas question de capituler en rase campagne, je vais reprendre calmement en examinant un autre article, cette fois incontestablement signé, estampillé origine contrôlée, traçabilité indiscutable, provenance garantie sur facture: de Monsieur Durand-Souffland himself. Cet article concerne toujours le procès à venir de Daniel Legrand dans la bonne ville de Rennes fin mai 2015.

En voici un court extrait, reproduit à la virgule, paru dans le Figaro et déjà cité par Maître Patrice Reviron, avocat de Jonathan Delay, partie civile (dans Plaidoyer pour un appel à la raison dans l'affaire dite d'Outreau, 18 mai 2014):

«Ce procès donnera l'occasion aux révisionnistes judiciaires (spm) qui, bien qu'ils n'aient pas assisté (spm) aux procès de Saint-Omer et de Paris, sont persuadés que des innocents (spm)sont coupables, de donner de la voix sur le mode exalté qui leur est familier (spm). Quant à Daniel Legrand, dont la vie a été brisée par trois années de détention provisoire injustifiées (spm) et l'opprobre liée à une accusation infâmante (spm), il devra de nouveau (spm) affronter les accusations absurdes (spm) dont il fait l'objet et dont l'inanité (spm) a été spectaculairement mise en lumière au procès de Paris».

(Note: spm, souligné par moi.)

Parce qu'il faut toujours tout expliquer patiemment, rester gentil, poli, honnête et impartial pour ne pas fâcher les gens de bonne foi, voici les réflexions que cet extrait m'a suggéré. C'est parti, ouvrez vos cahiers:

«révisionnistes (judicaires)»:

Dans notre belle langue française, le terme n' a pas toujours été connoté négativement. On a pu parler à une époque de «révisionniste» pour désigner un juriste constitutionnaliste chargé de «réviser» la Constitution.Il a aussi été employé au moment de l'affaire Dreyfuss.

 Il a cependant été utilisé à ma connaissance trois fois de façon dévalorisante:

-Par les communiste orthodoxes, partisans d'une ligne dure, qui reprochaient à certains de leurs «camarades» de prendre des libertés avec la doctrine, de vouloir la «réviser». Dans ma jeunesse, on parlait encore des «révisos», et cela tenait de l'insulte politique.

-Plus récemment, par certains commentateurs pour qualifier ceux qui entendent «réviser» l'Histoire et, notamment, la façon dont s'est déroulé le génocide des Juifs et des Roms d'Europe (là, c'est du lourd, car du «révisionnisme» au «négationnisme»-de l'existence des chambres à gaz nazies-il n'y a qu'un pas...)

-Aujourd'hui, par Monsieur Durand-Souffland, et par Monsieur Eric Dupont-Moretti (mais sans penser à mal, bien entendu...comme ça, en toute innocence du sens véritable et de la portée des mots) pour désigner les personnes qui considèrent que les procès de Saint-Omer et de Paris ne se sont pas déroulés dans des conditions pouvant assurer une bonne, sereine et équitable justice...

«bien qu'ils n'aient pas assisté» (aux procès):

S'il n'est pas prévu en effet aux Assises de «verbatim» exhaustif, de retransciption intégrale des débats, ni d'enregistrement, sauf dans des cas exceptionnels, il demeure, sous la forme «papier» le dossier complet de l'instruction (30 000pages), les différents rapports (rapport de la commission d'enquête parlementaire, rapports de l'IGSJ, de l'IGAS...), tous documents facilement consultables par un journaliste notamment...

L'argument: «Vous n'y étiez pas, vous ne pouvez pas en parler» tient, par ailleurs, difficilement, car les études d'Histoire deviennent dès lors impossibles:«-Je vais vous parler de Waterloo...-Taisez-vous, vous n'y étiez pas!...» Je n'évoque pas les études sur l'Antiquité et la Préhistoire!...Là, il faudrait être super vieux pour pouvoir en causer.

Enfin, le sous-entendu (l'implicite) du propos reste bien:«Croyez- moi sur parole, j'y étais, moi», ou encore:«C'est comme ça puisque je vous le dis.» Pas forcément très convainquant...

«des innocents»: la confusion a été savamment entretenue dans cette affaire entre «innocents» et «acquittés»...Bon, on a l'habitude. Rappel: on peut être coupable et néanmoins acquitté, le plus souvent en cas d'un doute qui doit toujours profiter à l'accusé, mais aussi dans certaines affaires de légitime défense ou d'euthanasie... Mais ce que j'en dis, hein!...

«sur le mode exalté qui leur est familier»:

On sait que Monsieur Durand-Souffland, dans ces affaires cradingues de viols sur mineurs, des tout-petits, voire des bébés, reste d'un calme olympien...Félicitations à lui, car les passions sont mauvaises conseillères, comme chacun sait. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit ici d'une petite amabilité dont le journaliste est devenu coutumier, et qu'il réserve aux parties civiles. Les parties civiles, dans des procès de pédocriminalité, sont le plus souvent des associations de défense de l'enfance maltraitée. Elles ont eu droit aussi, sous la plume frétillante de Monsieur Durand-Souffland au qualificatif de «jusquauboutistes» de la cause enfantine...Au lecteur donc de voir si ces propos journalistiques sont flatteurs (et impartiaux) ou non.

«trois années de détention injustifiées»:

Voir la remarque suivante.

«accusation infâmante/ accusation absurde», «opprobre», «inanité»:

Ahhh!...le poids des mots!... Il ne faut pas perdre de vue, au-delà de l'exhaltation sémantique dont est brutalement victime notre journaliste, que le principal accusateur et le plus crédible sans doute de Daniel Legrand fils dans l'affaire d'Outreau est...Legrand Daniel fils lui-même. C'est en tout cas un accusateur de poids dont les déclarations ont, à juste titre, retenu l'attention du juge Burgaud. Les premiers aveux ont été faits directement au juge dans son bureau par Daniel Legrand le 19/12/01. Ils ont été confirmés par un courrier de Legrand Daniel au juge le 4/01/02 (Daniel est en prison...) Une lettre identique signée de Daniel Legrand parvient à la rédaction de FR3 le même jour (on peut faire plus discret quand on n'a rien d'intéressant à raconter). Legrand Daniel y déclare notamment avoir assisté au meurtre d'une petite fille par Thierry Delay. Les aveux sont confirmés le 9/01/02 par Daniel Legrand dans le bureau du juge. Ils sont réitérés par Legrand Daniel devant l'expert psychologue le docteur Emirzé-qui n'avait absolument rien demandé, comme il se doit pour un expert- le 18/01/02 («aveux spontanés»). Daniel demande pardon, s'excuse de ce qu'il (aurait?) fait, désire soulager sa conscience. Daniel confirmera ses propos lors de confrontations qui suivront...Il n'est pas question de refaire les procès de Saint-Omer et de Paris, mais, à qui veut les examiner, ces courriers et ces propos sont d'une teneur extrèmement troublante...

S'il est vrai que Daniel Legrand s'est par la suite rétracté, après avoir varié dans ses déclarations successives, c'est tout de même lui qui s'est sérieusement mis dans l'embarras à cette époque en racontant n'importe quoi de manière incompréhensible dans un sens comme dans un autre. Ajoutons que Daniel, par ses incohérences et ses revirements, n'a fait que retarder l'instruction, à son niveau en tout cas, et par là-même retardé le renvoi devant la cour d'assises...

«de nouveau»:

«De nouveau» quoi?...Sous-entendu de Monsieur Durand-Souffland (c'est pas bien les insinuations):«acharnement judiciaire inhumain sur un pauvre jeune homme qui n'a rien fait et qui a déjà été jugé»! Rappel: Daniel Legrand n'a pas encore été jugé et il est donc un peu tôt pour affirmer qu'il n'a rien fait...Il sera jugé pour des faits présumés dont il est accusé et qui concernent l'époque où il était encore mineur. Monsieur Durand-Souffland sait très bien qu'on ne peut être jugé trente-six fois pour les mêmes faits. Il faut qu'il s'agisse de faits différents commis à des date différentes, ce qui est bien le cas ici. C'est dur, sans aucun doute pour Daniel Legrand, mais c'est la loi, d'autant plus que les accusations sont d'une extrème gravité. Il n'y a donc pas «de nouveau» qui tienne...La formule est au pire malhonnête (mais je ne me permettrais pas...). Disons qu'elle est au mieux ambiguë, ou alors que la précision manque...de précision!

Il aurait peut-être fallu écrire (mais je reconnais que les phrases sont un peu longues):«On sait que Daniel Legrand fils a été déclaré coupable aux Assises de Saint-Omer en 2004; qu'il a ensuite été acquitté en appel à Paris en 2005. Il comparait maintenant très tardivement devant les assises pour mineurs de Rennes pour des faits d'agressions sexuelles présumés commis quand il était mineur et pour lesquels il n'avait pas encore été jugé.» On pouvait éventuellement ajouter, pour le «fun» journalistique cette petite accroche: «L'affaire d'Outreau n'en finira-t'elle donc jamais?»

Ben ouais...Merci de votre attention, fermez vos cahiers...

Jacques Delivré.

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