LEGRAND PERE ET FILS: «ET SI ON ECRIVAIT UN BOUQUIN, POUR FAIRE COMME LES AUTRES?...» (Fiction).
Préambule
Acquittés d'Outreau, Daniel Legrand père et fils publièrent un livre de témoignage en 2008, avec l'aide de Youki Vattier, journaliste qui a aussi réalisé le reportage sur l'affaire pour l'émission de Christophe Hondelatte Faîtes entrer l'accusé.
Je vous propose ici le verbatim (présumé) de quelques unes des rencontres entre cette réalisatrice et les deux hommes qui ont permis l'écriture de ce livre. J'ai conservé le nom des vrais gens, m'appuyant en cela sur la «jurisprudence» Vincent Garencq, réalisateur du film Présumé Coupable (d'après le livre de l'huissier Alain Marécaux )où les personnages fictifs conservent le nom des personnes réelles. Donc tout cela reste bien une fiction...
Youki Vattier s'appellera ici «la journaliste», Legrand père sera «le père» et donc Legrand fils sera «le fils».
Méthode de travail
La journaliste: -Donc voilà: la maison d'éditions Stock m'a chargé de vous rencontrer pour écrire un livre sur votre affaire. D'autres acquittés ont écrit des bouquins: l'huissier Marécaux, l'abbé Wiel, Karine Duchauchois...Il y a eu aussi un film, des émissions de télévision, des enquêtes, des reportages...La journaliste vedette Florence Aubenas, la célèbre envoyée spécieuse...euh...spéciale un peu partout dans les coins où ça chauffe avait déjà écrit un truc qui avait remporté son petit succès, juste avant l'appel à Paris...On peut dire que ce livre-là vous avait pas mal aidés, surtout toi, Daniel (fils).
Le père: -Ouais, tout l'monde qui était contre nous au début était avec nous après...
La journaliste: -On va procéder de la manière suivante: j'enregistre nos conversations (il faudra qu'on se rencontre plusieurs fois). Nous parlerons librement tous les trois, même si c'est pas tout-à-fait dans l'ordre, et, après, je reprendrai tout ce qui peut être intéressant...Je vais consulter une partie du dossier d'instruction et les procès verbaux des auditions, notamment les tiennes, Daniel (fils), parce que c'est quand même confus tout ça par moments... Il me faudra des copies aussi de vos courriers de prison, que je voie ce qu'on peut en tirer...Ok? Vous êtes partants?
Le père: -Ouais, pourquoi pas?...
Le fils: -Mais de toute façon, on a été innocenté...A quoi ça sert d'écrire en plus un livre?...
La journaliste: - Comme les autres l'ont fait, c'est bien d'en rajouter: on doit toujours enfoncer le clou. Et puis, en surfant sur la vague, ça va se vendre. Au final, ça pourrait vous rapporter du fric...qui s'ajouterait comme ça aux indemnités que vous avez touchées...Un bon petit matelas à vous deux, déjà...
Le père: -J'ai pu acheter une maison. C'est un investissement pour plus tard. Et puis une voiture neuve...La mienne était vraiment vieille!
La journaliste: -Très bien! Donc, on y va?
Le père: -Ouais. Qu'est-ce que t'en penses, gamin?
Le fils: -J'suis partant aussi...ça coûte rien.
La valeur travail
La journaliste: -Alors vous dites, Monsieur Legrand, que vous travaillez tout le temps. Ce qui expliquerait notamment qu'on ne pouvait pas vous accuser de tout ce dont on vous accusait: manque de temps, de loisirs,...c'est bien ça?...
Le père: -Ben oui, j'travaille tout le temps. J'fais même des heures sup!...
La journaliste: -Donc vous êtes un employé modèle, toujours disponible pour le patron...Vous n'êtes pas syndiqué, vous ne faites pas de politique, pas de grèves...
Le père: -Ben non, j'ai pas l'temps de tout ça...
La journaliste: -Vous votez?...
Le père: -Non, j'ai pas le temps de m'occuper de tout ça.
La journaliste: -Très bien. Pourtant, vous arrivez presque toujours en retard au travail le matin...Pour un employé modèle!... Vous avez une explication?...Ça peut servir pour le livre.
Le père: -Ben non, c'est un défaut que j'ai...
Le petit bateau
La journaliste: -Alors comme ça, avant toute cette histoire, vous aviez acheté un petit bateau?...
Le père: -Oui, avec un copain à moi...Pour aller à la pêche en mer.
La journaliste: -Vous trouviez le temps?
Le père: -C'était la nuit. J'mettais des filets et je les relevais.
La journaliste: -C'est pas fatigant, après toutes ces journées à travailler?...Un boulot pénible quand même, très physique en tout cas...
Le père: -Moi c'était pour la détente de la tête.
La journaliste: -Bien. Et vous rameniez quoi?
Le père: -Un peu de tout...
La journaliste: -Dites-donc, j'y pense. Avec un petit bateau comme ça, la nuit, on peut faire des tas de choses. Se débarrasser d'un corps, par exemple...
Le père: -...?
La journaliste: -La bobine que vous faites!? Mais non, vous bilez pas. C'est pour détendre l'atmosphère que je dis ça!...
La construction des personnages
(Après plusieurs entretiens).
La journaliste: -Je commence à voir les choses se dessiner: j'imagine un narrateur qui racontera les événements assaisonnés à notre sauce commune (le bouquin s'appellera d'ailleurs Histoire Commune). Puis des chapitres où je parlerai à votre place (c'est plus prudent), en utilisant ce que je peux tirer des enregistrements. Il y aura aussi les lettres de prison. On va pas faire dans l'original: il faudra construire petit à petit des portraits de vous deux qui collent à l'image donnée dans les médias autour des deux procès. Pour vous, le père, un employé modèle, bon travailleur qui ne fait pas d'excès, pas de politique...Qui travaille tout le temps et ramène sa paye pour nourrir sa petite famille unie, aimante et tout et tout...La famille! Insister là-dessus. Et puis on doit exploiter au maximum le côté «ouvrier», le gars simple du peuple laborieux qui se lève tôt (enfin, pas toujours), seul face à la méchante machine judiciaire qui brise les innocents qu'on jamais rien fait de mal et qui comprennent pas. Du Kafka!...«C'est pas parce qu'on est des ouvriers, qu'on n'a pas fait d'études, etc. qu'on n'a pas droit à la justice, nous aussi, blabla...»,un truc dans le genre. Le filon est bon, complètement démago, à utiliser jusqu'au trognon sans modération...Des tas de gens se retrouveront dans votre histoire...Prolo, mais propre sur lui, et honnête!«Les ouvriers ont leur fierté». Il faut jouer à fond là-dessus!
Donc, du côté du paternel, ça serait: ouvrier bourru, taiseux, un peu teigneux...Nous on dira: «pudique» et «déterminé»...
Pour toi, le fils, bon, qu'est pas une flèche, il faut le dire( t'es pas vexé, Daniel?...Non, y s'en fout...), on dira:«Marqué à vie par cette terrible tragédie!» Le côté Zola de votre histoire...
Le fils: -Ah! J'le connais!C'est Gianfranco Zola, attaquant de l'équipe d'Italie, et maintenant entraîneur de …
La journaliste: -Non, c'est pas le même...Et puis je dis Zola, mais en moins négatif (c'est tous des pochards, chez lui...) Plutôt du Hugo, où les pauvres sont quand même plus...
Le fils: -Hugo Lloris! Ouais, il a joué gardien de but à Tottenham, et après capitaine...
La journaliste: -On laisse tomber, peu importe...Bref. Pour toi le fiston, on exploite à fond le côté jeune, sportif, qui se prend pas la tête, footballeur qui rêve de devenir professionnel: l'image d'une jeunesse saine, pleine de vie et d'avenir, qui veut s'en sortir socialement par l'effort et le sport. Comme t'es pas un intellectuel (c'est le moins qu'on puisse dire...), que t'as pas de boulot, il faut utiliser le filon «sport». Tout le monde aime ça, le sport. Tu piges?
Le fils: -Ben ouais quoi...
La journaliste: -C'est pour ça qu'on s'attardera pas trop sur le chéquier volé et la drogue, hein? Mais comme on peut pas éviter d'en toucher un mot, on dira que t'as fait des p'tites bêtises de jeunesse et que c'est le procès qui t'a déprimé. Que tu es «tombé» dans la dépendance...Ok?
Le fils: -Après l'acquittement, j'suis tombé dans la dépression, j'étais pas bien dans ma tête. J'avais des hallucinations.
La journaliste: -De quoi?...
Le fils: -Ben j'étais pas bien ...J'ai été cassé par cette affaire et j'ai du mal à m'reconstruire...J'suis instable, quoi.
La journaliste: -Et le papa est inquiet pour son fiston!...Mais c'est bon ça, c'est très bien!..
Le père: -Si le gamin va pas, nous on n'aime pas qu'il soit pas bien dans sa tête...
La journaliste: -Et la maman aussi est inquiète aussi, n'est-ce pas? Mais c'est bon ça, c'est super!...Au fait, tu consommais bien de la drogue avant, non?
Le fils: -Ben j'ai commencé le shit vers 15 ans...Après j'ai fait des sniff d'héro..
La journaliste: -Ah! Quand même! J'en parlerai pas dans le livre, mais où tu trouvais l'argent? L'héroïne, c'est pas donné...
Le fils: -J'me débrouillais...
La journaliste: - Ok...Alors il y a aussi le côté nature ici, avec la proximité de la mer, tout ça...Sportif, plus attiré par le grand large, l'odeur enivrante de l'iode, les embruns,...Ça le fait, non? Tu aimes la mer, Daniel?
Le fils: -Des fois, j'faisais des marées de moules. J'allais après les vendre. Ça faisait un peu de sous, vu que j'travaille pas...
La journaliste: -Et ça te permettait de payer l'héroïne, les moules? Ahahah!...Non, t'inquiètes, je rigole!...
En tout cas, pour contrebalancer vos deux personnages positifs, il faut un juge pas piqué des vers. On va s'en remettre une bonne louche sur la tête de Burgaud, y a plus de risques maintenant. Insister encore une fois sur le côté jeune, incompétent, froid, cassant, comme ont fait tous les autres dans leurs bouquins...On peut y aller, la place a été dégagée...On peut même le traiter d'«abruti» et de «méchant». Mais ce qui serait bien, c'est que toi, Daniel, au début, comme on t'a toujours montré gentil, timide et naïf, tu lui faisais confiance, au juge...Et après, tu vois, tu es super déçu...J'ai pensé à une formule, pour toi qui aimes le foot: «L'arbitre était un tricheur»...Pas mal trouvé, hein?...Tu m'écoutes, Daniel?...Dis-donc, la concentration et toi, ça fait deux!...
(A suivre, très prochainement)...