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Billet de blog 2 janvier 2024

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DEPARDIEU: LA PART DE DIEU, LA PART DU DIABLE.

Tribunes, contre-tribunes. Colères, dégoût, regrets, désistements, incompréhensions . Si l’initiateur de la tribune du Figaro avait été « de gôche » aurait-on moins regretté de s’engager aussi inconsidérément?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Légèreté, irresponsabilité, inconséquence de plusieurs signataires de la fameuse tribune: le jeu de massacre. Ou, plus exactement : le fiasco. Mais légèreté (coupable) que les anonymes que nous sommes ne peuvent en rien se permettre, sinon à devoir rapidement rendre des comptes. Une fois de plus, en République, certains sont non seulement maintenus à bout de bras au dessus des lois communes, mais n’ont aucun compte à rendre.

Bref, et comme souvent en la matière, beaucoup de bruits, de tumultes, de buzz. Et comme pour tout le reste, le vent l’emportera bien. On verra ce qu’il en restera.

Prenons cependant le problème Depardieu (car il y en a bien un) par un autre bout : où, quand, avec qui le comédien s’est-il correctement comporté dans le cadre de ses activités filmiques?

Que s’est-il passé par exemple lors du tournage des deux films que le comédien fit avec Alain Resnais, Mon Oncle d’Amérique et I want to go home ?

Que s’est-il passé lorsque Depardieu est parti tourner plusieurs fois aux Etats-Unis, par exemple avec Ridley Scott pour Christophe Collomb ? Avec Peter Weir pour Green Card ? Avec Randall Wallace pour L’Homme au Masque de Fer ? Pas grand-chose sans doute.

De même que Gérard, d’après ce que l’on dit , n’a jamais eu un mot de trop ni un geste de trop avec des comédiennes établies, comme Catherine Deneuve. Qu’il vécut dix ans avec Carole Bouquet.

Qu’est-ce à dire ? Que Depardieu, l’impulsif hyper émotif sans filtre et brut de fonderie, et malgré son « entrain » légendaire, calculerait quand même un peu ce qui peut se faire ou ne pas se faire, et serait capable de maîtriser ses pulsions pourtant irrépressibles quand cela s’avère nécessaire ? Curieux, mais peut-être bien que oui.

Et puis après tout, il y a bien d’autres choses qui ne lui sont que très rarement reprochées : la fraude fiscale (exil en Belgique), les cadeaux somptueux reçus des mains de dictateurs infréquentables : le Président Kadyrov (Tchétchénie), le Président Karimov (Ouzbékistan) . Des régimes pas vraiment connus pour leur respect de Droits démocratiques. Notre Depardieu, par ailleurs richissime châtelain vigneron, multipropriétaire partout sur la planète, reçoit des mains du Président Kadyrov, qu’il soutient publiquement, un appartement de cinq pièces à Grozny en 2013. Depardieu, ami du milliardaire algérien Rafik Khalifa. Le même Khalifa qui sera condamné à la prison à vie par la justice de son pays pour détournement de fonds et faux en écriture. Réfugié à Londres, il sera extradé et reste actuellement en prison. Il se dit aussi que Khalifa, en 2004, rémunéra grassement Catherine Deneuve et Gérard Depardieu (600 000 euros chacun) pour assister publiquement à un match de football de la sélection algérienne contre l’Olympic de Marseille.

Le Président de la République russe de Mordovie lui offre, lui aussi, un appartement à Saransk, la capitale, et lui propose même- mais là nous rentrons au royaume d’Ubu- le poste vacant de Ministre de la Culture. En tout cas, il est domicilié là-bas, dans cette jeune République connue pour ses anciens goulags, rue de la Démocratie (cela ne peut s’inventer : après Ubu, c’est Orwell !). Il est en tout cas également nommé, en 2019, ambassadeur du tourisme pour l’Ouzbékistan.

Enfin, last but not  least, qu’allait-t-il donc fabriquer, outre ses facéties coutumières mais un peu lassantes, en Corée du Nord, dictature qui lui octroya un visa, pour lui et l’équipe du film ?

Le citoyen de Dubaï que Depardieu est devenu, ami intime aussi de Vladimir Poutine qui, par oukaze (on croyait le mot oublié), lui offrira la citoyenneté russe. Tout cela ne dérange pas Depardieu. Et cela, dans la Patrie des Droits de l’Homme, n’émeut pas grand monde. C’est Gérard !

Ainsi, celui qui se plaît à réciter des passages des Confessions de Saint-Augustin copine avec des dictateurs. Et alors ? On nous dit que c’est le talent qui autorise tout ça. Mais surtout chez Gérard, outre la mansuétude dont il bénéficie pour tout ce qu’il entreprend (plus ou moins bien), une fascination personnelle évidente pour la démesure falstaffienne, au risque d’en oublier la plus élémentaire démocratie.

Ne s’agit-il pas dès lors autour de lui d’un système général d’impunité : le grand enfant mal élevé aurait depuis longtemps tous les droits ?

Gérard, tu sais pourtant bien qu’il faut beaucoup de fragilités pour s’imaginer tout-puissant.

Sans doute faudra-t-il bien payer un jour notre complaisance collective à son égard. Au prix peut-être du fameux « moralisme » dont on nous rebat les oreilles depuis fort longtemps pour en faire un pauvre argument, en passant par ce triste Matzneff, ce malheureux Polanski et tous les autres. « Moralisme » ? C’est à voir. Car se bien comporter avec chacun, et particulièrement avec les femmes lorsqu’on est un homme, n’a pas grand chose à voir avec le moralisme, mais plus sûrement avec le respect, l’élégance, la courtoisie, le savoir-vivre. Le respect qu’un homme digne de ce nom doit à sa mère, doit à sa femme, doit à sa fille. Et ce n’est guère nouveau. Et ce n’est pas réservé qu’à la trop « prude » Amérique pudibonde, etc.

C’est dommage Gérard, on aurait pourtant bien aimé pouvoir t’aimer.

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