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Billet de blog 2 octobre 2017

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CHRISTINE ANGOT DANS SES(BASSES)OEUVRES.

Dans l'émission de Laurent Ruquier On n'est pas couché de samedi dernier, L'écrivain et chroniqueuse Christine Angot s'en est prise à l'invitée, Sandrine Rousseau.

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CHRISTINE ANGOT DANS SES (BASSES) OEUVRES.

Samedi 29 septembre, dans l'émission télévisée de Laurent Ruquier On n'est pas couché (ONPC), la toute nouvelle chroniqueuse Christine Angot s'en prenait violemment à Sandrine Rousseau, tout juste démissionnaire de ses fonctions de cadre à Europe Ecologie Les Verts, et venue présenter son livre de témoignage.

«Je ne peux pas entendre des trucs pareils!»

Ce ne fut pas le moindre paradoxe de cette émission que de voir une Christine Angot, bombardée maîtresse sévère de la parole à dire et, surtout, à ne pas dire, s'en prendre violemment à l'invitée dont l'ouvrage s'intitule Parler. Invitée courageuse, initiatrice d'un combat qu'elle voudrait collectif, et qui rencontre, une fois de plus, le premier et considérable obstacle de toutes les victimes de traumatismes: parler, en trouver la force; être écoutée, voire entendue; au mieux, être comprise...Christine Angot se serait-elle comporté de la même façon avec une victime d'attentat terroriste?

En occupant ainsi le rôle du censeur, notre écrivaine s'est-elle rendue clairement compte qu'elle retournait ainsi, presque sadiquement, le couteau dans la plaie vive ? «C'est un bla-bla! Mais arrêtez !», envoie-t'elle à Sandrine Rousseau. Revivant du coup une scène maintes fois vécue auparavant, Sandrine Rousseau : «Mais que faut-il faire, que faut-il dire?». Réponse péremptoire d'Angot, professionnelle du sujet : «On se débrouille!».

Malheureusement, et, justement, on ne se «débrouille» pas, ou fort mal, et c'est bien le problème, sauf à considérer que l'on peut bâtir, avec profit, une carrière artistique sur son traumatisme.

Pendant ce temps, Laurent Ruquier, planqué derrière le livre Parler, ne dit mot. Et tout le monde, sur le plateau, en fait, courageusement, autant: après tout, ce n'est sans doute qu'un «crêpage de chignon», et il est plus prudent de ne pas s'en mêler.

Victimes deux fois.

Que n'entendent les victimes de ce type d'agressions sexuelles quand il leur vient l'idée folle de parler ! Soit elles parlent trop tard, longtemps après les faits. Mais quand les victimes sont des enfants, ils parlent trop tôt, et on ne les croit pas. Si les victimes adultes parlent dans l'instant, c'est qu'elles recherchent évidemment la publicité et le scandale à bon marché: perdantes à tous les coups. Et donc, potentiellement victimes une seconde fois lorsqu'elles s'expriment au grand jour et engagent des procédures judiciaires longues, coûteuses, décevantes, douloureuses et, parfois, destructrices .

Constamment livrées au soupçon, sinon à la vindicte, on les regarde du coin de l’œil en disant: «Hum, hum, c'est quand même bizarre, tout ça....». Mais si, comme par extraordinaire, l'agresseur est une personnalité ou un notable, cela devient de toute évidence, la lâche revanche des petits et des faibles.

«On ne pose pas la question des agressions sexuelles dans un parti politique».

L'assertion d'Angot est digne d'intérêt.

Agresseurs et victimes ne peuvent jamais, dans ce type d'affaires, être mis dos-à-dos. Ils ne sont pas sur le même plan, car l'agresseur choisit, tandis que sa victime ne choisit pas. L'agresseur s'installe dans un rapport de pouvoir et de domination, soit par sa force musculaire, soit par sa force symbolique : il lui suffit de trouver plus faible que lui. C'est donc ce pouvoir qui l'autorise (et lui seul) à commettre son acte délictueux. La question est donc non seulement psychologique (l'emprise), mais aussi politique, puisqu'il s'agit de domination du fort sur plus faible que lui. Que ce soit au sein d'une famille, d'un groupe, d'un parti politique, d'un syndicat, d'une entreprise. Bref, partout où s'épanouit la hiérarchie (et cela ne manque pas).

Mais si l'on écoute bien, Christine Angot a l'air de vouloir dire : «En cas de viol ou d'agression sexuelle, on est toujours seul(e)...C'est comme ça, et il faut l'accepter». Eh bien, justement, non. Et c'était bien l'objectif avoué de Sandrine Rousseau: se battre ensemble, et, pour ce faire, dénoncer publiquement. La réplique d'Angot est donc symptomatiquement «petite bourgeoise» : le combat collectif, elle n'y a jamais cru. Chacun ses problèmes.

C'est pourtant ce combat collectif qui, dans la réalité, permet, éventuellement, de l'emporter. Quant à la fine remarque qu'il n'y a aucun rapport entre politique et agressions sexuelles, encore une fois, Angot a tout faux, a fortiori quand ce type de délit ou de crime se déroule au sein même d'un parti politique, venant, qui plus est, d'un homme qui possède du pouvoir et en est un des acteurs. Autre façon de dire que viols, harcèlements sexuels et agressions du même genre, sont des sujets politiques, et non seulement sociétaux ou secondaires.

Un rapport quelque peu pervers.

Il y a sans doute de la perversité, à vouloir volontairement transformer en spectacle la douleur d'une femme qui a souffert et continue à souffrir bien visiblement sous l’œil morne de la caméra. Voilà donc qui fait de nous, téléspectateurs imprudents, et peut-être à notre corps défendant, des voyeurs.

Et tandis que la sortie tonitruante et un tantinet régressive de Christine Angot, partie remâcher sa colère surjouée dans sa «loge», est censurée au montage (dommage: tout le monde l'a su), les larmes de Sandrine Rousseau sont complaisamment exhibées, car le spectacle est fort touchant. Tout est bon pour faire le buzz (et c'est ce qui arriva, comme prévu). Banal business, somme toute. Pauvre télévision française !

De deux choses l'une: ou il fallait tout garder (par honnêteté); ou il fallait tout ôter (par délicatesse). Mots inconnus dans le dictionnaire de l'émission: aucune de ces deux options n'a été retenue.

En 1999, Christine Angot déclarait dans le journal Libération : «En littérature, il n'y a ni morale, ni responsabilité»( Robert Brasillach appréciera)...Que nous sommes loin de la conviction du cinéaste Claude Lanzmann : «Il n'y a pas d'esthétique sans éthique». Et cette même Christine Angot, spécialiste de l' «autofiction», où le Je qui s'exprime dans ses œuvres peut être tout à la fois celui du narrateur, de l'auteur, ou du personnage. Spécialiste donc de l'embrouille énonciative, qu'on peut considérer comme un tant soit peu malhonnête, car le lecteur est, volens nolens, dans ce jeu fiction/réalité, constamment manipulé.

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