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Billet de blog 3 mars 2025

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Affaire Bétharram et autres

Bétharram et rôle du Conseil général, là-bas et ailleurs.

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Affaire Bétharram et autres: rôle du Conseil départemental.

«L’Espérance a deux belles filles: la colère et le courage. La colère devant l’état des choses. La colère pour les changer.»

Saint Augustin.

Bétharram et les médias

On nous raconte donc aujourd’hui que l’affaire Bétharram a été montée à la fois par des médias énervés comme Médiapart, et des députés tout aussi énervés comme ceux de l’opposition. Notamment de la France Insoumise. Une instrumentalisation dégoûtante autour de malheureux enfants violentés et violés. De sordides manigances bassement politiciennes.

Certes, les médias peuvent entrer dans des jeux politiques. Mais la pression principale est surtout de se faire valoir, d’être aux avant-postes de l’information; se faire connaître, remarquer; pour vendre. Le capitalisme produit ses propres contradictions. Les médias ainsi soumis au marché auront tendance à aller dans le sens du vent dominant, ce qui ne les empêche pas de soulever des lièvres de temps à autre. Au mieux, faire le buzz, occuper l’espace informationnel, et être repris et cités par tout le monde, comme c’est le cas en ce moment pour Médiapart et l’affaire Bayrou-Bétharram. Le monde politique, s’il est attaqué, est alors à la traîne, voire dépassé par les évènements. Pour se défendre, il doit impérativement communiquer à son tour. Trouver des éléments de langage, un autre récit crédible, etc. Et passer dans les médias!…

Certes, les médias peuvent faire correctement leur travail. Ce fut le cas, par exemple, lors d’une autre célèbre affaire de pédocriminalité, voire de réseau. A cet égard, le cas du chroniqueur judiciaire du Figaro, Stéphane Durand-Soufflant, est symptomatique. Il écrivait au début de l’affaire d’Outreau (3 mai 2004) : «Vomir. Ou, de rage, hurler. Ce sont des viols présumés commis par des adultes sur de très jeunes enfants. Mieux vaut ne pas retranscrire ici les phrases de l’ordonnance de renvoi. Pour contenir la nausée. Pour ne pas aviver la fureur. Etc.» Pourtant, devenu proche et ami de l’avocat de la défense Eric Dupond-Moretti, il tournera rapidement casaque: plus rien n’était vrai.

Se passera-t-il la même chose avec Bétharram-Bayrou? Nul ne le sait. Peut-être ne parlerons-nous plus de tout ça dans quelques mois. Par exemple, si Bayrou démissionnait?

La création d’une Commission d’Enquête Parlementaire a déjà été décidée. Elle se réunira en grande pompe, discutera solennellement, entendra des témoins et blabla. Peut-être les télés viendront-elles faire de belles images émouvantes. Et tout ça évidemment pour faire mine d’examiner les choses avec attention et sérieux… Que se passera-t-il? Peut-être notre Justice «indépendante» prendra-t-elle quelques décisions pour calmer son petit monde?, etc. Pour que cela n’arrive plus jamais, ces choses terribles, ne pas oublier victimes, petits enfants, que les méthodes éducatives de l’époque étaient un peu strictes, que c’est bel et bien fini tout ça, que le viol est devenu un crime depuis la fin des années 70; que l’on a pris consciences des dommages que cela causait, etc. etc.

Que du très connu, du très éprouvé, du très prévisible:«Quand on veut enterrer une décision, on crée une commission», dixit Georges Clémenceau.

Mais les médias peuvent pourtant être judicieusement utilisés dans de bons combats. L’exemple du journal L’Aurore avec Zola reste présent dans les mémoires. Même si les médias ne sont pas tous militants, ils doivent suivre un tant soit peu les humeurs de l’opinion, ses colères par exemple. Certes, l’opinion, ils la fabriquent aussi. Mais les réseaux dits sociaux sont devenus le «diable dans la machine». Les médias traditionnels ne peuvent plus en faire abstraction.

Concernant l’affaire Bétharram, une enquête est déjà menée en 1996 suite à une nouvelle affaire de violences dans l’établissement. La chose est donc déjà un peu médiatisée. Un contrôle de pure routine de l’établissement sous contrat est décidé par l’Inspection d’Académie. Inspection rapidement menée qui n’aboutira à rien de concluant. Le rapport précise qu’il s’agit d’abord de «veiller à la qualité de l’enseignement pédagogique, et s’arrête là»! Pour le reste, violences, agressions sexuelles, viols? Rideau!

En réalité,«nombreux sont les Béarnais qui ressentent ces attaques avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice.» Voilà ce que déclare Bayrou à l’époque, qui s’est quand même déplacé là-bas. Mais «douleur» et «injustice» par rapport à quoi exactement? Par rapport aux enfants battus et violés? Non: par rapport à des dénonciations saugrenues nuisant à la bonne image de l’établissement catholique.

Comment comprendre la résurgence de cette affaire?

L’affaire, qui débute donc dans les années 1996, était amenée à devenir violemment politique en raison de l’existence aujourd’hui d’un Premier Ministre qui exerça de nombreuses et importantes responsabilités dans la région, dont la présidence du Conseil Général, lui-même responsable de la protection de l’enfance dans le département.

Que l’opposition s’empare de la chose , cela semble bien normal en démocratie. Aurait-elle dû rester muette? On indifférente?

On aurait aimé cependant que tous les partis politiques confondus se précipitent sur ce sujet. Puisque tous nous répètent que la protection de l’enfance est un sujet prioritaire, un objectif de tous les instants. Est-ce de la tartufferie? L’objectif de tous les instants ne serait-il pas plutôt celui de se maintenir, quoi qu’il en coûte? N’est-ce pas ce que, très exactement, Bayrou est en train de montrer?

Ce fut donc le député LFI Paul Vannier qui posa le premier la question à Bayrou. C’était à l’Assemblée Nationale en février 2025. Et c’est là que le Premier Ministre sortit devant la représentation nationale son premier mensonge. Habituel dirons-nous en politique. Mais celui-là manquait de vraisemblance et la suite des évènements le prouva.

Quoi qu’il en soit, la question posée à Bayrou devait l’être. Peu importe au final par qui. Elle aurait pu être posée par un député du PS, par exemple. Il eût été pittoresque qu’elle fût posée par Jack Lang, spécialiste de ces questions. Malheureusement, le sémillant Jack n’était plus député, appelé à d’autres prestigieuse, et fort bien rémunérées, fonctions.

Des responsables politiques responsables de quoi?

Jack Lang n’était plus député, donc. Pourtant, il le fut dans un autre coin que le Béarn. Dans le Nord Pas-de-Calais, de 2002 à 2012. En même temps que Vice-Président du Conseil Régional de 2004 à 2010. Parachuté là-bas pour la députation. Sûr et certain d’être élu sur une terre socialiste. Dominique Dupilet, membre éminent du PS dans le secteur, lui offrait d’ailleurs son fauteuil encore tout chaud. Mais Dominique Dupilet, resté Président du Conseil Général. Comme Bayrou dans son coin. Et donc, comme Bayrou, responsable de la protection de l’enfance. Et dans un endroit qui fut marqué dans les années 2002 par une autre affaire que l’on dit heureusement finie: l’affaire d’Outreau. Outreau et Boulogne-sur-Mer sont en effet à l’époque de l’affaire et du procès de Saint-Omer dans la circonscription à la fois du député Jack Lang (la 6e) et dans le département du Conseiller départemental Dupilet (Nord). Décidément, le monde est petit. Au moment donc de la sinistre affaire, Jack Lang est député du coin. Mais c’est d’abord Dominique Dupilet qui fut incapable de fournir une protection juridique sérieuse et conséquente aux enfants martyrs dont il avait pourtant la tutelle. On s’en souvient en effet: deux avocats pour les dizaines d’enfants, contre dix-neuf, dont des «ténors» comme Dupond-Moretti, pour défendre les futurs «innocents». Comme on le sait, Dupond-Moretti accepta par la suite d’être Ministre, d’aller à la gamelle, pour se payer le luxe aujourd’hui de cracher dans la soupe : EDM n’aime rien tant que de se faire applaudir et admirer. C’est sa petite faiblesse. Mais EDM, avocat de la défense, s’était quand même fort mal comporté, au vu et au su de chacun, avec les enfants martyrisés et traumatisés d’Outreau, souvent très jeunes, en les interrogeant, lors du procès de Saint-Omer durant des heures et des heures. Le traumatisme de jeunes enfants compte guère devant la renommée personnelle et le possible retentissement de la victoire finale dans un tel procès jugé «historique». La Défenseure de enfants de l’époque, Claire Brisset s’en alarma publiquement. EDM qui, plus tard Ministre de la Justice, finira aussi par avoir la peau du juge Edouard Durand, Président de la CIIVISE. Ce dernier avait sans doute trop bien fait son travail, pour trouver notamment: en France, 160 000 enfants violés par an. Un coût psychologique, humain, social, économique considérable.

Sur l’affaire d’Outreau, Jack Lang, pourtant prolixe sur bien des sujets, ne dira pas grand-chose, sinon s’en prendre aux propos d’un magistrat, Président de la chambre de l’instruction au moment de l’affaire. En effet, lors de l’audience disciplinaire du juge d’instruction Fabrice Burgaud (2009), ce magistrat, lui-même résidant dans le Nord, avait évoqué des «soirées bières» où le gagnant avait le droit de violer un enfant. La presse parla même du «dérapage» d’un magistrat. Deux députés du Nord déclarèrent qu’ils étaient révoltés par de telles propos: «Les propos qu’il a tenus au sujet des gens de notre région sont totalement inacceptables.» Des excuses publiques furent exigées. Jack Lang considéra que ces allégations, «paroles indignes et blessantes» confinaient au «racisme». Tandis que Marine Le Pen de son côté dénonçait une insulte aux «nordistes». Pourtant les propos du magistrat en question avaient été retirés de leur contexte, et ces choses en apparence invraisemblables s’appuyaient bien entendu sur des affaires connues et documentées. Malheureusement, il disait donc vrai. Mais, peu importait. La question était ailleurs, plus ou moins habilement déplacée: les «gens du Nord» étaient, pour leurs dignes représentants, aussi insultés que les gens du Béarn.«Les Béarnais ressentent ces attaques avec un sentiment douloureux», disait plus haut Bayrou. Plus choqués de ça donc, tous ces «responsables», que du viol d’enfants. Qu’est-ce que ça veut dire, «botter en touche?

Par la suite, Dupilet s’était pourtant lui-même agacé des propos de Jack Lang. Sur tout autre chose, il est vrai. Agacé des propos louangeurs de Jack Lang sur Nicolas Sarkozy (Jack Lang, qui s’ennuie lorsqu’il ne fait rien, espérait-il quelque chose de lui?). Il ne lui en tint pourtant pas rigueur plus que ça. Jack Lang est en effet, toujours pour Dominique Dupilet, «incapable de dire du mal de qui que ce soit». Incapable de dire du mal, sauf des gens qui évoquent les affaires dérangeantes.

Bref, et comme Bayrou, Jack Lang et les autres«responsables» de tas et de tas de trucs mais au final de pas grand’chose, sinon de leur propre image et de leurs intérêts propres, Dominique Dupilet n’était-il sans doute au courant de rien de ce qui se passait dans sa région et son département? La cause sacrée et prioritaire de la défense des enfants martyrisés et violés? Et quelle que soit la région? Bof...Tant que cela ne fait pas la Une…

Qu’on se rassure, toutefois

Mais rassurez-vous, les gens! Des pédocriminels qui agissent en toute impunité, il n’y en a pas que dans le Nord et le Béarn… Il n’y a pas que des soirées bières-moules-frites, avec viols d’enfants. Il y a aussi des soirées cassoulet-Minervois, des soirées galettes sarrasin-petit vin blanc du coin, des soirées choucroute garnie-Riesling, etc. (J’en oublie).

Il y en a donc heureusement aussi ailleurs, dans toutes les autres régions, dans tous les milieux… Olivier Duhamel n’a quand même pas le même pedigree que les prolos du Nord...Ouf! Bayrou peut se rassurer lui-aussi: il n’y pas que des curés!

Il n’empêche que Bayrou en est tout chamboulé, de ces sales histoires pourries. Il ne sait plus ce qu’il dit ni ce qu’il fait. Il a la tête farcie de ces sales machins, lui, arrivé (presque) au sommet de ses ambitions politiques. Quelle déveine! Et que diable, beaucoup de temps perdu avec ces fariboles. Il y a pourtant d’autres sujets qui intéressent les Français et bouffent leur quotidien! L’immigration, par exemple. Il pourrait même peut-être y avoir des pédocriminels parmi les immigrés! Imaginez!

Tout récemment, notre ex-Leader Maximo, François Hollande, sortit de son habituelle réserve et prudence. Devant de tels innommables crimes sur enfants, il prononça, comme à son habitude, des paroles fortes et définitives: «François Bayrou aurait dû être plus clair dans ses premières déclarations.» (C’est un spécialiste qui s’exprime).« On aurait dû voir. Et beaucoup auraient dû parler.» (De l’intérêt du conditionnel dans la conjugaison française). «Il faut demander pardon, quoi qu’il arrive.» («Pardonnez-nous nos offenses comme à ceux qui nous ont offensés. Amen»).«Je porte un regard attristé.» Wahh ! Violent et définitif! Pauvre François! (lequel des deux est le plus triste, au juste? Terrible pour eux!).«J’espère que la Commission d’enquête qui va être installée à l’Assemblée Nationale permettra de savoir exactement ce qui s’est produit.», poursuit François Hollande, décidément en grande forme. En effet, on croise les doigts.

Mais j’en vois qui rigolent dans le public. Non! S’il vous plaît, faisons confiance à nos représentants!

Décidément, la pédocriminalité reste un sujet que l’on aborde avec des pincettes. Sait-on jamais où cela peut-il mener? Constituerait-elle un «analyseur institutionnel»?

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