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Billet de blog 4 octobre 2024

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Plus c'est gros mieux ça passe

Pas moins de onze ouvrages, allant tous dans la même direction, celle de la défense, furent publiés entre les deux procès d'Outreau. Sans contradictoire et en toute illégalité.

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«PLUS C’EST GROS, MIEUX CA PASSE.»

(Extrait d’une interview de Jacques Chirac, ancien Président de la République).

Le chemin épineux et encombré qui conduit à la recherche de la vérité , tracé notamment par Voltaire dans sa défense de Callas et par Zola dans celle de Dreyfuss, se doit d’être impérativement et constamment emprunté, au risque sinon de retomber dans sa friche et son embarras. Retourné en friche et embarrassé, et le voilà devenu difficile d’accès. Difficile d’accès il est vrai, pour le plus grand soulagement des Puissants, qui n’entretiennent leur pouvoir que par l’ignorance et l’obéissance aveugle dans lesquelles les Hommes sont par eux tenus: «Pour que les Hommes, tant qu’ils sont des Hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une: ou qu’ils soient contraints, ou qu’ils soient trompés. » (Etienne de La Boëtie).

Ainsi, dans l'affaire judiciaire dite d'Outreau, onze ouvrages, on le sait peut-être (ou peut-être pas), furent publiés entre le verdict de Saint-Omer (2 juillet 2004) avec ses acquittements et ses dix condamnations, et l’appel de Paris.

La possibilité d’un appel aux Assises existant opportunément depuis juin 2000, l’appel, prévu pour octobre 2005 fut cependant reporté pour supplément d’information en novembre 2005. La piste en question, une invention absurde du journaliste belge Georges Huercano-Hidalgo, n’aboutira évidemment à rien. La Présidente de la cour d’appel changera au profit de Madame Odile Mondineu-Hederer et en remplacement de Martine Varin.

Seuls les esprits torturés imagineront que l’appel fut retardé pour permettre la publication d’ouvrages extrêmement importants et dont la publication restait fâcheusement pressée par le temps.

Car ces ONZE livres, tous invraisemblablement affranchis de la fameuse et intangible «vérité judiciaire» dite à Saint-Omer, militèrent ouvertement dans le sens de la défense et d’un acquittement général et unilatéral. D’ailleurs, Dominique Wiel, l’abbé, et Franck Lavier, tous deux lourdement condamnés à Saint-Omer à des peines que leur détention ne couvrait pas, furent rapidement libérés sous un contrôle judiciaire qu’ils ne respectèrent pas. Alors que condamnés et non encore acquittés, ils purent néanmoins passer tranquillement sur les ondes de toutes les télévisions du pays pour défendre leur «innocence», sans que personne ne s’en émeuve. La «vérité judiciaire» était morte et bel et bien morte. Tant pis, sans doute: elle a dû en voir d’autres. En tout cas, avant même le procès de Paris, l’acquittement était… acquis!

Précisons que parmi TOUS ces ouvrages, aucun ne proposait une analyse et une version contradictoire de l’affaire. Les versions faisant s’exprimer le contradictoire, comme il est naturel en démocratie, ne verront le jour qu’après le verdict définitif. Rassurons-nous: il y en eut très peu…

Mais après tout pourquoi pas? Si l’on est honnêtement convaincu que les condamnés de Saint-Omer sont innocents? Pourquoi pas enfoncer les digues de cette «vérité judiciaire» qui peut être contestable? Pourquoi pas? Même si cela est contraire à la loi (article 434-16 du Code Pénal)?N’est-ce pas d’ailleurs ce que fit courageusement Zola dans sa défense du Capitaine Alfred Dreyfuss? Et c’est cet argument d’autorité qu’utilisera Florence Aubenas quand elle publiera son livre définitif La Méprise: «Ce que je voulais, dit-elle, c’est faire paraître un livre pour faire pression sur ce deuxième procès. Moi, c’est quelque chose que je revendique.»

Zola l’avait fait avant, et l’Histoire nous montra qu’ il avait raison.

Mais il faut pourtant et absolument savoir autre chose.

Tous ces ouvrages parus illégalement avant un appel décisif, sont gravement, et toujours grossièrement MENSONGERS.

Accusation grave, certes, que l’on ne peut prononcer à la légère.

Les mensonges sont obstinément repris dans chaque ouvrage qui suit l’autre. Et ils sont construits sur le même modèle. Et reprennent les mêmes thèmes, de façon lancinante.
Par exemple, la proximité phonétique entre le toponyme Outreau et le patronyme Dutroux. Par exemple l’attitude du méchant juge. Par exemple l’invention d’auditions qui n’ont jamais eu lieu, ou d’auditions purement et simplement falsifiées. Par exemple le nom de l’huissier Marécaux opportunément soufflé par le juge Burgaud à Myriam Badaoui (la consultation de l’interrogatoire prouve exactement le contraire: c’est Badaoui qui cite d’emblée l’huissier). Par exemple, des enfants qui mentent, ou qui inventent, ou qui se trompent toujours et tout le temps. Qui se trompent de souvenirs, qui regardent trop la télévision, lisent trop les journaux à sensation, etc. Quand un auditionné déclare des choses gênantes pour la défense, l’ouvrage ne les retient pas. Par exemple le sex-shop d’Ostende appartenant aux Legrand, dont absolument personne ne parle dans le dossier. Par exemple, la présence à Saint-Omer des accusés dans le box… des accusés. Ce n’était pas le cas.

Comment savoir tout ça ?? Eh bien! il faut d’abord disposer de l’instruction à laquelle le grand public, et fort heureusement, n’a pas accès facilement. Elle nous fut envoyée anonymement. Il faut relire tous ces ouvrages soigneusement, retrouver les cotes (qui ne sont jamais dans les livres) des pièces réelles de l’instruction en étudiant l’entièreté du dossier de 30 000 pages. Il faut tout recouper, pour tomber à chaque fois, et de manière massive sur des mensonges plus énormes les uns que les autres. Si le dossier dit noir, l’ouvrage (que l’on pourrait dès lors logiquement qualifier de révisionniste ou de négationniste) dira blanc. Qui ira vérifier, hormis des tarabiscotés qui n’ont rien d’autre à faire comme celui qui tient cette plume? Car évidemment, ce travail de plusieurs mois, voire de plusieurs années, fut effectué par nous.

Voici maintenant, chronologiquement, la liste des ouvrages publiés sur l’affaire entre juillet 2004 et novembre 2005.

– Acacio Pereira (chroniqueur judiciaire au Monde, qui couvrit le procès de Saint-Omer), Justice injuste, rédigé à toute vitesse, puisqu’il sort en septembre 2004. Pour rappel, le verdict date de juillet. Étudier le dossier d’instruction et écrire un livre est impossible en deux mois.

– Karine Duchochois (acquittée de Saint-Omer) avec Florence Assouline, Moi Karine, innocente et cassée, octobre 2004.

– Jean-Marie Viala (avocat du taxi Pierre Martel), Outreau, la justice martyrisée, octobre 2004.

– Pierre Décheix (ancien magistrat, ancien procureur militaire durant la guerre d’Algérie), L’Affaire d’Outreau ou la Balance bloquée, janvier 2005.

– Elsa Guiol (journaliste au JDD), Tous Pédophiles? mars 2005.

– Thierry Maricourt (journaliste, écrivain), Mon Enfant d’Outreau, mars 2005.

– Alain Marécaux (condamné de Saint-Omer), Chronique de mon Erreur judiciaire, mai 2005.

Nous sommes maintenant un mois avant l’appel fatidique, et octobre 2005 sera prolifique :

– Patrice Trapier et Anne-Laure Barret (journalistes au JDD qui ont couvert le procès de Saint-Omer), une somme de 700 pages, Innocents, le Calvaire des Accusés d’Outreau, octobre 2005.

– Mehana Mouhou (avocat de Myriam Badaoui1), Dans l’Enfer du Mensonge, octobre 2005.

– Georges Huercano-Hidalgo (journaliste belge), Contre-Enquête à Outreau, Sexe, mensonges et Vérités, octobre 2005.

– Florence Aubenas (journaliste à Libération qui a couvert, sans être chroniqueuse judiciaire, le procès de Saint-Omer), La Méprise, octobre 2005. Florence Aubenas, otage en Irak, fut libérée le 11 juin 2005. Elle ne disposera donc que de 3 mois pour consulter le volumineux dossier de 30 000 pages, et pour écrire son livre. Un record ici aussi, bien entendu. Aubenas affirmera même qu’elle ne travailla en réalité que 15 jours2! Elle n’aura cependant pas le temps de lire tous les autres ouvrages publiés, hormis celui de Maricourt, où elle puise des informations érronées, sans vérification aucune. Mais cela l’amènera aussi à contredire les livres qu’elle n’a pas pu lire. Peu importe. Qui ira vérifier? Heureusement quand même (diront les mal intentionnés) que la date de l’appel a été retardée. Sinon, ces quatre derniers ouvrages capitaux (dont celui d’un journaliste belge) et décisifs pour la défense et l’indispensable acquittement général ne pouvaient être publiés.

Le même principe de mensonges grossiers et de falsifications multiples se poursuivra par la suite, dans la plupart des autres ouvrages écrits sur l’affaire (plus d’une vingtaine)

La «cause» était bonne, nous dira-t-on. Peut-être bien. Faire acquitter des innocents est généralement une bien belle chose.

Mais POURQUOI alors MENTIR autant? Pourquoi falsifier la réalité des éléments gênants pour la Défense qui se trouvent couchés dans le dossier?

Une puissante machine éditoriale et médiatique fut mise en route, genre rouleau compresseur (ou char d’assaut?) derrière laquelle plus rien ne devait repousser. Machine mensongère ne servant qu’à acquitter des personnes comme vous et moi dont le pouvoir politique se fiche la plupart du temps. S’ils étaient bien innocents, pourquoi mentir?

La raison devait en être impérieuse.

A tout ceci, s’ajoutera l’interminable liste des dysfonctionnements et graves anomalies, toujours au profit de la Défense, et qui portèrent d’abord et durablement préjudice aux véritables victimes, et reconnues comme telles par la Justice: les enfants. Dysfonctionnements, anomalies incompréhensibles et grossiers mensonges qui portèrent gravement préjudice au juste et indispensable combat pour la protection de nos enfants.

Sans vérité, pas de justice. Sans justice, pas de liberté. Sans vérité, sans justice, sans liberté, pas de démocratie.
Le chemin épineux qui conduit à la recherche de la vérité se doit d’être constamment et inlassablement emprunté.

Et impitoyablement tranchées les ronces du mensonge.

Car, chacun le sait, on ne défend JAMAIS la vérité par le mensonge.

Décidément, n’est pas Emile Zola qui veut.

1Il succédera à Maître Pouille-Deldique.

2Voir Philippe Radault, L’Affaire d’Outreau. Retour sur la Méprise, TheBookedition, 2024.

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