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Billet de blog 5 avril 2025

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MENSONGES D’ÉTAT, RESPONSABILITÉS ET IRRESPONSABILITÉS.

«Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire.» Blaise Pascal.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un politique qui ment publiquement, faut-il s’en étonner? Autant s’étonner que l’eau puisse mouiller.

Il est acquis qu’il n’est nul besoin de mentir pour prouver le vrai. Que, d’autre part, mentir véritablement et efficacement oblige le menteur- sauf à mentir sous la contrainte- à connaître la vérité. Donc à maîtriser parfaitement la raison impérieuse qui rend le mensonge indispensable.

Le mensonge, crime de la pensée, pourrait se justifier pour sauver quelqu’un. C’est le mensonge du résistant torturé qui refuse de dénoncer ses camarades. C’est le mensonge, accepté par Dieu, des sages-femmes du Pharaon (Exode) qui lui mentirent pour sauver les premiers-nés mâles des Hébreux. Ici, nous sommes un peu loin de ces histoires bibliques: il ne s’agit de sauver la vie de personne.

Le mensonge est la stratégie qui permet à tous les Pouvoirs de se maintenir. Instrumentum regni, et surtout depuis qu’existe la communication de masse, le mensonge protège les Institutions, assure leur stabilité et leur pérennité, tant il est vrai que l’Institution a d’abord un objectif: survivre à tout prix. Mensonges, et, surtout, pouvoir de les imposer. Devenu moyen de contrôle puissant sur les esprits, le mensonge institutionnel rend aveugle à la réalité en en reconstruisant une autre, faite exprès pour nous tromper et nous asservir.

Et tout comme l’État, et les Institutions qui le représentent, possède à lui seul le monopole de la violence, pour reprendre l’expression souvent mal comprise de Max Weber 1, les Institutions ont largement prouvé qu’existait aussi un monopole du mensonge, un "mensonge légitime", c’est-à-dire un mensonge "autorisé" (dans les deux sens du terme).

Enfin, une Institution est comme une sorte d’organisme qui doit se protéger et assurer permanence et survie. Mais au lieu d’expulser les éléments malades et défectueux comme le ferait n’importe quel organisme, il les conserve curieusement en son sein. C’est le cas par exemple pour l’Église, l’Éducation Nationale, l’Armée ou toute autre Institution: le prêtre, l’instituteur, le professeur, le militaire. Soupçonnés de viols, ils sont le plus souvent simplement déplacés.

François Bayrou, Premier Ministre, est donc coupable. Coupable doublement. De n’avoir rien entrepris pour protéger des enfants au moment où il avait la possibilité de le faire. De n’avoir jamais rien dit. Mais coupable donc aussi, aujourd’hui, de mensonges devant la représentation nationale: péché véniel, certes, par rapport à l’inaction et à la lâcheté passées quand il s’agissait de l’objectif prioritaire de la protection de l’enfance, objectif pourtant affiché partout et par tous hypocritement. Bayrou coupable. Et, certes, non pas que lui. Celles et ceux en tout cas qui eurent des responsabilités autour de ce qui est devenu l’affaire Bétharram: Ministres, députés du coin, maires, conseillers généraux, etc. Et ont agi. Ou pas. En tout cas, agi pour protéger d’abord leurs intérêts propres et ceux des Institutions concernées.

Aujourd’hui devenu Premier Ministre de la République, Bayrou est maintenant à la fois plus exposé et plus responsable que tous les autres. Et ne peut se défausser. En accédant à ces brillantes fonctions, il voulait à la fois obtenir le beurre et l’argent du beurre. Il risque de ne plus avoir à se contenter que de pain sec.

Que l’État démocratique ne fasse rien depuis des décennies pour protéger efficacement de jeunes enfants martyrisés, parfois violés, dans des établissements scolaires religieux sous contrat et subventionnés avec les impôts des citoyens est à la fois aberrant, scandaleux et … irresponsable.

Je constate que même le RN reste remarquablement discret sur ces questions. Le FN d’autrefois réclamait pourtant le rétablissement de la peine de mort pour les crimes sur enfants (le viol est un crime). Pourquoi cette discrétion? Peut-être parce qu’il s’agit de prêtres et qu’une partie de l’électorat RN éprouve de la sympathie pour l’intégrisme catholique? Que ne dirait-on si tout cela s’était passé dans une école religieuse tenue par des Musulmans? En effet, selon les religions, les établissements scolaires ne sont pas tous contrôlés de la même façon par l’État et avec le même zèle salutaire. Contrôles tatillons dans les établissements musulmans. Dans les établissements judaïques, prudence avant tout: terrain glissant. Il ne peut y avoir de rabbins pédocriminels. Même si de courageux rescapés ont reconnu que, enfants dans la Shoah, ils avaient été violés dans les camps. Y compris par d’autres détenus et coreligionnaires. Pas seulement par de Kapos ou des SS.

Ainsi, Bétharram, et tous les autres établissements dans le même cas, pourrait être le bélier enfonçant enfin les digues du mensonge institutionnel et de la tragique méconnaissance du plus grand nombre de nos concitoyens sur ces questions essentielles de la protection des enfants. Graves questions, vitales en quelque sorte, toujours solidement dissimulées et contenues par une omerta quasi générale. Contenues pour qu’elles ne débordent pas. Il faut absolument tenir le citoyen à l’abri de ces réalités.

Jusqu’à présent.

1 Weber fait le simple constat de l’existence d’une violence "légale", une violence qui n’est pas sanctionnée par la loi. "Légale", mais pas pour autant acceptable.

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