On l'entendra bien assez tôt pousser, au soir de ce dimanche qui vient, et qui accompagnera la victoire sans gloire d'Emmanuel Macron, ce "lâche soupir de soulagement" dans le plus pur esprit munichois du choix illusoire d'un "moins pire", en attendant ce "pire" qui ne pourra qu'advenir ensuite, et quelles que soient les formes et le visage de cette nouvelle barbarie.
Qu'avons-nous donc tous été naïfs de croire encore à notre liberté, pourtant spectaculairement mise en scène dans les vitrines du grand barnum électoral, ses rebondissements, ses suspens, ses trahisons, ses péripéties, ses sondages incitatifs! Cette campagne entretenue dans un inédit déplaçant toutes les normes, hypnotique et éprouvant pour les nerfs de beaucoup, riche en calculs et en hésitations, en stratégies diverses, individuelles ou collectives, en supputations déprimantes, en inutiles disputes tacticiennes au sein même des familles et des cercles d'amis? Et jusqu'à la convocation finale et attendue d'un imminent et surjoué danger "fasciste" déferlant à gros bouillons sur la France, contre lequel on ne prend pourtant la peine jamais de dresser des barrages, sinon tous les cinq ans?
Le mariage d'une panique exhumée des charniers de l'Histoire comme un remugle, du chantage émotionnel qui lui est inhérent, et d'une propagande publicitaire de masse fort peu équilibrée et, partant, fort peu démocratique, conduisant, une fois de plus, à un choix contraint; choix guidé pour la plupart d'entre-nous par une série de petits coups d'Etat psychologiques; "choix" fort éloigné dès lors de ce que l'on s'imaginait nous rester de liberté.
Comment ne pas se dire, par moments, que tout était organisé pour en arriver là, l'adversaire de la Le Pen l'emportant à tous coups? Il fallait donc bien qu'il en soit ainsi.
Comment avoir, enfants, pu oublier si vite l'élection de Jacques Chirac en 2002 avec 80 °/° des suffrages, plébiscite dont il ne fit pourtant rien; de nos luttes sous Sarkozy et Hollande qui se fracassèrent sur le mépris des Puissants; du "non" au Traité Constitutionnel Européen, de la forfaiture de 2008, ce "non" massif et populaire se voyant soudainement travesti en "oui" par la Représentation Nationale?
Comment ne pas plutôt reconnaître que nous nous sommes sottement crus détenteurs de cette liberté chérie mais fragile que confère, un court instant, le vote démocratique dans une République?
Comment ne pas plutôt se dire que, nous pensant maîtres à la fois de notre destin et de celui de notre pays, nous n'avons en réalité qu'emprunté imprudemment, poussés par les uns, tirés par les autres, ce chemin tout tracé qui conduit lentement mais inexorablement à notre fatale dépossession?