Pour tenter de comprendre ce qui avait pu arriver, il convenait donc de replacer l’affaire et son traitement particulier dans la conjoncture politique et sociale du moment.
Il s’est agit en effet, à l’époque, d’établir des priorités, sans doute volens nolens, mais en tout cas dans l’urgence : protéger des enfants ? Dénoncer, démanteler de petits réseaux pédocriminels ? Engager un combat résolu contre ces terribles dérives, angles morts de la protection de l’enfance ? Ou regarder ailleurs, laisser faire peu ou prou et, le scandale pouvant arriver, protéger les Institutions qui s’étaient montrées gravement défaillantes ?
Faire le choix de ne pas protéger d’abord les Institutions aurait été prendre un risque politique majeur : celui du basculement d’un pays entier vers des zones mouvantes, incertaines, à travers de très vraisemblables turbulences sociales et politiques dont personne ne pouvait mesurer les conséquences. La très grave crise qui venait de précipiter le peuple belge dans la rue en était la preuve, et l’affaire Dutroux servait bien entendu d’expérience politique grandeur nature. Il y a des domaines où le Peuple peut devenir vraiment dangereux.
Le choix fut donc fait de contrôler la situation. Choix qui fut fait forcément au plus haut niveau de l’État. Que faire d’autre ? Les risques encourus étaient considérables.
L’affaire d’Outreau a donc été déplacée très rapidement sur le terrain de la communication. Le premier ouvrage publié, celui d’Acacio Peirera, chroniqueur judiciaire du Monde, est publié deux mois seulement après le verdict de Saint-Omer. Travailler dans ces conditions sur les 30 000 pages du dossier d’Instruction est impossible, à moins de disposer d’une équipe entière qui sélectionnerait les pièces cardinales1 et donnerait la direction à suivre, une sorte de « feuille de route » sur ce que l’on doit dire, ce que l’on doit cacher, et où il faut mentir.
Les travaux sérieux sur l’affaire , très minoritaires, furent discrédités ou passés sous silence. Leurs auteurs déconsidérés et même invectivés : négationnistes, révisionnistes, complotistes… L’insulte valait argument. Les rayons des librairies se remplirent alors de livres défendant tous la thèse d’une extraordinaire erreur judiciaire. Et l’histoire falsifiée sembla à chacun plus crédible que l’histoire véritable.
L’affaire tassée, disparue de l’actualité, rentrée en quelque sorte dans l’histoire judiciaire du pays, les années passant (20 ans…), la mystification d’Outreau servie et resservie périodiquement à toutes les sauces à travers articles, livres, documentaires, fictions, etc., on verrait bien plus tard.
Et ce « plus tard », aujourd’hui, nous y sommes.
1Il s’agit de Justice Injuste, publié en septembre 2004. Il y eut près d’une vingtaine de travaux allant dans ce sens.