L’émission commence avec cette citation du magistrat présentateur Antoine Garapon: « Veritas filia temporis». La vérité est la fille du temps. Pourquoi pas, en effet? Mais combien de temps exactement faut-il encore attendre? Encore 20 ans? Il est des gens sages et patients. Pas moi.
Des documentaires, il y en eu au moins quatre. Des séries, deux: celle de France Télévision et celle, plus récente de Netflix. Le nombre d’articles sur l’affaire est difficile à chiffrer. Des émissions de télévision, comme celles, passionnantes, d’Arnaud Ardoin sur LCP. Un site internet, particulièrement bien documenté et régulièrement mis à jour «Démystifier Outreau»...
Quant aux ouvrages, une quarantaine évoquent le sujet, parfois complètement, parfois rapidement. A titre de comparaison, la plus célèbre affaire judiciaire française, l’affaire Dreyfus, c’est une cinquantaine… Sans compter une exceptionnelle Commission d’Enquête Parlementaire qui se tint à l’initiative du pouvoir politique et à grand renfort de publicité (2006).
Que se passe-t-il donc avec Outreau? Certes, pour beaucoup, il faut publier (surtout dans la bonne direction), saisir l’opportunité. Il faut vendre, se faire mousser, être «reconnu», gagner trois sous peut-être…
Lui-aussi, Antoine Garapon avait écrit, avec Denis Salas, son livre: Les Nouvelles Sorcières de Salem (2006).
Les invités de l'émission ont attendu que les choses se calment: Jean Songe a publié récemment (2024) A l’Ombre d’Outreau. Frédéric Valandré, pointilleux connaisseur: Justice criminelle (2013), Coulisses judiciaires (2017), Meurtre à Outreau (2023) et L’Histoire belge (2024).
Connaisseur modeste de l’affaire moi-même, surtout depuis que certains ouvrages essentiels avaient bousculé mes certitudes du moment, comme celui de Marie-Christine Gryson (La Vérité abusée) , récemment réédité. J’ai écrit, avec mon ami Jacques Cuvillier Outreau, Angles morts (2019), puis avec Chérif Delay, l’aîné des enfants Guernica dans la Tête (2020) et Une petite fille qui est morte (2020). Un autre livre est en préparation. Les éditeurs ne se bousculent pas: le sujet est-il encore vendeur? Est-ce dans l’«air du temps»?...
Le traitement de l’affaire, à de très rares exceptions près, était jusqu’à présent caractérisé par une très grande difficulté à faire entendre le contradictoire. A savoir que l’histoire que chacun connaît peu ou prou était devenue un dogme inébranlable, une sorte de doxa ou même d’«histoire officielle». Si on la contestait, on était traité de tous les noms d’oiseaux: révisionnistes, complotistes, négationnistes, «agités du missel» (Florence Aubenas), extrémistes, etc. Les promoteurs et protecteurs de cette «doxa» (le terme est-il «complotiste»?), ce sont pourtant des avocats, des journalistes, des politiques. Tous partie-prenante. En réalité, leur technique fut toujours de ne jamais répondre sur le fond, car ils ont bien du mal à contrer nos arguments. Ils refusent obstinément de rester sur la terrain de la logique et de la raison. Leur unique stratégie est de construire une polémique autour de prétendus adversaires fabriqués pour l’occasion et qu’il s’agit de dévaloriser le plus grossièrement possible, si besoin est. Pour ce merveilleux mensonge qu’est le cinéma, Hitchcock disait: «Meilleur est le méchant, meilleur est le film.» Même chose ici. Dévaloriser l’adversaire donc, peu importe ce qu’il raconte : méthode éprouvée et efficace depuis la fameuse «nuit des temps» de la rhétorique, technique qui peut servir le pire comme le meilleur. Argument «ad personam» («ad personas» ici) ou technique de «l’épouvantail». Banal. Tous ces gens, qui ont pignon sur rue, entraînent chacun sur le terrain fort fréquenté des polémiques et des passions faciles, d’autant plus aisément qu’ils disposent, eux, de la puissance de feu de l’ensemble des médias. En somme, la controverse d’Outreau n’a jamais eu lieu. Parce qu’elle a été constamment refusée: trop risqué. Les voix dissidentes en étaient réduites au silence réservé aux extrémistes dangereux: maintenant, Outreau, ça suffit!
Merci donc à France Culture qui, ici, se distingue.
Ce que le «grand public» avait donc retenu à l’époque, c’était:
-Des enfants carencés et menteurs.
-Une mère folle et mythomane.
-Un juge trop jeune et incompétent.
-Des experts psychologues tout aussi incompétents, etc.
- Une justice qui peut être injuste.
-Des médias qui, pour vendre, racontent n’importe quoi…
-Mais une défense talentueuse et combative, toujours aux avant-postes.
-Un fin heureuse digne des plus grands feuilletons.
Le problème restant que ce fameux «grand public» ce sont aussi les citoyens libres d’une grande démocratie, qui se vante d’être la «Patrie des Droits de l’Homme».
Mais voilà que France culture, non sans un courage prudent mais réel, revient sur l’affaire et rappelle quelques-uns de ces éléments qui ont été oubliés.
20 ans après, le propos sur la fameuse affaire française va donc changer un peu de ton…
Plusieurs éléments apparaissent dans l'émission:
-Les mensonges: comme le dit Jean Songe, invité: "Quand les adultes mentent, ils savent pourquoi. En revanche, on ne sait pas pourquoi les enfants auraient menti."
-La défense ne critiqua jamais l’instruction du juge Fabrice Burgaud. Elle pouvait le faire aisément. Elle ne le fera pas. En revanche, elle dira bien après haut et fort que l’instruction s’égarait . En fait, la stratégie reposait sur la tenue des assises de Saint-Omer. La courageuse défense se faisait fort de pousser les jeunes enfants dans leurs retranchements.
-L'attitude, mainte fois évoquée, des avocats de la défense (au nombre de 18 ) face à de très jeunes enfants lors des Assises de Saint-Omer (2004). Enfants, comme on le sait, placés dans le box des accusés pour venir témoigner. Dupond-Moretti faisait partie de ces robes noires qui faisaient peur aux enfants.
-La proximité plus que dérangeante entre les journalistes et la défense. Les journalistes ne pouvant consulter l'intégralité de l'instruction, bénéficiaient de pièces choisies. Dont Florence Aubenas. Son livre La Méprise fut décisif pour orienter l’opinion juste avant l'Appel (2005). Pourtant, le livre est truffé de graves contre-vérités. EDM était par ailleurs très copain avec Durand-Soufflant, chroniqueur judiciaire du Figaro.
J'ajoute de mon côté que l'avocat de l'huissier Marécaux Hubert Delarue a montré toutes les pièces de l'instruction au journaliste belge Georges Huercano-Hidalgo. C'est interdit: "secret de l'instruction". Pourtant, c'est Huercano qui le dit clairement dans son livre. Huercano, au jeu trouble aussi dans l'affaire belge Dutroux, ami de l'escroc partouzeur Michel Nihoul et partisan de la thèse "Dutroux, prédateur isolé". A l'origine aussi de la série négationniste de France Télévision sur l'affaire, sortie l'an passé… Auteur de trois documentaires très partisans: pro-défense, pour parler clairement.
Enfin, je conseille aussi d'aller voir le film Maldoror, fiction certes, mais appuyée sur des éléments réels. On y voit un comédien qui incarne un type ressemblant fort à Nihoul!
Rien n'est fini, donc. Ou plutôt: tout commence.