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Billet de blog 12 août 2025

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Une famille ordinaire

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

UNE FAMILLE ORDINAIRE.

C’est vrai, quoi… Moi, Franck Lavier, acquitté d’Outreau, j’aime bien les filles très jeunes. C’est pas ma faute. Et puis, ma femme a un peu vieilli… Donc… Je dirais que c’est mon syndrome Hamilton-Epstein. La classe, non ?

A quel père ordinaire peut-on reprocher le jeu innocent du « Pouêt pouêt » sur la poitrine naissante de sa fille ?

Franck Lavier, donc acquitté d’Outreau, comme sa femme Sandrine. Et grassement indemnisés. Les sommes, conséquentes, furent tenues secrètes. Pourquoi donc tant de mystère ?

Mais revenons en arrière.

Avec par exemple la postface de Florence Aubenas à la seconde édition (2010) de son livre sur l’affaire d’Outreau La Méprise (2005). Florence Aubenas, doit-on le préciser, grande défenseure du « Il ne s’est passé rien du tout à Outreau » :

« A Boulogne-sur-Mer, dans la nouvelle maison des Lavier, chaque enfant a sa chambre. Chaque chambre a sa décoration, Spiderman ou le Royaume des fées, peinte du sol au plafond. Et chaque meuble déborde de matériel : chaîne stéréo, télévision, Internet. Même Ines1 a son ordinateur, elle qui vient juste d’avoir trois ans. Elle est née tout de suite après le second procès, devant la cour d’Assises de Paris à l’hiver 2005, où Sandrine et Franck Lavier ont finalement été acquittés, comme les six derniers accusés. La Chancellerie les a reçus avec cérémonie, une commission parlementaire les a auditionnés. La France entière a pleuré devant la télévision, en écoutant les 13 d’Outreau raconter, les uns après les autres, ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « leur calvaire judiciaire ». Aussitôt après, les Lavier ont voulu retrouver leurs enfants, tous placés en 2001, au début de l’affaire.[...] Sandrine et Franck ont l’impression de vivre « le plus beau jour de leur vie. » ils veulent tout pour leurs enfants. Tout. »

Et plus loin, toujours Aubenas : « Sans fin, Sandrine scrute le visage de ses enfants élevés loin d’elle, par des gens qu’elle ne connaît pas mais qu’elle ne peut que détester, et selon des règles qu’elle a du mal à déchiffrer. Elle s’inquiète surtout des deux petits […]. Elle voudrait voir sa fille se jeter à son cou à l’improviste, en effusions bruyantes et en baisers sonores. Alors Sandrine ne tient plus. Elle sort un peu trop vite de la salle à manger parce qu’elle ne voudrait pas que les enfants la voient pleurer. »

En 2006, les enfants ont donc été rendus à leurs parents.

Mais maintenant, nous sommes le 24 février 2011, et ce qui se passe est moins touchant (concernant en tout cas les deux parents-acquittés-innocents-vies brisées) .

Deux des enfants Lavier, Camille et Lucas, âgés de 10 et 11 ans, se sont enfuis du domicile parental pour se rendre chez leur ancienne assistante maternelle. Ils vont alors lui décrire ce qu’ils subissent chez leurs parents et sur ce qui les a poussé à fuguer : punitions, brimades, sévices corporels, manque de nourriture, absence totale d’hygiène…

Les policiers sont avertis de même que la justice. Les enquêteurs, rendus sur place, constatent que les enfants étaient logés au dernier étage de la grande maison bourgeoise de centre ville (payée avec les grasses indemnités reçues), sans lumière, sans eau, sans commodités, sans chauffage. La fillette avait été surprise un jour à se laver les cheveux dans les toilettes de son collège. Les policiers découvrent aussi, affiché à l’entrée de la chambre d’une autre fille : « Qui entre dans cette pièce doit me sucer. Signé : le maître de maison. » Cool...

Les deux enfants étaient punis régulièrement, sévèrement et avec constance : punitions écrites absurdes pour des broutilles (comme dérober un paquet de gâteaux dans un magasin, car ils n’avaient rien à manger), supplice de la chaise, à savoir rester en équilibre en simulant la position assise jusqu’à l’épuisement. S’agenouiller sur un manche à balai durant des heures. Toutes ces choses étaient connues de beaucoup dans l’entourage des Lavier.

Durant le procès en correctionnelle qui se tint le 26 janvier 2012, le Procureur fit la liste de celles et ceux qui savaient mais se taisaient. L’Éducation Nationale, par exemple. Le Principal du collège s’était contenté de recommander l’extrême prudence, « à cause d’Outreau et de l’innocence des accusés ».

La Présidente du tribunal, de son côté : « Il n’y a pas eu de signalement, car c’était les enfants des Lavier ?! » (ceci est dans le livre de Jacques Thomet Retour à Outreau).

De nombreuses et anciennes traces de coups furent constatées par un médecin sur les enfants :

bleus, contusions purulentes, hématomes, doigts bleuis de la petite en raison des coups de lattes de sommier, etc. Et même photographie de l’enfant avec sa culotte pleine d’excréments sur la tête… Tout cela est montré à l’audience. La chambre des enfants était dans un tel état d’abandon, que le Procureur de Boulogne-sur-Mer Jean-Philippe Joubert parlera publiquement pour la désigner de « véritable mouroir ». Rien que ça… L’amour parental, si touchant selon Aubenas, prend ici de bien curieux détours.

Dans une vidéo retrouvée sur l’ordinateur des parents, et montrée à l’audience, séance collective de strip porno parental, avec quelques amis. Toutes et tous, déguisés, éméchés, dénudés, miment des actes sexuels. Sandrine Lavier hurle devant la caméra : « J’aime les sucettes ! ». Franck : « J’adore me faire sucer ! »

Chacun a bien le droit de se détendre, mais il y a un petit problème: la vidéo montre aussi que plusieurs jeunes enfants assistent à tout ça. Pour se défendre, Franck et Sandrine déclareront : « On ne pensait pas mal... »

Franck Berton et Philippe Lescène, les défenseurs des deux Thénardiers, assureront un fois de plus le service après vente du « fiasco-d’-Outreau ». Ils rameront un peu , mais le délit de corruption de mineurs ne sera pas retenu. Dans la vidéo, les enfants ne faisaient que passer, comme ça par hasard. Sans doute pour rejoindre leur « mouroir » ?

Les deux Lavier seront condamnés respectivement à 10 et 8 mois de prison avec sursis.

Notre Florence nationale, qui aime tant ce petit couple, comme elle l’avait aussi montré dans le documentaire de Rémy Lainé Notre Histoire (2005) où on la voit accueillir tout sourire et tout bisou- bisou le gentil couple amoureux à la gare du Nord (c’était pour l’appel de Paris en 2005), n’a pas été convoquée à l’audience comme témoin de moralité. Dommage pour eux. Elle aurait pu conseiller aux parents si touchants et plein de pudeur d’aimer ces enfants qui leur ont tant et tant manqués avec plus de discrétion et de retenue. Et qu’il est imprudent de conserver ce genre de captation vidéo.

Mais accusé depuis 2016 par sa fille de l’avoir agressée sexuellement entre 2015 et 2016, Franck Lavier sera finalement condamné à 6 mois de prison avec sursis par le Tribunal de Boulogne-sur-Mer le 7 novembre 2023. Sa fille l’avait accusé de « viol ». Puis s’était heureusement rétractée, sans doute par l’opération du Saint-Esprit : « Tu sais, ma cocotte, tout ça te dépasse. C’est du très lourd. T’as intérêt à laisser tomber. »

Il n’y avait donc pas à s’inquiéter. Le viol, crime passible des Assises, avait été correctionnalisé et transformé en « agressions sexuelles », grâce au travail et à l’entregent de son avocat Franck Berton2. Puis d’« agression sexuelle », il était devenu « jeu bêbête mais innocent » du « Pouêt pouêt » paternel sur les seins naissants de la jeune fille (qui fait bien des manières pour si peu de choses, quand même).

Franck Lavier verra cependant son nom inscrit au FIJAIS, fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles. Pourquoi donc ?

Pour un type qui n’a jamais rien fait de mal?

1Prénom modifié.

2Relayé ensuite par Fabienne Roy-Nansion, autre avocate historique d’Outreau, chargée, elle aussi, du service après vente .

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