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Billet de blog 12 septembre 2022

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Gérard Lhéritier, PPDA, Karine Duchochois et les autres.

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Le prix littéraire Comte de Monte Cristo, l'affaire Aristophil, Gérard Lhéritier.

On reparla, il y a peu, de Patrick Poivre d’Arvor, et de son rapport aux femmes. Certaines en eurent à s’en plaindre très sérieusement. D’autres en eurent à s’en réjouir.

Retour en arrière. Sur ça, et sur d'autres petites choses.

Parmi les acquittés de l’affaire d’Outreau, le cas le plus emblématique reste celui de Karine Duchochois. On l’a dit, elle est grassement indemnisée alors qu'elle n'a pas fait un seul jour de prison. Elle écrit, rapidement elle aussi, un livre (avant l'appel) chez l'éditeur parisien Plon, dont le titre ne lui conviendra pas: Moi Karine, innocente et cassée. (« Je n'ai jamais été cassée », déclarera-t'elle). L'ouvrage, malgré une qualité objectivement médiocre, reçoit le prix littéraire « Comte de Monte Cristo », tout nouvellement créé en 2005, et qui vise à récompenser les oeuvres littéraires (?) autobiographiques en rapport avec la justice. Serait-ce une récompense de circonstance ?

C'est Gérard Lhéritier, présenté parfois comme un « ami » de Karine, qui en est le créateur. Mais Lhéritier, parfois surnommé le « Madoff » des lettres, et qui fréquente le beau monde, de Rachida Dati (maire de l’arrondissement où se trouve le Musée fondé par Lhéritier) à Nicolas Sarkozy, en passant par Christian Estrosi, Maire de Nice (où Lhéritier possède une somptueuse résidence), Valéry Giscard d’Estaing, Dominique de Villepin, François Hollande, etc1. Pour séduire les grands noms, Lhéritier crée le Grand Prix de l’Institut des Lettres et Manuscrits, richement doté. Il accorde par exemple un don de 2,5 millions d’euros à la Bibliothèque Nationale de France. Quelques jolis cadeaux à des personnalités avec lesquelles il convient d’être en très bons termes. Il organise des lectures publiques faites par des comédiens célèbres (3500 euros la demie heure pour l’artiste) : Jacques Weber, Emmanuelle Béart, Elsa Zylberstein, Fanny Cottençon... Des journées européennes des Lettres et Manuscrit sont organisées annuellement, à l’hôtel parisien Salomon de Rothschild. Des débats : Alain Finkielkraut, Jean-Louis Debré, Gonzague Saint-Bris, Natacha Polony, Michel Field, Franz-Olivier Giesbert. Tous grassement rémunérés. Des fêtes somptueuses sont organisées sur la Côte d’Azur, au Monte Carlo Hôtel, notamment le 13 juin 2014. Cela coûtera à la socité de Lhéritier, Aristophil, la modeste somme de 900 000 euros… Dont 65 000 pour Nikos Aliagas, star de TF1,l’animateur de la soirée, tout costumé d’un smoking blanc comme neige.

Lhéritier, ce mécène généreux, munificent même, qui aime bien arroser autour de lui, et pas seulement de champagne millésimé, aura cependant par la suite quelques petits ennuis avec la justice. Comme le rapportent de nombreux quotidiens, dont Le Nouvel Observateur (article du 7/12/14), celui que l'on présente aussi comme le plus gros acheteur mondial de manuscrits, fondateur du Musée des Lettres et Manuscrits, aujourd’hui fermé, est inquiété dans une enquête préliminaire pour « escroquerie en bande organisée et pratique commerciale trompeuse »2.

Sa société, Aristophil, est en effet placée en redressement judiciaire en février 2015. Lhéritier est mis en examen la même année pour « pratiques commerciales trompeuses, escroquerie en bande organisée,blanchiment, abus de confiance, abus de biens sociaux et présentation de comptes infidèles. » Lhéritier reste, à ce jour, toujours présumé innocent. Il n’en reste pas moins que 1800 épargnants se virent floués et que le krach s’éleva à 850 millions d’euros… Tout cela n’empêcha pas le prix Goncourt de littérature Didier Van Cauwelaert de continuer à tresser des lauriers à son ami Gérard, encore aujourd’hui.

Bref, à l'époque où Karine reste personnellement très proche aussi de l'influent présentateur de télévision Patrick Poivre (d’Arvor), TF1 acquiert les droits de l'ouvrage de sa protégée pour en réaliser ensuite une fiction télévisée,qui ne verra d’ailleurs jamais le jour : au moins, l’argent est-il rentré.

En 2007, notre Karine devient journaliste (elle n'a ni diplôme, ni compétences) à France Info et tiendra une chronique « Le Droit d'Info » consacrée à la justice. Elle adhère à l'Association des journalistes de la presse judiciaire, présidée à l'époque par Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur du Figaro, ami de Dupond-Moretti et partisan de la thèse: il ne s’est rien passé à Outreau. Le monde est petit. Elle devient également journaliste animatrice du magazine hebdomadaire télévisé « Engrenage infernal » sur la chaîne Planète+ Justice.

Elle réalise, en 2011, un reportage documentaire sur l’affaite, diffusé dans l'émission « Zone Interdite » (M6), et qui reprend la vulgate mensongère servie au public depuis le début. Entre temps, elle a aussi été engagée par la chaîne 13° Rue (« Passeport pour le crime »), chaîne que PPDA rejoindra à son tour en 2013, et où officiait déjà Christophe Hondelatte. Pour Karine Duchochois, ce fut donc comment passer du ghetto (d'Outreau) au gotha. Questionnée en 2008 par le même Christophe Hondelatte dans son émission de France 2 « Faites entrer l'accusé »: « Karine, vous avez de l'ambition, il ne faut pas craindre de le dire, c'est bien l'ambition… Alors, cette affaire (d'Outreau), peut-on dire qu'elle vous a finalement servie? » Réponse de Karine Duchochois: « Oui ».

Toutes considérations qu'on jugera triviales ou déplacées. Sans aucun doute.

Triviales encore, ces quelques remarques sur ce mystérieux prix littéraire « Comte de Monte Cristo » dont il est question plus haut, quand on sait qu'il a été décerné (généralement au Fouquet's) également en 2009 aux Legrand père et fils (autres acquittés) pour leur bouquin Histoire Commune, témoignage dont la médiocrité littéraire n'est pas à prouver: il s'agit, plus précisément pour eux, de la catégorie «Prix de l'émotion face à l'injustice». L'ouvrage avait été rédigé avec Youki Vattier, réalisatrice qui travailla, par ailleurs, avec Christophe Hondelatte.

A y regarder d'encore plus près, on se rend compte que, parmi les jurés de ce prix littéraire qui récompense des œuvres en rapport avec la Justice, il y a eu Patrick Poivre d'Arvor himself, mais aussi Philippe Houillon, député Rapporteur de la Commission d'Enquête parlementaire sur l'affaire en 2006. D'ailleurs, si l'on prend la peine de consulter la liste des membres du jury, on y trouve d'autres connaissances, beaucoup de journalistes, certes, un député comme on l'a dit, mais aussi un magistrat et un avocat:

-Dominique Rizet du Figaro, qui travaille (lui-aussi!) avec Christophe Hondelatte, un ami, pour la télévision (Faites entrer l'accusé). Qui officie également sur la chaîne Planète+Justice (comme Karine Duchochois), mais qui est copain de surcroît avec Eric Dupond-Moretti ( avocat qui remportera de son côté le 6e prix Comte de Monte Cristo avec Loïc Sécher pour Le Calvaire et le Pardon). Dominique Rizet a commencé sa carrière au SIRPA3 , et c'est sans doute pour cela qu'il a ses entrées un peu partout, notamment dans les milieux de l'armée et de la police, ce qui aide grandement quand on veut avoir accès à des informations délicates.

-Daniel Karlin, journaliste qui a popularisé, en son temps, les travaux aujourd'hui controversés de Bruno Bettelheim sur l'autisme, et qui est auteur d'un documentaire plus récent diffusé sur France 2 (Des enfants abusés) et dans lequel il confronte («sans tabous et sans les juger») un pédophile et sa victime. Cela fait immédiatement songer à la célèbre boutade attribuée à Jean-Luc Godard: « 5 minutes pour Hitler, 5 minutes pour les Juifs. »

-Le magistrat Serge Portelli, auteur d'ouvrages sur les violences faites aux enfants, mais grand défenseur de la thèse «on a beaucoup trop écouté les enfants à Outreau».

-Mattieu Aron4, qui fut directeur de la rédaction de France Inter, auteur d'un récent ouvrage de compilations les grandes plaidoiries du siècle où l'on retrouve celle de l'avocat de la défense à Outreau Hubert Delarue. Mais aussi co-scénariste avec Marie-France Etchegoin du documentaire sur l'affaire Alègre Notable, donc Coupable, et qui, comme son titre l'indique, défendit ardemment la thèse de la non-participation de personnalités dans l'affaire, contrairement à ce que tendait à monter l'enquête du gendarme Michel Roussel qui fut finalement soigneusement écarté5.

-L'avocat Eric Dupond-Moretti, décidément copain avec tout le monde, etc. Il eut l’avenir que l’on sait.

-Et puis, à un moment, la journaliste de France Info Raphaëlle Duchemin, réalisatrice aussi pour les émissions d’Hondelatte et de Rizet (Faites entrer l’accusé) . Elle était d’ailleurs la secrétaire générale de l’Association des journalistes de la presse judiciaire citée plus haut6.

Bref, du très beau monde influent, proche des cercles des pouvoirs (officiels et non-officiels); de ceux qui se connaissent bien pour se fréquenter et discuter, casser la croûte, boire un verre, qui font et défont l'opinion publique pour notre plus grand amusement mais, semble-t'il bien, toujours dans la même direction…

Karine fut attachée de presse de Lhéritier jusqu’à ce que le scandale Aristophil éclate.

Elle devint ensuite attachée aux relations publiques du Musée des Lettres et Manuscrits jusqu’à sa fermeture.

Quelques lauréats de ce prix :

Karine Duchochois, avec la journaliste Florence Assouline, 2005.

Alain Marécaux, 2006.

Daniel Legrand père et fils, avec la journaliste et réalisatrice Youki Vattier, 2009.

Eric Dupond Moretti, 2013.

Sans commentaires.

1Il paraît que cela s’appelle aujourd’hui le « Name dropping ». Tout simplement l’art de choisir et cultiver ses relations : ça peut servir.

2Il s'agit de l'affaire Aristophil. La société, qui a ensuite ouvert une filiale en Belgique, et dont Patrick Poivre d'Arvor est le parrain et le promoteur zélé, et qui est basée sur le malin système de la pyramide de Ponzi, sera mise en liquidation judiciaire en 2015. Les souscripteurs, qui espéraient de gros bénéfices dans l'investissement sur l'achat et la revente de manuscrits rares, n'auront plus que leurs yeux pour pleurer. PPDA sera entendu par la brigade financière sous le régime de la garde à vue pour un prêt de 400 000 euros accordé par Lhéritier, et qui a disparu des comptes de la société.

3Service d'informations et de Relations Publiques des Armées.

4Diplômé aussi de l'INHESJ, l'institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.

5Roussel qui déclarera notamment (Colloque Justice et affaires sensibles, Cercle républicain, 9/11/09) : « L'affaire Alègre n'est pas la version fabriquée dans le film Notable donc coupable. C'est un tueur « qui a tué pour lui et pour les autres, probablement protégé ». L'affaire, « c'est de trop nombreux dossiers véritablement sabordés, un passif énorme de dossiers criminels qu'il est impératif d'ouvrir ».

6Et dont le délégué pour la presse écrite n’était autre qu’Eric Dussart, de la Voix du Nord, très actif au moment de la couverture de l’affaire pour dire qu’il ne s’était pas passé grand’chose à Outreau.

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