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Billet de blog 13 mai 2025

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DUPOND MORETTI, ENTRE SCENE ET OBSCENE

« On peut juger du caractère des Hommes par leurs entreprises. » Voltaire. Rédiger un pamphlet est-il encore possible aujourd’hui ? Voire un libelle ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce genre fit pourtant les beaux jours de la littérature, satirique ou non, depuis des lustres. Depuis Les Philippiques de Démosthène, certains écrits de Montaigne ou même de Pascal . Comme le disait le Professeur canadien Marc Angerot : «  Le pamphlétaire est porteur d’une vérité à ses yeux aveuglante, telle qu’elle devrait de toute évidence imprégner le champ où il prétend agir. Et pourtant, il se trouve seul à la défendre et refoulé sur les marges d’un inexplicable scandale. »

Sommes-nous toujours dans le pays de Voltaire, ou ailleurs, et je ne sais trop où ? On verra bien...

Eric Dupond-Moretti, que l’on ne présente plus, (environ 150 acquittements au compteur) fait en ce moment un tabac en présentant partout en France son dernier spectacle « J’ai dit oui ». En pleine forme, aminci, le grand homme est tout heureux dorénavant. Car il n’aime rien tant que d’être applaudi et adulé par des foules béates, ravies d’être enfarinées de poudre de perlimpinpin. Le public adore être trompé. « Il est plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu’ils ont été trompés » (Mark Twain). Chez le grand homme, des circonstances atténuantes, certainement : l’ego, ça doit être. Ne soyons pas cruels. Il tâchera, seul en scène cette fois, de régler ses comptes. « En tant que Ministre, j’ai été maltraité » dira-t-il. Comme les victimes qu’il interrogeait lors des procès ? Mais il s’explique :« J’ai été évincé du pouvoir, je viens donc sur scène devant les citoyennes et les citoyens ».

Bon, il déclarera aussi qu’il écrira un bouquin (un de plus…) quand ses tournées seront terminées.

Extrait de la présentation du spectacle : 

« Après le triomphe de son dernier spectacle, Eric Dupond-Moretti revient sur scène avec « J’ai dit oui ». Épris de justice et de contradictoire, Dupond-Moretti décidait en 2019 de monter sur scène pour raconter ses 36 ans d’avocat et ténor du barreau. Après quatre années à la tête du Ministère de la Justice, il remonte sur scène pour partager son expérience et raconter comme personne ce que c’est que d’être Ministre et les coulisses de cette fonction. »

Bon ! Si on était méchant on dirait : comment aller à la gamelle pour ensuite cracher dans la soupe…

Sur LCI, pourtant, le 18 avril 2018 :

« -La journaliste : Si on vous proposait un poste de Ministre de la Justice, vous accepteriez ?

-Dupond: Ah ! Non ! Sûr ! Vous voulez que je vous le signe ? D’abord, personne ne me le proposera. Ce serait un bordel, mais alors !… Personne n’aurait l’idée folle, totalement saugrenue, incongrue, invraisemblable, de me proposer cela. Et moi, franchement, je n’accepterais jamais un truc pareil. Non, non !

-La journaliste : Pourquoi ?

-Dupond : C’est pas mon métier. Il faut en avaler des couleuvres pour faire de la politique. J’en ai pas les compétences. Je n’aimerais pas faire ça. Faut être copain avec tous les gens du gouvernement… Faut manger son chapeau de temps en temps... »

Si l’on saisit bien : j’avais d’abord dit non, puis après j’ai dit oui. J’ai dit oui, mais n’avais-je pas un peu demandé quand même ? Sans m’en rendre compte. Et puis, j’avais peut-être envie d’avaler des couleuvres et manger des chapeaux pour pouvoir faire un spectacle après ? Honnêtement, je ne me souviens plus… Dupond acceptera donc. Mais quand un journaliste lui posera la question sur cet apparent revirement, il déclarera : « C’était, je ne sais pas, il y a 10 ou 15 ans que j’ai dit ça… Alors... » Faux, donc : il avait suffit de deux ans. Un mensonge parmi tant d’autres.

Nous parlerons ici pas mal de fois de la célèbre affaire judiciaire d’Outreau (2001-2005). Peut-être trop pour certaines et certains, qui disent l’affaire terminée. Dupond ne titrait-il pas un de ses chapitres dans Direct du Droit (2017) écrit avec le journaliste et ami Stéphane Durand-Souffland, « Outreau, point final » ? Mais si l’on veut saisir un peu qui est Dupond, il faut en passer par là. Car l’affaire est la matrice idéale dans laquelle l’avocat se coulera opportunément et au moment venu pour devenir enfin ce que la haute image qu’il avait déjà de lui-même lui imposait de devenir.

L’affaire, vieille de 20 ans, devrait d’ailleurs être rentrée dans l’histoire judiciaire du pays. Entrée dans l’Histoire, il serait possible alors d’en parler sans trop de passion. Un peu comme l’affaire Dreyfuss. Avec Outreau, c’est toujours impossible.

Mais alors, comme notre facétieux avocat aime bien aussi la rigolade, rions un peu avec lui. Nous irons aux choses sérieuses (et gênantes) plus loin. Les rabat-joie peuvent passer...

Eric et Manu (fiction téléphonique).

Juin 2020.

« -Salut Manu, c’est Eric !

-Bonjour. Eric qui ?

-Ben Eric Dupond…

-Dupond comment ?

-Dupond-Moretti, pardi !

-Ah, j’avais pas reconnu ta voix...T’es un peu enroué… Le tabac ou autre chose ?

-J’ai fait quelques excès hier soir. J’étais chez Palmade avec des potes.

-Ah ouais… Mais fais gaffe avec ça, quand même…

-L’hôpital qui se fout de la Charité (Rires).

-Non, c’est pas ça. Je veux dire : soit discret, tu as déjà eu des emmerdes autrefois avec ce truc…

-Reconnais quand même que je m’en suis bien sorti. J’ai balancé l’argument usé jusqu’au trognon d’un complot contre moi !… Pour « nuire à ma réputation », dis-donc. Et le truc a marché : les traces retrouvées dans ma bagnole, ç’avait été mis par un malveillant, un jaloux. Forcément...

-Et comment il va le Pierrot? Je l’ai croisé l’autre jour en faisant mes courses. On fait nos emplettes chez les mêmes commerçants. Toi aussi, je crois. J’ai l’impression qu’il file un mauvais coton quand même...

-Bon, il va bien pour le moment, on touche du bois. T’es au courant qu’il a déménagé ? Il habite Paris, maintenant.

-Ah bon, je savais pas…

-Ouais, c’est rue Blanche !… (Rires).

-Arrête ! Tu m’as toujours fait marrer, Eric. (Rires).

-Sinon Manu, j’ai un truc à te demander.

-Vas-y mon biquet.

-Ben voilà, je voudrais être Ministre de la Justice. Garde des Sceaux, quoi…

-Tu rigoles ou quoi, là ? T’es fâché avec toute la magistrature. Si tu veux un copain avocat à la Justice, dans le genre, ça pourrait être aussi bien Delarue… Le père.

-Non, non. Delarue se tient tranquille, il a tout ce qu’il faut. Il veut profiter de sa retraite bien peinard.Tout ce qu’il aimerait, tu sais comme il est vaniteux, c’est la légion d’Honneur. Si je deviens Ministre, je la lui donnerais. Ça coûte rien. De la poudre… aux yeux ! Mais ça fait plaisir...

-Donc toi à la Justice ?! Mais pourquoi pas tant qu’on y est Paul Bensussan à la protection de l’enfance ?!… Ou Rachida Dati à la culture (Rires). Et puis, je croyais que tu ne voulais pas… Tu l’avais dit…

-Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Maintenant, je dis « oui ». Et puis, tu vois, je serai alors aux commandes. J’ai quelques petits trucs à régler.

-Vas-y mollo, quand même.
-T’inquiète pas, tu me connais.

-Ben, justement (Rires).

-Pour moi, ce poste, c’est un challenge… J’ai besoin de ça. C’est ma drogue, enfin une drogue (Rires).Et puis, ma maman aimerait bien, tu comprends ça ? Après le pognon, les bagnoles, les belles baraques, les visons, la renommée, les passages à la téloch, les émissions people où ça rigole bien, le cinéma, le théâtre, et tout ça… Tu comprends Manu ? J’en suis sûr. Faire plaisir à sa maman ?!

-Je comprends, je comprends. D’ailleurs moi, la mienne, je l’ai faite première Dame ! (Rires).

- Bon alors, c’est ok Manu ?

-Je vais voir, mais ça va pas faire plaire à tout le monde… Il va me falloir blablater pas mal...

- Sois pas modeste, Manu ! Entuber le monde, tu sais faire ça toi aussi… Et tu comprends, c’est-à-dire que tu vois, c’est comme un renvoi d’ascenseur. J’ai quand même rendu service au pays et pas mal mouillé la toge au moment où c’était gravement la merde…

-C’est-à-dire ?…

-Fais pas l’andouille, Manu ! T’étais tout petit à l’époque, ok, mais j’ai quand même largement participé à étouffer la sale histoire d’Outreau... Ça a pas été simple, tu sais. On rentrait dans une très très mauvaise crise. Politique, je veux dire… Avec Dutroux en Belgique... , les affaires, tout ça… Et en plus, Sarkozy, tu sais, l’homme au bracelet qui t’a précédé (Fais attention à toi aussi…), il voulait à tout prix la suppression du juge d’instruction, et ça tombait au poil...

-Oui, on m’ a raconté. T’as vraiment bien bossé à l’époque, Eric... C’est vrai que pour l’entubage, tu n’es pas mal non plus. En y réfléchissant, la politique, c’est peut-être fait pour toi… Mais sur l’affaire d’Outreau, on m’a dit de fermer mon clapet. Même si j’ai pas tout compris.

-Rassure-toi, t’es pas le seul. D’ailleurs c’était fait pour… Bon, après avoir pas mal mouillé la toge, l’affaire était comme sur des « rails »… (Rires).

-Elle est pas mal, celle-là !...

- En fait, j’ai été aidé par l’édition, les journaleux, et tout et tout. Des tas de bouquins sont sortis avant l’appel qui essayaient tous de prouver l’innocence des condamnés à Saint-Omer (tu connais pas, c’est un bled du Nord). Bref, ils ont été publiés dans l’illégalité…

-Ah bon ? Pourquoi ?

-Parce qu’il est interdit d’influencer le cours de la justice. Enfin, normalement (Rires). Y a des bouquins qui ont beaucoup compté. Ils racontaient des bobards, mais le public pouvait pas savoir, tu comprends.

-Je comprends très bien. Il y a des choses qui…

-Ben voilà ! L’Aubenas, elle a écrit La Méprise, qui a eu beaucoup d’influence sur le public. Et sur les futurs jurés du futur procès donc... Tu l’as pas lu ?

-Ben non. J’avais même pas 30 ans… Je lisais pas beaucoup. Je venais de sortir de l’ENA..

-Bref. Bon Manu, tu vois ça serait bête pour tout le monde si les choses-les vraies choses- finissaient par se savoir… Des fuites, des trucs comme ça. Ça s’est vu déjà...

-J’ai compris mon Ricou. J’ai compris. T’as toujours su trouver les arguments convaincants (Rires). Tu vas l’avoir ton siège. Tu feras la surprise à maman Moretti... En tout cas, promets-moi un truc Eric . Si tu deviens Ministre, refais-moi s’il te plaît le coup de la non légalisation du cannabis, avec tes gros yeux, et tout et tout… Que le cannabis c’est pas bon, que c’est pas bien pour la jeunesse. Ahahah ! Ce numéro m’a toujours fait bien rigoler. Mais si t’es un jour prochain Ministre des lois pour, es qualité, (t’as vu la classe?) à nouveau raconter ça, toi ! Alors là, chapeau l’artiste !..

-Ok, je sais faire..

-Un dernier truc : si tu files un jour la breloque de la légion d’honneur à ton pote Hubert Delarue qui en a tant envie, invite aussi Eric Dussart (La Voix du Nord) et Florence Aubenas. Les journaleux qui ont super bien bossé aussi pour enterrer le machin.

-D’accord. J’inviterai aussi mon vieux pote du Figaro Stéph Durand -Souffland... Mais je pourrais peut-être pas donner la légion à tout le monde…

-Florence, tu sais bien, elle a déjà pas mal de machins, genre Commandeur des arts et des Letres, Docteur honoris causa de l’Université de Louvain, en Belgique… La légion d’honneur pour elle, je sais pas...

-Ahaha ! De toute façon, plus c’est gros, plus ça passe. Les gens sont cons, ça aide pas mal. Allez ciao. Je te tiens au jus, mais comme ma femme, elle t’adore, ta nomination va passer… Belle réussite, mon petit père ! Belle revanche sociale !! Tiens, j’en pleure de rire ! Sniffff… Et puis, comme disait autrefois une autre maman toute contente de la réussite fulgurante de son fiston chéri : Pourvou qué ça doure ! »                 Au fait, Eric, quand tu seras Ministre de la Justice, évite à l’avance les bras d'honneur en public comme tu en as l’habitude, si tu veux bien. Par exemple à l’Assemblée Nationale. Là, ce serait plus marrant du tout. Les gens ne sont pas obligés de connaître ta vraie personnalité. Promis ?

-Juré !

Eric, fils du peuple, ou : la valeur n’attend pas le nombre des années

Retour en arrière.

Quant à la formation et vocation du grand homme, sur laquelle il aime revenir sans cesse. J’ai été maçon, j’ai été masseur. J’ai fait des tas de petits boulots pour payer mes études. Je suis pas un gosse de riche, moi. Je viens d’un milieu modeste. J’ai perdu mon père jeune. Ma mère (la brave femme) était femme de ménage (terrible!). Pourquoi donc insister autant ? Pour dire : je ne suis pas né, moi, avec une cuillère d’argent dans la bouche. Je me suis fait moi-même. Je ne dois rien à personne. Self made man mode franchouillard, qui trimbalait des sacs de ciment sur son dos. Je me suis haussé jusqu’au sommet à la force de mes petits bras et de mon intelligence ; de ma détermination, de ma volonté, de mon labeur. Je voulais en découdre. Je voulais une revanche sur la vie. Je voulais y arriver, quoi qu’il en coûte… Mon « absence de scrupules », dites-vous ? La belle affaire ! Il fallait bien marcher sur quelque chose pour se hausser. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Marcher sur les victimes, par exemple. Pas toujours marrant, mais bon, parfois il faut le faire, si on veut gagner. Piétiner par exemple des petits gosses violés et traumatisés comme dans l’affaire d’Outreau. C’est comme ça. Faut savoir ce qu’on veut.

Mais le bonhomme, après avoir évoqué sa rhétorique « Ricard-olives », n’hésite pas non plus à se comparer tranquillement, pour expliquer sa vocation d’avocat : « Comme Claudel (excusez du peu), qui a rencontré Dieu en entrant dans une église, moi j’ai voulu devenir avocat en entendant à la radio la condamnation de Christian Ranucci. J’avais 15 ans. »

Puis le Dupond, devenu avocat en effet, et considérant sans doute banal et commun son patronyme, ajouta à son nom celui de maman, Moretti, pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Savait-il que Moretti, nom par ailleurs d’une célèbre bière italienne, était en quelque sorte le Dupond italien ? « Como piace a noi », dit son récent spot publicitaire (celui de la bière). Il est vrai aussi que l’on a retrouvé dans une voiture en Isère il y a quelques années, pour une raison que l’on ignore, plein de sachets de cannabis avec dessus l’effigie de Dupond. « Le cannabis Dupond, ça rend moins con ! ». Voilà un autre beau slogan...

Bref, maintenant devenu riche et célèbre, bon vivant, bons restos, bons vins, corridas, faucons et vrais vignobles, propriétés, voitures de luxe, etc. Tout ce qu’il faut pour se placer au-dessus du commun, du vulgum pecus, comme on dit pour faire style. Être heureux en somme.

Ah, la corrida, dont on vient de causer ! Dupond, grand afficionado. Et puis, l’esprit viril si cher à notre ténor, y trouve son compte : de la sueur, du sang et des larmes.

Eric Dupond-Moretti et la corrida

Peu charitable mais informé, le site Médiapart titra un jour : « Procès des attentats de 2015 : la visio-conférence rejetée, le Ministre au tapis. » Développant : « Cette fois, Eric Dupond-Moretti a été mis au tapis dans l’enceinte d’une cour d’assises. Le Ministre de la Justice s’était implicitement invité au procès des coupables présumés des auteurs des attentats de janvier 2015. Il en a été éconduit vertement lors de l’audience. »

Est-ce seulement possible, le sumo de la justice mis à terre ? Celui qui, en ces temps jadis de flamboyance éructative, surnommé Acquitador, devenu par une malice confraternelle, Acquitator (acquitte-à-tort), celui-là même qui faisait trembler les magistrats, a donc goûté, vaincu, à l’âcreté   de la poussière.

Ce ne fut pas cependant la toute première fois, puisqu’il fut traité en son temps, par un magistrat courageux et isolé de « petit accusateur public . »

Ce fut le cas aussi à Rennes, au procès dénommé parfois Outreau III de Daniel Legrand fils. C’était en quelque sorte pour assurer le service-après-vente de Outreau I et II.

A Rennes, en 2015, mêmes procédés, mêmes techniques, même surjeu. Tout ce qui avait fait le succès d’EDM auprès du grand public depuis Outreau, et sa fortune, aussi boursoufflée que le personnage. Et puis, notre avocat aime bien défendre, entre Yvan Colonna, Nicola Karabatic, Bernard Tapie, Karim Benzema, Jérôme Cahuzac, Alexandre Djouhri, Abdelkader Merah, Georges Tron, Balkany ou Mohammed VI,  roi du Maroc, ou les pilotes d’ « Air Cocaïne » ; aime bien défendre « gracieusement », donc, des petites gens sans le sou. Loin des délices de la « blanche » dont il se défend, il dira préférer une bonne suée judiciaire sous afflux de testostérone et montée d’adrénaline. Le 2 février 2019, L’Express titra : « L’avocat des humbles défend la Présidence du Congo et gravite autour de plusieurs despotes du continent africain ». Pas charitable, L’Express !Mais Dupond, outre l’argent honnêtement gagné, savoure avant tout la défense de rupture  des déclarés d’emblée par lui« innocents », injustement accusés des pires choses par une justice sans cœur et sans âme. Défendre des coupables doit être trop fatigant pour lui, même si, comme il l’affirma jadis avec son orgueil démesuré habituel, il aurait bien défendu Hitler en personne, si celui-ci, comme on le sait sans doute, n’était déjà mort.

En outre, après le théâtre, le cinéma: une émission grand public à sa gloire? Est-ce seulement possible ?

 En décembre 2022, est programmée une émission consacrée à restaurer ou consolider l’image de Dupond-Moretti. Ce sera dans Complément d’enquête sur France 2, animé par Julien Daguerre. L’émission s’intitule : Dupond-Moretti, Le Coup d’éclat permanent. La référence au livre de Mitterand, Le Coup d’état permanent est-elle claire pour tout le monde ? En tout cas, le Dupond sera interviewé à domicile, dans son bureau du Ministère, s’il vous plaît. Le service publicau service de la communication personnelle d’un ministre en exercice ? Parler de « propagande » est-il excessif ?

Ainsi, pour assurer tout de même un peu de contradictoire dans l’émission, plusieurs magistrats furent approchés. Tous se défilèrent, sauf un. Aucune envie d’avoir maille à partir avec leur désormais tout-puissant Révizor: il était devenu Ministre...

C’est dans ce cadre que Julien Daguerre contacta la psychologue Hélène Romano, qui avait rencontré quelques déboires professionnels avec Dupond. La psychologue accepta. L’équipe, composée de trois journalistes, se rendit chez elle, à Lyon, et enregistra durant une journée entière. Mais, une semaine plus tard, volte-face. Au montage, les propos d’Hélène Romano furent d’un coup jugés gênants pour Dupond. On fit état, également, de la possibilité pour celui-ci de se défendre en contre attaquant méchamment. Les mauvais esprits parleront de « pressions » sur des journalistes d’une chaîne publique. Et l’on apprend aussi, par ces mêmes journalistes, que certaines personnes tenant, par ailleurs, des blogs sur Médiapart figurent dorénavant sur une « liste rouge »… Interdit de chaîne publique : est-il seulement possible d’en survivre ?

Mais que reprochait-on (autrefois !) à l’avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti ?

Dans Le Point du 18/12/17, parut un article signé de la magistrate, maintenant décédée, Michèle Bernard-Requin, dont on se souvient des apparitions à la télévision. Elle écrivait ceci :

« Ce que je n’aime pas chez lui :

1) Les volte-face.

  2) La violence verbale :

Défense de rupture, pugnacité de la défense, volonté d’anéantir témoins et experts défavorables à sa thèse, au besoin en les maltraitant lorsqu’ils tentent de déposer. Des experts et des témoins malmenés raconteront peut-être un jour comment ils ont vécu cela en essayant simplement d’apporter leur concours à la justice . 

3) La discourtoisie. (terme choisi dont on apprécie a contrario la valeur euphémique). »

La magistrate ajoutera que ce qu’elle aime, c’est la « sérénité des débats, le respect de l’adversaire, le débat dans la politesse »… Nous sommes en effet un peu loin du compte. Dupond s’évertue à faire exactement le contraire. Normal, c’est justement sa stratégie.

Hélène Romano, docteure en psychopathologie et en sciences criminelles est également psychothérapeute, spécialisée dans le traitement des traumatismes psychologiques. Elle est donc convoquée comme experte à Rennes, en 2015, au procès de Daniel Legrand fils par les parties civiles.

A ce propos, plus tard, au moment de la nomination de Dupond, et sous le titre « Nomination d’un Garde des Sceaux showman des prétoires », elle écrivait notamment sur son blog (7/7/20) :

« Le premier à remonter les manches, au sens propre comme au figuré, est maître Dupond-Moretti, qui vient se planter juste en face de moi, me faisant bénéficier de son haleine putride et de ses postillons. Il s’agite, éructe, se fâche, brasse de l’air, devient tout rouge, transpire à grosses gouttes, a les yeux qui sortent des orbites, trépigne. Il présente une authenticité factice qui crée une confusion inévitable face à ceux soumis de l’écouter. Il impressionne mais, surtout, terrorise son auditoire, car il sait qu’il n’y a rien de plus efficace que la terreur pour créer la crainte, le doute et obtenir la soumission du public à sa cause […]. J’ai en face de moi un guignol pathétique […] mais, au final sans aucun argument. Il ne sait plus qu’invectiver, sûr d’être adoubé par le public. Mais il se trompe. Tout ceci n’est que du théâtre, car derrière ses propos, c’est le vide sidéral […]. Dès qu’il est face à des avis contradictoires, il lance des termes qui visent à sidérer et à interdire tout échange : ceux qui prêtent attention aux enfants ne sont que des négationnistes, révisionnistes ou des extrémistes. Lui seul détient la vérité. Il se comporte comme un prédateur prêt à tomber sur sa proie qu’il n’hésite pas à massacrer comme il l’a fait au cours des différents procès pour les enfants victimes et les témoins. »

Méchamment vexé donc, à l’époque de l'article d'Hélène Romano,  EDM dut s’en plaindre à son influent copain du Figaro, Stéphane Durand-Souffland, ancien président de la très respectée Association des journalistes de la presse judiciaire, celui qui écrit les bouquins du Rodomon des Assises en prenant des notes sur le coin d’une (bonne) table. Et Durand fut chargé courageusement de planter quelques banderilles acérées dans le dos de notre experte. En sortit un article à charge contre la psychologue sous le titre : « Le CV clinquant d’une psychologue médiatique. »

 « Sollicitée sans cesse par les médias, témoin lors du dernier procès d’Outreau, Hélène Romano enjolive ses états de service. » « Médiatique », la psychologue ? Tiens, tiens : son visage, pourtant plus avenant, reste beaucoup moins connu du grand public que celui du gracieux Acquitator. Peu importaient les contre-vérités soutenues dans l’article, le mal était fait… Et l’orgueil blessé de Dupond un peu consolé.

En tout cas, gare à qui s’en prend d’oser tenir tête à EDM.

Quant à de possibles pressions exercées sur des émissions documentaires diffusées sur des chaînes publiques risquant d’écorner une image si laborieusement construite, il n’a rien dit.

Bref, personne ne croit plus trop aux histoires extraordinaires et aux fanfaronnades du Tartarin de la justice estampillé Chasse-Pêche-Nature et Traditions. Fini le bon temps jadis, celui où on gagnait, peu importaient les moyens rhétoriques, à tous les « coups ». Où est-il donc passé, le soldat Fanfaron, le « miles gloriosus » de la comédie latine atterri en plein XXI e siècle ?

L’homme-Matamor, qui aime volontiers citer Nietzsche parce-que-ça-fait-bien, cite aussi Voltaire, ou plutôt, l’assène constamment : « Mieux vaut 100 coupables en liberté qu’un seul innocent en prison. » Etait-ce une philosophie, une règle de conduite , ou un aveu ?

L’artiste aurait dû cependant réviser sa culture littéraire, car Voltaire, contrairement au bonhomme, était beaucoup trop fin pour se permettre d’affirmer une telle ineptie. Plus exactement, il écrivit, faisant parler ainsi un de ses personnages : « Mieux vaut se hasarder de libérer un coupable que de condamner un innocent. » C’est dans un conte philosophique : Zadig ou la Destinée. Entorse à la vérité donc chez Dupond, mais vénielle cette fois-ci.

En bout de course, il s’essaya au cinématographe, ne changeant guère, somme toute, ni de métier ni de  personnage. Il avait des dispositions. De la même façon, il espéra aussi faire profiter les radios du pays de ses talents et de sa grosse voix, qui peut se faire de velours. Puis, préféra au final le théâtre, terrain moins glissant sans doute ; la cire des planches remplaçant celle des parquets. Et puis, le théâtre et sa magie où ses talents de comédien-né  pourront, et enfin et sans contradictoire aucun, s’exprimer librement devant un public conquis d’avance et qui aura payé cette fois-ci pour ce spectacle-là. Mais au final, EDM choisira plutôt de répondre « présent » aux sirènes du brouhaha politique.

Lui qui aime tant la corrida, aura ainsi préféré cette arène-là. L’avenir nous dira, du torero ou du taureau, quel rôle exact il y aura joué.

Dupond apparaîtra donc aussi au cinéma. Qui peut le plus peut le plus peut le moins. Dans un film de Claude Lelouch. C’était Chacun sa vie  (2020). Pour y jouer le rôle qu’il préfère : le sien. Enfin presque, puisqu’il incarne un Président d’Assises. Car son personnage adulé, on l’aura compris, c’est lui d’abord. Et le reste importe peu. Mais il était déjà apparu dans le film de Claire Denis, Les Salauds (2013). Rassurez-vous, il n’incarnait pas le rôle titre, mais seulement celui d’un avocat. Puis dans le court métrage d’Antoine Raimbault Vos Violences (2014). Non content d’incarner, il se fit aussi incarner. Voilà bien le sort des grands hommes : devenir des personnages. En effet, le comédien Olivier Gourmet passera deux jours sur un procès en compagnie du flamboyant avocat. Pour imiter au mieux Dupond dans Une intime Conviction (2019) d’Antoine Raimbault, déjà cité. Espérons qu’il ne copia pas les gros mots, les insultes, les gestes déplacés, etc. Vérification faite, ouf ! Gourmet a transfiguré Dupond un gros nounours combatif mais sympa, honnête, droit et convaincu. Belle performance d’acteur!

De corrida, on parla peu ici en fait. Pas bien grave, sinon que le bonhomme aime la bagarre, bien installé sur des gradins, un éventail à la main, à regarder homme et bête s’étriper…

Entre deux corridas, Dupond exerça donc son labeur, tant et plus : « J’ai le luxe de pouvoir choisir mes clients. Si vous êtes riche, c’est pas plus mal. » L’enfant pauvre tient alors sa revanche. Prêt à défendre qui en a besoin. Du lourd, de préférence.

Pour lui, le client idéal.

On s'en souvient peut-être: en janvier 2014, dans l'émission de Thierry Ardisson Salut les Terriens, il se déclarait «prêt à défendre» («sous conditions») Hitler ou Pétain… A l'époque, en revanche, il ne voulait pas défendre Robert Faurisson, une «saloperie» selon lui (alors que les autres?… bon!).

Il nuançait son propos à la télévision le 28/8/14 :«Je pourrais éventuellement défendre Faurisson à la condition qu'il ne me demande pas de dire que les chambres à gaz n'ont pas existé.» ( soit dit en passant, difficile de défendre Faurisson sur cette base, puisque c'est justement ce qu'on lui reproche d'affirmer… Autant nier l'existence de Faurisson...). Quant à Dieudonné, EDM indiquait qu'il le défendrait sans aucun problème, parce qu'il savait que l'humoriste «avait du fric» et qu'il était donc largement «solvable»… C'était, on l'a compris, une petite plaisanterie de notre grand homme d'avocat, qui n'a jamais travaillé pour l'argent, mais uniquement pour la gloire et la renommée (Ah! L'inconscient dans les mots d'esprit!), et qui ne rate jamais l'occasion de bien rigoler sur pas mal de sujets. EDM, connu pour ses facéties, s'est d'ailleurs plus ou moins spécialisé dans la défense des violeurs, des pères incestueux, des pédocriminels (présumés, hein!...) et aurait donc aimé aussi se fendre la poire avec des criminels de guerre, des collabos, des dictateurs et des génocidaires (présumés aussi!...).

Défendre Hitler répond, pour EDM, au sacro-saint principe que «chacun, quel qu'il soit, a le droit d'être défendu» ( surtout s'il est solvable, bien entendu...). C'est donc très bien, Maître, d'avoir des principes… Et puis, la défense d'Hitler suit en cela le célèbre adage que vous affectionnez :«Mieux vaut cent Hitler en liberté qu'un seul innocent en prison». C'est donc logique et c'est très bien, la logique...

Hélas, patatras! Principe et logique s'effondrent d'un coup! Hitler, le prestigieux et potentiel client, est mort subitement dans des conditions dramatiques… Comme c'est dommage pour la carrière de notre défenseur qui aurait pourtant mérité d'ajouter à son déjà brillant palmarès un acquittement qui n'eût pas manqué d'être aussi considérable que retentissant

En tout cas, Maître EDM, vous avez raison sur un point: pour défendre un petit gars comme Hitler qu'a fait plein de grosses bêtises, il aurait effectivement fallu un avocat hors-normes et un tantinet balèze. J'ai beau chercher autour de moi, je ne vois que vous pour faire le job. Gageons que si Hitler, cet étourdi inconséquent, avait appris qu'il aurait pu devenir votre client, il aurait prudemment tourné sept fois dans sa main la crosse de son Walther PPK avant de se suicider de façon si irréfléchie.

Ainsi donc, cher Maître, grâce à vous, dans les oubliettes de l'histoire judiciaire les Isorni, les Collard et autres Tixier-Vignancourt!… Les Vergès, le défenseur de Barbie!… Petit-bras et compagnie, tout ça! Barbie! Pfff... faites-moi pas rire!… Un sous-fifre sans envergure… Hitler au moins, c'est du sérieux!… Un accusé de poids taillé à votre mesure, un client idéal pour un acquittateur tel que vous!...

Et puis, en y réfléchissant un peu, c'est pas si difficile de défendre Hitler… A la condition toutefois de réunir à soi seul de nombreuses compétences: un talent certain, de la vivacité et de l'à-propos, du culot, une grande gueule, de gros yeux, de l'ambition; une présence scénique, un sens affûté de la théâtralité. Une absence de scrupules, une indifférence pour les victimes, un narcissisme bien structuré; le goût prononcé du défi, la volonté d'en «découdre»; un accès direct et rapide aux grands médias. Un mépris total pour la morale et la vérité; un zeste d'humour lourdingue, une pointe de cynisme et une ironie un peu méchante. Trois tours de moulin de perversité (les victimes deviennent coupables et les coupables deviennent victimes); une pincée d'hypocrisie. Un besoin irrépressible de revanche sociale. Une violence à fleur de peau. Une fureur surjouée. Un don certain de la stratégie et de l'embrouille, une parfaite connaissance de la rhétorique et de ses effets. Un courage de Matamore. Grandiloquence, sévérité, douceur, larmoyance selon les cas. Beaucoup d'opportunisme et une mauvaise foi à toute épreuve… Pour parachever, tel le Raminagrobis de la fable, une «bonhommie de saint-homme de chat,/ Bien fourré, gros et gras,/ Expert arbitre sur tous les cas»… Le tout à servir bien chaud devant un auditoire béat de crétins subjugués par le bel organe… Eût-il été possible, cher Maître, que vous possédassiez tout ou partie de ces sublimes qualités?...

Seulement voilà, patatras! La réalité historique a été impitoyable avec vous et Hitler, malheureux suicidé du Reich, n'aura pas connu le bonheur de voir briller les mille facettes de votre chatoyante et riche personnalité, ni la joie ineffable de bénéficier de vos incomparables services… Il est mort trop tôt, voilà tout, ou vous êtes né trop tard.

Cependant, et pour ne pas terminer ce propos sur une note aussi mélancolique, imaginons quand même ce formidable événement: la rencontre de nos deux géants...

Je suggérerais alors, très cher Maître, quelques pistes de réflexion à la défense putative de votre prestigieux client:

-Absence cruelle de présence paternelle, enfance terne et sans joie nourrie de frustrations, adolescence pleine d’acné et de déceptions sentimentales, échec artistique, ambition flouée, Traité de Versailles (qui chagrina tant votre client), crise économique (là, c’est comme d’habitude), circonstances historiques particulières dont votre client ne peut être tenu personnellement pour responsable, etc.

-Vous n’aurez ensuite aucune difficulté à montrer, même malhonnêtement, que l’Instruction a été bâclée, que son secret n’a pas été respecté, même si ce n’est pas vrai : peu importe, si ça marche. Que la longue détention provisoire d’un homme de près de 60 ans est inhumaine, que la « présomption d’innocence » est constamment bafouée. Que les témoins de l’accusation, que vous interrogerez des heures durant en les interrompant sans cesse, se mélangent les pinceaux et sont, par leur seule présence, la preuve que votre client ne les a pas tués.

-Et, en finale solution, que les experts invités par l’accusation à témoigner à la barre ne sont que des charlatans incompétents, des militants exaltés et violents, des jusqu’au-boutistes, des empêcheurs virulents de gazer en rond.

Voilà, œuvre de justice a été faite! Un bon et bel acquittement s'obtient à ce prix.

Poursuivons le passionnant parcours de Dupond, où il sera curieusement question aussi de cochons.

 Le procès Loïc Sécher

Défenseur de l’ouvrier agricole Loïc Sécher, accusé de viol sur mineure, Dupond parlera des différents procès qu’il considéra tenus sous la « dictature de l’émotion ». Pas mal. Sécher fut définitivement acquitté en 2021.

Mais l’expression, qui fit florès, avait déjà été utilisée. Dans un livre, La Dictature de l’émotion, du psychiatre Paul Bensussan et de l’avocate Florence Rault (2002). Voilà ce qu’en racontait la présentation : « Tout indique que notre société, bouleversée par quelques affaires particulièrement atroces, est entrée dans l’ère du soupçon. En matière de protection de l’enfant, l’heure est à l’obsession de la maltraitance sexuelle et aux amalgames expéditifs. » Rien de moins. Que de dégâts en perspective commis par de prétendues victimes sur de pauvres gens qui n’ont jamais rien fait de mal !… Le monde à l’envers.

En tout cas, EDM reprend au vol l’heureuse formule, dont il oublie cependant de pointer la contradiction : le terme « dictature » étant lui-même chargé de tas de choses désagréables… et d’émotions.

Pour l’anecdote, Loïc Sécher sera donc acquitté. Dupond pondra un bouquin qui obtiendra le Prix littéraire Comte de Monte Cristo (voir plus loin). Sécher, comme pour remercier son défenseur, baptisera deux de ses cochons Dupond et Moretti (mangés depuis). Authentique.

Quant à l’éminent psychiatre Paul Bensussan, Maître Dupond n’aurait aucun mal à convenir que lorsque celui ci montre le bout de son nez dans une affaire judiciaire, c’est qu’il y a un pédocriminel (un vrai) à sortir de l’embarras. En 2022, quatre associations de protection de l’enfance demandèrent des sanctions disciplinaires contre lui. Et son retrait de la liste des experts judiciaires. Elles notèrent des « manquements récurrents qui aboutissent systématiquement à nier la parole de l’enfant. » Et aussi que « Bensussan conclut invariablement que les dénonciations de l’enfant sont peu fiables et voit dans tous les dossiers qui lui sont soumis des manifestations du syndrome d’aliénation parentale (SAP) ou des influences ou manipulations maternelles. »

Bensussan, par ailleurs cité par la défense de Daniel Legrand à Rennes, fustigera les experts dans un article du Figaro (là, vous savez, où écrit Stéphane Durand-Souffland, intime de Dupond) : « Comment expliquer un tel acharnement ? Que signifie cette volonté rédemptrice d’ériger l’innocence meurtrie d’enfants victimes d’actes les plus odieux, en innocence meurtrière (carrément!), commuant en autant de coupables tous les adultes pointés par le doigt enfantin ? La question se pose, devant un tel fanatisme (le mot est faible) de la compatibilité des fonctions d’expert judiciaire et de militant ». En cela, il vise particulièrement l’experte Marie-Christine Gryson. Bensussan fera des pieds et des mains pour réclamer la désinscription de cette experte de la liste officielle. En novembre 2015, vient à la rescousse une fois de plus Stéphane Durand-Souffland, toujours dans Le Figaro : « La psychologue d’Outreau privée de son titre d’expert. » Visiblement, Bensussan et Durand sont tout contents. Même si cela ne correspond nullement à la réalité, le mal est fait : Madame Gryson a toujours le droit de faire des expertises judiciaires. Elle est simplement tenue de prêter serment à chaque fois. Durand donc, toujours fidèle au poste, et toujours prompt à réagir quand il s’agit de machins concernant son copain Dupond. Quels liens unissent exactement Dupond et Durand, hormis l’amitié ? Des intérêts partagés et bien compris ? Copains comme cochons, en tout cas.

L’affaire d’Outreau.

Celui qui porte maintenant le nom de deux gorets était arrivé en décembre 2001 en remplacement de l’avocat commis d’office pour défendre Roselyne Godard, commerçant ambulante surnommée « la boulangère ». Pourquoi donc est-il là ? Peut-être pour la tirer d’un très mauvais pas. Car dans la célèbre affaire judiciaire, il est question à plusieurs reprises de cassettes vidéos pédopornographiques qu’elles transportait dans sa camionnette pour ensuite les écouler. Et que des cassettes furent effectivement retrouvées. Ce que le public ne sut jamais. Elles avaient été découvertes dans le hangar qu’un agriculteur louait à Roselyne Godard. L’agriculteur en question avait remarqué pas mal de va-et-vient à proximité de sa ferme et de son hangar. Notamment des véhicules immatriculés en Grande-Bretagne. Et comme l’affaire en était encore à l’instruction, il prévint la police. Des cassettes vidéos furent en effet trouvées. Avions-nous là un de ces éléments matériels qui faisait tant défaut ? Les cassettes, au nombre d’une trentaine furent placées sous scellés, comme c’est l’usage. Pour être ensuite expertisées. Mais dommage (pas pour tout le monde sans doute), les cassettes disparurent. Pas d’expertises ! Pas non plus dans le dossier de rapport de destruction. Volatilisées. Il faut dire qu’un policier était à la manœuvre et veillait au grain. Un policier, comment dit-on ? Ripou, oui c’est ça… Tant pis pour la vérité, elle en a vu d’autres.

Puis l’Ogre des Assises déploya ses talents lors des différents procès (Saint-Omer, puis Paris en appel. Plus tard, à Rennes). L’ogre ? Est-ce celui dont parlait Florence Aubenas dans son livre La Méprise, farci de mensonges et de falsifications, qui concourra pourtant, et grandement, à l’acquittement de tout le monde à Paris en 2005 ? Elle y écrivit dans sa Préface : « C’était une histoire qui fait peur dans le Nord de la France, des ogres et des ogresses avaient abusé de petits enfants pendant des années. » De quels ogres parle-t-elle donc ici ? Florence Aubenas, on s’en souvient, extirpée in extremis des geôles irakiennes le 12 juin 2005, pour finir le boulot commencé pour Libération en mai 2004. Même si la publication de son livre avant l’appel était interdit par la loi. Pas grave. Il y en eu tant et tant d’autres. Dont l’ouvrage des journalistes du JDD Trappier et Barret qui n’hésitent pas à déclarer en préambule de leur innommable machin de 800 pages titré Le Calvaire des Innocents d’Outreau (ils n’ont pas encore été jugés en appel…) qu’ils étaient, en tant qu’auteurs, « affranchis » des règles concernant la vérité judiciaire dite d’abord à Saint-Omer (2004)… Mais « affranchis » par qui, exactement ? Bon, après tout, la loi, on en fait bien ce qu’on veut. Surtout quand on est du côté du manche et que l’on obtient l’autorisation de la transgresser. Sur ce point, EDM resta coi. On sait maintenant qu’il est capable de pas mal de choses, y compris d’incohérence et de mauvaise foi. L’important restant de gagner : que mon client soit coupable ou innocent m’importe peu, dit-il souvent. Ce qui compte, c’est gagner. A tout prix. « Les hommes sont si simples et si faibles que celui qui veut tromper trouve toujours des dupes. » (Nicolas Machiavel).

En tout cas, Florence Aubenas sera là, hilare, au premier rang, en compagnie du journaliste Eric Dussart de La Voix du Nord, et de plein d’autres gens importants, lors de la remise de la légion d’honneur à l’avocat Hubert Delarue par le Garde Sceaux Dupond, comparse et acolyte. Delarue père s’était fait lui-aussi connaître du grand public grâce à la même célèbre affaire. Qui fit bien des heureux, au final. Dupond lui remettra la distinction (Delarue aime honneurs et flatteries, lui aussi), en omettant toutefois de rappeler que lui-même l’avait refusée en 2013. Il avait manifesté son « mépris » pour une telle breloque inutile. Allez comprendre.... Un retournement de plus ?

EDM écrira des tas de bouquins, qui lui rapporteront beaucoup d’argent (il n’en a jamais assez) avec le nouveau copain du Figaro qu’il s’est fait à Saint-Omer lors du procès, Stéphane Durand-Souffland. Il est partout, dorénavant.

A propos justement de Légion d’Honneur décernée pour services rendus, elle fut accordée aussi en 2021 au magistrat Stéphane Cantero. Il était avocat général au procès de Rennes en 2015 (Outreau III), où l’on jugeait donc Daniel Legrand fils pour sa période minorité. Cantero occupa durant la procès (nous y étions), une place fort particulière. Car, du début à la fin, oubliant sa fonction de Procureur, il défendit bec et ongles l’innocence de Daniel. A tel point que, renouvelant leur exploit de l’appel de Paris en 2015, les avocats de la défense, dont Dupond bien sûr, le copain Delarue, Berton et toute la bande (six avocats pour un innocenté d’avance…), ne prirent pas la peine de plaider. L’acquittement de leur client était… acquis ! Le soir, toute la petite bande allait convivialement casser une petite croûte dans le coin, pour parler de choses et d’autres, en compagnie notamment du journaliste du Figaro Stéphane Durand-Soufflant, et de Florence Aubenas, toujours là, et tout sourire.

Cantero qui déclarera : « Le drame d’Outreau, c’est que les enfants ont été trop écoutés. ». Propos banal. C’est bien connu : les enfants s’ennuient, ont beaucoup d’imagination, donc inventent et se racontent des histoires de sodomie pour s’occuper…

Il publia , en 2023, un livre, ou plutôt un opuscule sans intérêt ni talent de 70 pages (Outreau, une Terreur judiciaire), qui reprend les mensonges déjà dits et suffisamment nombreux pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir constamment. Sauf si l’on sait qu’un mensonge répété mille fois accède au rang de vérité ? Cela lui permettra en tout cas de faire une savante conférence là-dessus à l’Université de Bretagne Sud. Au cours de laquelle il déclarera notamment : « A part les enfants Delay, les 8 autres enfants n’ont rien subi ». Pourtant, ces enfants ont été reconnus victimes par la justice. Il s’agissait donc d’une « vérité judiciaire » qu’il est interdit de contester. La contester est un délit. Cantero le sait parfaitement, mais le fit publiquement, sans aucun problème. Il faut dire que Philippe Houillon, avocat de formation, député et Rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur l’affaire avait fait de même dans son bouquin, sans problème non plus... « Selon que vous serez puissant ou misérable, etc.etc. » Rien de nouveau depuis La Fontaine. Cantéro, désormais absous à l’avance de tout pécher, Procureur placé (par l’opération du Saint-Esprit) au-dessus des lois communes, et devenu « écrivain », est-il en passe de devenir, lui-aussi, un grand homme ? Ses mensonges pourraient le faire penser. Car, outre ses fonctions de magistrat intègre et droit, il est aussi musicien et a sorti un disque. Espérons que sa musique est meilleure que son écriture.

Dupond parlera de Cantero dans un de ses livres, Direct du Droit en ces termes : « L’avocat général, Stéphane Cantero, s’est montré à la hauteur de l’enjeu. Il a demandé à la Cour et aux jurés d’acquitter Daniel Legrand, au terme d’un réquisitoire charpenté et argumenté. » Bon, puisqu’il le dit. Mais quelques pages avant, il avait écrit ceci : « Si le juge est supposé instruire à charge et à décharge, il en va autrement pour le parquet : poursuivre à décharge n’aurait aucun sens ! » Membre du Parquet, Stéphane Cantéro aurait donc commis un acte dénué de sens en demandant l’acquittement du fils Legrand… Il faut relire sa copie, Maître Dupond.

Mais revenons à nos moutons. On s’en souvient peut-être, en raison de la durée de leur incarcération, les acquittés de l’affaire d’Outreau furent indemnisés de manière conséquente et exceptionnelle, puisque furent versées, pour les 13 acquittés, la somme  tenue secrète, de 10 millions d’euros, soit une moyenne de 800 000 euros chacun. Certains furent plus indemnisés que d’autres, et le père Legrand, par exemple, le déplora. De son côté, l’huissier Alain Marécaux remporta la palme, car on estima la somme qu’il toucha à 2 millions d’euros.

Toutes et tous refirent leur vie, avec plus ou moins de bonheur. Daniel Legrand eut des ennuis avec la justice (trafic de drogue et violences conjugales). Les époux Lavier furent condamnés en 2012 pour violences sur deux de leurs enfants. Le père, Franck Lavier, sera mis en examen pour le viol présumé d’une de ses filles, depuis 2016. Il sera, bien entendu, acquitté. Mais là, c’est sur des rails. Plus besoin de Dupond. Ça acquitte tout seul. Enfin, presque : en 2023, il écopera de 6 mois de prison avec sursis pour agression sexuelle sur une de ses filles. Son nom sera même inscrit au FIJAIS (fichier des auteurs d’infractions sexuelles). Pas très classe pour un innocent, acquitté, indemnisé, reçu par la Premier Ministre de l’époque, etc.

Quand la géométrie logique de Dupond devient donc variable

L 'avocat lillois avait donc été rapidement propulsé sur le devant de la scène médiatique, comme on l’a dit. Vraisemblablement là-bas, ce fut autour de lui que s'organisa la stratégie de la « défense groupée » et celle de la « défense de rupture ». Dupond-Moretti avait en effet beaucoup appris de son ami et mentor Jean-Louis Pelletier, qui fut l'avocat de Jacques Mesrine. Dupond défendit, comme on l’a dit, Roselyne Godard (la « boulangère ») lors du premier procès à Saint-Omer en 2004, où il se fit remarquer par ses coups de gueule, ses invectives, ses intimidations, particulièrement à l’égard des témoins, des experts et surtout des jeunes enfants, devant lesquels il était facile de jouer au Croquemitaine. « Je ne fais peur qu’aux cons », avait-il gentiment déclaré. Il aurait dû ajouter : « Et aux petits enfants victimes de sévices sexuels, que je parviens à tellement terroriser qu’il ne savent plus quoi dire, bredouillent, s’emmêlent les pinceaux et finissent par se taire.» 

Puis il devint l’un des six défenseurs de Daniel Legrand fils à Rennes en 2015 (Rennes ! Tout un symbole voulu et recherché: c’est là que fut jugé et acquitté le capitaine Dreyfuss! Qui peut le plus, peut le moins…). Jugé, le jeune Legrand quant à lui, non pour haute trahison, la vilaine chose, mais pour des crimes beaucoup moins graves de viols sur mineurs concernant sa période minorité (Il fut acquitté lui aussi, qui peut en douter ?). EDM parla d’un « procès inutile ». En tout cas, l’application stricte de la loi obligeait néanmoins à qu’il soit tenu. Dupond voulait certainement dire par là qu’il était inutile de faire des frais et déplacer les gens puisque l’issue était déjà connue à l’avance. C’est pas beau la justice, quand ça fonctionne comme ça ? Que d’économies on ferait !!

 EDM avait accordé une très longue interview au journal La Tribune (le 25/06/2015) sous le titre : « Eric Dupond-Moretti : l'hypermoralisation pourrit notre société. » Les propos avaient été recueillis par Denis Lafay.

Sans entrer dans l'analyse de détail de l'article, quelques citations, et quelques remarques.

 EDM s'en prend, on l'aura compris, et c'est son droit, à l'hypermoralisation, à l'hyperhygiénisme, au puritanisme contemporains. Nous vivons dans une société qui, selon lui, infantilise et déresponsabilise : « Tout est réglementé, normé, contrôlé, stigmatisé, puni […]. Les espaces de liberté font l'objet d'une compression et même d'une traque et finissent sous le joug d'un conditionnement et de règles étouffantes qui cadenassent la pensée, oppriment les opportunités d'imaginer et d'oser, qui enferment l'expression […]. Qui constituent une négation du progrès humain. » Comme tout cela est joliment dit ! Dans la bouche de notre talentueux et suave avocat, une sorte d'hymne à la liberté, aux effluves vaguement soixante-huitardes.

Puis, très logiquement, évoquant son propre travail d'avocat : « Je refuse de teinter mon travail de la moindre morale […]. Je ne délimite qu'une seule exigence : la crédibilité de mon client […]. Que, de temps en temps, un coupable échappe aux mailles du filet judiciaire, je m'en félicite, car cela signifie que le doute a profité au justiciable acquitté. » Pourtant, c'est pour ajouter ensuite : « Les seules limites [de l'emploi d'avocat] sont déontologiques. » Puis, plus loin dans l'article, contestant la manière de travailler du journaliste Edwy Plenel et de Médiapart : « Edwy Plenel et ses séides sont en réalité abjects, et reflètent l'état d'une société qui s'affranchit des règles de conduite, d'éthique et de courage. » Rien que ça !

A propos du procès de Daniel Legrand fils à Rennes en 2015, il déclare que « les enfants Delay ont été exposés dix ans plus tard et publiquement à de funestes souvenirs qu'ils étaient patiemment parvenus à enfouir. » C'est bien, Maître, de se préoccuper un peu des enfants victimes, mais aucun psychologue digne de ce nom n'oserait affirmer que de tels souvenirs ont pu être enfouis comme ça (par la force de la volonté?). Est-ce à dire ainsi que, pour des victimes, aller en justice n'est pas bon pour leur santé ?

Après avoir dénoncé une société « victimaire » qui accorderait donc une place et un rôle trop important aux victimes, voilà ce que l'avocat déclare au sujet des réactions populaires qui ont suivi les attentats terroristes de Charlie-Hebdo et de l'Hypercasher : « Il faut retenir l'impressionnante compassion collective pour les victimes, l'extraordinaire mobilisation populaire. »

Toutefois, c’est pas bien, Maître, la « dictature de l’émotion ». C’est vous qui l’avez dit autrefois, vous vous souvenez pas ?

L'avocat interviewé en vient ensuite à parler de sa situation personnelle : « Je suis conscient d'être un bobo, un bourgeois bohème ». Mais après avoir indiqué : « Je suis avant tout anarchiste. » Comprenne qui pourra.

Enfin, parlant des jeunes et de la télévision, l'avocat anar-bobo assumé déclare benoîtement au journaliste : « Sont imposées au jeune téléspectateur une double dictature, une double règle simultanée et consubstantielle : la loi du plus fort et le rejet du vulnérable, la sacralisation du vainqueur et l'ostracisation, souvent humiliante, des perdants. » C'est vraiment touchant, toute cette sollicitude...

  Il n'est donc certes pas aisé de s'y retrouver dans la pensé un peu confusionniste, un tantinet sinueuse de Dupond-Moretti. Le tournis nous prend, quand il arrive, par exemple, que l' acquittement d'un coupable, grâce à lui, soit une œuvre de belle et bonne « justice ». Pensée donc, furieusement contorsionniste et à géométrie variable, selon les besoins, selon les cas ; opportuniste souvent, démagogique toujours. D'un côté, trop de morale ; de l'autre, pas assez d'éthique, de déontologie et de... morale ! D'un côté, trop d'importance accordée aux victimes ; de l'autre, on se félicite de l'hommage qui leur est rendu. D'un côté, trop d'émotion; de l'autre, on se réjouit de beaucoup d'émotion. A propos, toujours dans l’article, des attentats et de la réaction des Français : « Le temps de cette formidable émotion n'a pas duré. » Sans doute, ne s'agit-il pas de la même émotion à chaque fois ? D'un côté, des règles « étouffantes », donc trop de règles ; de l'autre, on ne peut « s'affranchir des règles »... Sans doute, ne s'agit-il pas des mêmes « règles » (tout dépend sûrement à qui elles sont imposées) ?

 De l’aplomb donc avant toute chose. Et avant toute logique et cohérence.

 Bref, avec EDM, c'est : comment s'arranger, d'une façon ou d'une autre, quel que soit le sujet abordé ou les circonstances, pour avoir toujours raison. C'est le travail d'un défenseur, certes, mais La Tribune n'est pas un prétoire. Et raison énoncée avec tout le naturel de l'évidence, par un avocat qui connaît parfaitement pourtant les sens des mots, sans aucune crainte de ses propres contradictions. Et puis, on a bien le droit, quand on occupe une position de pouvoir comme la sienne, que l'on est influent, écouté, que l'on fréquente du beau monde, que tous les médias vous réclament, que les journaux, les radios, les plateaux de télévision vous sont ouverts... On a bien le droit, de temps en temps, de fustiger la « loi du plus fort ». D’autant plus que l’on a été Ministre de la République.

Chapeau, l'artiste !

 Moralité ?

 A l'époque, notre vaillant EDM veille donc au grain de la bonne santé démocratique et de nos libertés publiques. Mais, curieusement, depuis 2018 et, notamment, le mouvement des Gilets Jaunes, il est resté muet sur ces questions, si ce n'est pour dire que ces gens-là sont des « imbéciles ».
Rien, pour notre infatigable avocat si prompt habituellement à hausser le ton et s'insurger contre toutes les injustices, rien. Rien sur les violences policières à l'encontre des manifestants, rien sur les blessés graves, sur les morts. Rien sur les restrictions au droit démocratique de manifester. Rien sur les journalistes empêchés de faire leur travail ou arrêtés. Rien sur les garde-à-vue préventives, totalement illégales. Rien sur les jugements expéditifs des tribunaux, rien sur les condamnations disproportionnées. Rien sur l'impunité des forces de l'ordre, rien, etc.

Là, EDM, homme de principes mais toujours proche du Pouvoir, est aux abonnés absents.

 Sans doute, ne parle-t-on pas de la même démocratie et des mêmes libertés publiques ?

Mais il y a bien d’autres choses encore à dire, comme cette curieuse affaire d’escroquerie Aristophil. Que vient faire notre Dupond national là-dedans ?

 L’affaire Aristophil

Dupond est toujours dans les parages quand il s’agit de trucs bizarres. Ainsi, comme il est nécessaire de souvent y revenir pour comprendre la résistible ascension de Dupond, Outreau à nouveau. Ou plutôt, l’après. Les plus anciens se souviennent qu’une commission d’enquête parlementaire siégea à l’Assemblée pour examiner dans le détail le supposé « fiasco » et trouver des solutions. Mais, comme souvent en la matière, d’abord exercice d’exorcisme permettant de tourner la lourde page..

En 2005, est créé le prix littéraire « Comte de Monte Cristo », (juste après les acquittements en appel, donc) qui vise à récompenser les œuvres littéraires autobiographiques. C'est Gérard Lhéritier, homme d’affaires, qui en est le créateur. Quel rapport avec Dupond, me direz-vous ? Attendez la suite.

Lhéritier, parfois surnommé le « Madoff » des lettres, qui fréquente le beau monde, de Rachida Dati à Nicolas Sarkozy, aura quelques petits ennuis avec la justice (Voyez, on s’approche). Comme le rapporte de nombreux quotidiens, dont Le Nouvel Observateur (article du 7/12/14), celui que l'on présente aussi comme le plus gros acheteur mondial de manuscrits, est inquiété dans une enquête préliminaire pour « escroquerie en bande organisée et pratique commerciale trompeuse ». Il s'agit de l'affaire Aristophil. La société, qui a ensuite ouvert une filiale en Belgique, et dont Patrick Poivre d'Arvor est le parrain et le promoteur zélé, est basée sur le malin système de la pyramide de Ponzi. Elle sera mise en liquidation judiciaire en 2015. Les souscripteurs, qui espéraient de gros bénéfices dans l'investissement sur l'achat et la revente de manuscrits rares, n'auront plus que leurs yeux pour pleurer. PPDA sera entendu par la brigade financière sous le régime de la garde à vue pour des « cadeaux » précieux octroyés à lui par Lhéritier, et pour un prêt de 400 000 euros, qui a malencontreusement disparu des comptes de la société, et dont personne ne vit le remboursement. Un krach gigantesque de près d’un milliard d’euros et 18 000 épargnants lésés. PPDA, comme « Parrain », en faisait pourtant partout la promotion. Gérard Lhéritier (homme d’affaire et escroc : les termes ne sont pas forcément antinomiques) sera jugé en septembre 2025.

Karine Duchochois, acquittée d’Outreau, deviendra en 2018, Présidente de l’Association des Amis pour le Musée des Belles-Lettres et des Manuscrits (AMBLEM), émanation d’Aristophil. C’est, bien entendu, son « ami » Gérard Lhéritier qui est toujours aux commandes.

 Mais le Prix Comte de Monte Cristo, qu’est-ce que c’est ? Et c’est là où notre Dupond remontre le bout de son nez.

Ce prix, dont la dénomination renvoie clairement au roman d’Alexandre Dumas où il est question d’erreur judiciaire, de vengeance, est doté de la somme de 50 000 euros chaque année. Il a été décerné (généralement au Fouquet's), outre à Karine Duchochois elle-même, à Dupond-Moretti, pour son livre écrit avec Loïc Sécher, Le Calvaire et le Pardon (8000 euros de récompense : pas de petits profits), aux Legrand père et fils en 2009 (acquittés dans la même affaire) pour Histoire Commune, témoignage dont la médiocrité littéraire n'est pas à prouver: il s'agit, plus précisément pour eux, de la catégorie «Prix de l'émotion face à l'injustice» (encore cette fameuse émotion servie à toutes les sauces selon les besoins du moment).

On doit préciser que Karine Duchochois devint, grâce au Madoff français, l’attachée de presse du prix littéraire en question. Ce fut donc pour elle passer du ghetto au gotha.

 Quels jurés pour ce prix littéraire ?

 -Dominique Rizet du Figaro, bien connu des téléspectateurs, spécialisé dans Police-Justice (et dans le « déminage » des affaires potentiellement explosives). Qui officie également sur la chaîne Planète+Justice (comme Karine Duchochois), mais qui est copain de surcroît avec Eric Dupond-Moretti. Dominique Rizet a commencé sa carrière au SIRPA, le service de communication des armées, et c'est sans doute pour cela qu'il a ses entrées un peu partout, notamment dans les milieux de l'armée et de la police, ce qui aide grandement quand on veut avoir accès à des informations délicates.

 -Daniel Karlin, journaliste qui a popularisé, en son temps, les travaux aujourd'hui controversés de Bruno Bettelheim sur l'autisme, et qui est auteur d'un documentaire plus récent diffusé sur France 2 (Des enfants abusés) et dans lequel il confronte («sans tabous et sans les juger») un pédophile et sa victime.

 -Le magistrat Serge Portelli, auteur d'ouvrages sur les violences faites aux enfants, mais grand défenseur de la thèse «on a beaucoup trop écouté les enfants à Outreau».

-Mattieu Aron, qui fut directeur de la rédaction de France Inter, auteur d'un récent ouvrage de compilations des grandes plaidoiries du siècle où l'on retrouve celle de l'avocat de la défense à Outreau Hubert Delarue. Mais aussi co-scénariste avec Marie-France Etchegoin du documentaire sur l'affaire Alègre Notable, donc Coupable, et qui, comme son titre l'indique, défendit ardemment la thèse de la non-participation de personnalités dans l'affaire, contrairement à ce que tendait à montrer l'enquête du gendarme Michel Roussel qui fut finalement soigneusement écarté.

-L'avocat Eric Dupond-Moretti, familier désormais du lecteur, décidément copain avec tout le monde (en tout cas surtout ceux qui ont de l’entregent). En tout cas, à la fois juré et lauréat du 6e prix Comte de Monte Cristo. Pas banal. N’est-ce pas (déjà) un petit « conflit d’intérêts » ? A l’époque, la presse titra : « Dans l’enceinte de l’Institut des Lettres et Manuscrits, le jury présidé par Gérard Lhéritier a remis quatre prix pour des livres témoignant d’une injustice. Une soirée émouvante. » Dupond obtiendra le premier prix pour son livre avec Loïc Sécher. L’article ( Le Figaro, 4 juin 2014) ajoute : « Maître Dupond-Moretti, tout en retenue (sic), confesse : « Ce n’est que justice.» Ben, oui.

 -Patrick Poivre d’Arvor.

 -Philippe Houillon, ancien Rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur l’affaire.

 -André Vallini, ancien Président de la même Commission d’Enquête y vint aussi faire un tour comme membre du jury : ça va bien, tout le monde se connaît.

Bref, du très beau monde influent, des journalistes, des avocats, des politiques, tous proches des cercles des pouvoirs (officiels et non-officiels); de ceux qui se connaissent bien pour se fréquenter et discuter, casser la croûte, partager petits et lourds secrets, qui font et défont l'opinion publique pour notre plus grand amusement mais, semble-t-il bien, toujours dans la même direction… Et, le plus souvent, pour leur seul profit et leur seul intérêt.

 Finissons cependant avec la Ciivise.

Nous pourrions appeler ça « Dupond et Durand ».

Après toutes ces choses, gesticulations, combines, influences, copinages, la cause des enfants abusés n’avançait guère. Tout au contraire. Car depuis particulièrement la résolution de l’affaire d’Outreau, la protection recula.

La CIIVISE, (Commission Indépendante sur l’Inceste et les VIolences Sexuelles faites aux Enfants), instaurée en janvier 2021, poursuivait ses travaux, avec comme Co-Président le juge pour enfants Edouard Durand.

La Commission avait déjà auditionné près de 20 000 adultes qui avaient souhaiter témoigner des violences sexuelles et des viols qu’ils avaient subis durant leur enfance.
Edouard Durand, le Vice-Président de cette commission, répondait, le 6 décembre 2024, aux questions des députés français.

Voilà notamment ce qu’il en ressortit (les propos entre crochets sont mes remarques personnelles; ce qui est en gras est souligné par nous):

Quelques chiffres.

73 pour cent des plaintes pour violences sexuelles, viols et incestes sont classés sans suite. Il y a ainsi 160 000 enfants victimes oubliés par an en France. Un enfant sur dix est victime. 5,5 millions de personnes ont donc au total été victimes dans leur enfance. Ainsi, sur une classe de 30 enfants, il y en a donc trois en moyenne. Les enfants handicapés connaissent trois fois plus d’agressions [sans commentaire, sinon qu’il s’agit à chaque fois de pouvoir: lorsque l’enfant ne peut parler, ou n’est pas cru immédiatement, pour toute une série de raisons, l’impunité du prédateur est assurée].

Certes, un consensus s’est facilement établi : il faut protéger les enfants. Mais comment protéger les enfants si l’on refuse de voir en face la terrible réalité de ces crimes ? [Qui sont presque toujours minorés, voire déniés. Quant au consensus, il est commode, fonctionnant sur un mode pseudo-humanitaire déculpabilisant. Comme il est dit vulgairement, reconnaître qu’il faut protéger les enfants : « ça ne mange pas de pain. »]

La société reste trop dans l’injonction paradoxale : protéger les plus fragiles oui, mais refuser de voir les sévices en face.

Les théories anti-victimaires.

Il faut pouvoir dire aujourd’hui à un enfant victime qui témoigne : je te crois [Nous sommes donc très très loin du compte, puisque la suspicion, appelée frileusement « prudence » reste la règle]. Il faut pouvoir dire à un adulte victime dans son enfance : nous avons collectivement failli. Nous n’avons pas su vous protéger.

D’autre part, lorsque l’enfant victime est mineur, on n’a absolument pas à lui demander : étais-tu d’accord ? Pourquoi sinon n’as-tu pas crié ? Pourquoi tu ne t’es pas débattu, enfui, etc. ?

Comment voulez-vous qu’un enfant victime sorte du silence dans lequel il s’est enfermé, s’il n’y a pas près de lui un adulte pour lui inspirer confiance ? Le silence est l’arme des prédateurs [ajoutons : l’arme absolue]. Pour autant, nous ne devons plus être intimidés.

J’ai entendu déclarer dans une formation pour futurs avocats qu’il faut demander à un enfant qui se dit victime de violences sexuelles : « Tu te rends bien compte que tu risques d’envoyer quelqu’un en prison ? » C’est grave.

On sait également que les théories « anti-victimaires » [comme le SAP, syndrome d’aliénation parentale, ou le concept de « fausses allégations »] font beaucoup de dégâts. [Donc, retour dans la poubelle qu’elles n’auraient jamais dû quitter les théories fumeuses et très dommageables pour les enfants victimes du docteur Paul Bensussan].

La violence intra-familiale.

Il y a beaucoup plus de risques d’inceste sur son enfant de la part d’un parent violent conjugal. Les violences conjugales sont toujours à mettre en rapport avec les violences sexuelles commises sur enfant. [Cette violence est toujours là pour asseoir un pouvoir, une domination effective, psychologique et physique sur plus faible que soi].

Mais en France, on refuse de toucher à la parentalité. Face à des sujets [parents] qui transgressent la loi, il faut absolument que la loi s’applique et que l’on soit capable, après une séparation, de retirer l’autorité parentale au parent violent.

La violence et la Loi.

Chez les enfants et jeunes délinquants, il y a clairement une surreprésentation d’enfants qui ont subi des violences sexuelles et assisté à des violences conjugales. Il apparaît ainsi que c’est pour ces enfants, la loi du plus fort qui l’emporte toujours. Il ne font plus confiance en la loi qui n’a pas été capable de les protéger [le respect de cette loi impuissante et inefficace disparaît du même coup. D’où la transgression permanente].

C’est pourquoi, dans le rapport entre la loi et la violence, il convient de créer un espace de pensée et de parole. Dire l’écart créé entre la loi et le réel vécu par l’enfant réel. Il faut donc nommer les deux : nommer la violence, mais nommer en même temps la loi qui l’interdit. On peut alors élaborer sur les « droits de l’enfant », mais à condition justement que l’enfant soit en sécurité. On ne peut parle de « droits de l’enfant »[concept rassurant et, une fois de plus, déculpabilisant] si la société n’est pas capable d’assurer sa sécurité.

Le présent perpétuel d’une souffrance.

Aucun principe n’est vraiment pensé pour gérer l’impunité des agresseurs. Oui, il y a aujourd’hui une impunité de l’agresseur [les chiffres sont suffisamment parlants : seul 1 pour cent des plaintes aboutit à une condamnation!]. Je ne vois pas pourquoi on continue à opposer des principes à la protection de l’enfant réel [doit-on songer à la commode et habituelle formule de la « présomption d’innocence » ? N’y a-t’il pas aussi une « présomption de culpabilité » ? Que dire des prédateurs qui sont socialement très établis, qui ont des relations, sont puissants, connus et reconnus, etc. ?]

L’impunité des agresseurs reste une réalité et il faut nous donner les moyens de lutter contre. Il y a encore gravement tendance à discréditer par avance, la parole de l’enfant, au moyen de ces concepts anti-victimaires. Le SAP est toujours là, il rôde, il circule, il nuit. Concept au nom duquel nous sommes contraints de supporter le risque que l’enfant violé puisse aller dormir chez son violeur.

Chez nombre de victimes adultes, les violences sexuelles, viols et incestes ne sont pas seulement de terribles souvenirs : c’est le présent perpétuel d’une souffrance.

Mais le rapport final de la Ciivise évoquera aussi cette décidément fameuse et incontournable affaire d’Outreau. L’affaire y est d’emblée qualifiée d « inabordable ». « La parole des enfants est condamnée. Les adultes protecteurs intimidés, humiliés même. » La tournure de l’affaire a eu aussi pour effet « d’arrêter la pensée et peut-être même d’arrêter la possibilité d’en parler […]. Un des effets durables du traitement judiciaire, politique et médiatique de cette affaire fut la mise en doute a priori de la parole des enfants victimes […]. Outreau est devenu le mot qui sert à disqualifier la seule posture raisonnable quand un enfant révèle des violences sexuelles. » Concernant depuis la baisse significative des condamnations pour violences sexuelles, la commission émet l’hypothèse d’un « effet Outreau , procureurs et juges préférant s’autocensurer plutôt que de poursuivre et de condamner[…]. La Ciivise considère également que ce silence sur les victimes d’Outreau participe à la silencialisation des violences sexuelles sur mineurs et notamment de l’inceste ».

Commission « indépendante », la Ciivise était donc (normalement) à l’abri de toute pression ou interférence. «Indépendance », principe décidément toujours un peu obscur pour notre Dupond.

En 2023, sur décision de la Secrétaire d’État chargée de l’enfance Charlotte Caubel, le juge Edouard Durand dut alors quitter la Co-Présidence de la Commission. « Il faut partir sur d’autres sujets, avec une approche un tout petit peu différente », dira Caubel, de façon énigmatique. Sur les 35 membres de la commission, 11 démissionnèrent par solidarité. De son côté, Durand se considéra « évincé ». Il déclarera : « J’ignore pourquoi je suis écarté. Il y a sans doute des raisons. Je ne les comprends pas bien. Personne n’est irremplaçable. Mais personne n’est jetable. Tout n’est pas du marché. Les humains ne sont pas de déchets. Dans le communiqué du Gouvernement (indiquant son remplacement), il n’y a pas un seul mot pour les personnes qui ont apporté leur témoignage à la Ciivise. Les silences sont éloquents. »

Cher Dupond, vous habituellement si prompt à réagir pour défendre les causes justes, que n’êtes-vous intervenu pour soutenir un magistrat qui faisait si bien son travail ?

La Ciivise évoquait-elle notre affaire de façon imprudente, hasardeuse, trop libre, trop« indépendante », justement ? N’était-ce emprunter là un chemin risqué qui pourrait conduire à se remémorer notamment le rôle très important de Dupond dans l’affaire ? A s’approcher trop près de la vérité, on se brûle les ailes. Mais cette affaire judiciaire, c’est justement la matrice, le moule dans lesquels le bonhomme a coulé sa future carrière et commencé à construire le personnage qu’il ambitionnait de devenir. Pour gagner à tout prix, il n’eut de cesse de déclarer que les témoignages des enfants victimes étaient toujours fragiles, sujets à caution, discutables. Ce que les travaux de la Ciivise justement contestent. Quant à Charlotte Caubel, elle souhaitait, sur proposition du Ministère de la Justice, devenir Procureure à Créteil, mais le CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) n’y fut pas favorable : « Son expérience de magistrate en juridiction a été jugée insuffisante pour diriger un parquet de cette taille. » Bon! Elle avait quand même été Secrétaire d’État...

En fin de compte, Eric Dupond -Moretti, c’est cela : à vouloir sans cesse, à tous prix et en utilisant tous les moyens, placer ses pions partout, consolider son ego, faut-il que celui-ci soit au final bien fragile… Car, « Tu es poussière et tu retourneras poussière... » Le savez-vous, Maître ?

Devenu par la suite Ministre de la République, Dupond fut-il en situation de conflit d’intérêt, en lien avec son métier d’avant (avocat, donc) ? Deux syndicats de magistrats (l’USM, l’Union Syndicale des Magistrats, et le syndicat de la magistrature) déposèrent plainte contre lui en 2020. La question fut relancée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (joliment ainsi dénommée : y croit qui veut bien y croire), qui demande poliment des précisions au Garde des Sceaux (Dupond himself). Sur fond de « fronde des magistrats », comme dit la presse. Les vilains jaloux qui voient le mal partout. Dupond, devenu Ministre, avait benoîtement demandé une enquête administrative contre trois magistrats du PNF (Parquet National Financier). Ne serait-il pas alors en situation de conflit d’intérêt, expression que chacun ne comprend pas forcément, mais qui signifie qu’un truc ne va pas. Parce que Dupond, à l’époque où il n’était que modeste (mais talentueux) avocat, avait-t-il été intéressé par une certaine affaire ? Ainsi, la Cour d’Appel de Paris avait adopté une motion dénonçant le concernant un « conflit d’intérêt majeur ». Rien de moins. « Le Ministre piétine le principe démocratique de la séparation des pouvoirs au profit d’intérêts strictement privés », déclarait la Cour. Connaissant maintenant un peu mieux Dupond, comment une telle chose est-elle seulement possible ? Le procès, mais lequel ? Celui de Nicolas Sarkozy, vous savez, un ancien Président de la République porteur d’un bracelet électronique. Celui aussi, et en même temps, de Thierry Herzog et de Gilbert Azibert, tous poursuivis pour corruption et trafic d’influence. C’est pas bien, donc. C’est l’affaire « Bismuth ».

L’association Anticor, crée par le magistrat Eric Halphen et chargée de lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique (le travail ne manque pas) dépose même une plainte pour « prise illégale d’intérêt » auprès de la Cour de Justice de la République, seule habilité à juger les Ministres en exercice.
Bref : Dupond est finalement mis en examen. Mais, malgré les promesses du Président et des autres concernant les Ministres mis en examen durant leurs fonctions, conserve comme si de rien n’était son fauteuil de Ministre de la … Justice. Elle est pas belle, la vie ?

Ça doit être un truc comme ça, la « République exemplaire ».

En tout cas, notre Dupond doit être content. Lui qui redoute constamment de ne pas exister, de provoquer l’indifférence, voire d’être tristement banal comme vous et moi, se distingue une fois de plus. Car c’est la première fois sous la 5e République qu’un Ministre de la Justice en exercice est mis en examen.

Mais last but not least. Un juge d’instruction lyonnais Marc-Emmanuel Gounot, avait découvert en 2012 un curieux virement de 100 000 euros sur le compte personnel de Dupond. Cet argent lui avait servi à acquérir une superbe Maserati, achetée à Monaco. L’argent provenait d’une société offshore basée aux Seychelles, Exelyum. Mais Dupond n’ayant jamais travaillé pour eux, ce ne pouvait être des honoraires. En cherchant un peu, l’enquête aurait montré que le patron de cette société, Jean-Pierre Nitkowski avait bénéficié des conseils d’un certain Immanuel de Agrella, avec lequel il était en détention à Monaco. En prison, on se fait des tas d’amis : le tout étant de savoir dans quel quartier on est logé. Mais, justement, cet Agrella avait été autrefois défendu par notre Dupond national. Et Dupond avait été rémunéré pour ce faire par Nitkowski, le copain de cellule. Des espèces d’honoraires, en somme. Qui n’avaient pas été déclarés, semble-t-il bien.

La question du rapport entre Dupond et l’argent pourrait nous occuper fort longtemps. Il aime bien l’argent, mais aime un peu moins les impôts. Ainsi, le fisc s’aperçut que l’avocat avait omis de déclarer en 2019 à la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique) la bagatelle de 300 000 euros, correspondant à ses droits d’auteur et à ses spectacles, du temps qu’il n’était pas encore Ministre. Cette somme pouvait générer 180 000 euros d’impôts. Il raconta qu’il s’agissait d’une erreur comptable. Quel imbécile, le comptable de Dupond ! L’erreur fut promptement rectifiée, surtout après que Médiapart et L’Opinion en eurent parlé. L’administration fiscale, connue pour sa bienveillance reconnut le « droit à l’erreur ». Qui n’en fait pas, même les meilleurs d’entre nous ? Il n’y eut aucune sanction. 300 000 euros qui traînent dans le fond d’un tiroir du bobo-anar assumé, c’est rien pour Dupond, qui avait déclaré percevoir une certaine année 70 000 euros mensuels d’honoraires. Une broutille pour un type qui possède une Rolex Daytona (13 000 euros ), une prestigieuse montre suisse FP Journe ( 25 000), une Bentley (83 000), une Harley Davidson (24 000), un bateau (30 000. ) Un appartement de 200 m² à Paris (2,8 millions), un autre toujours à Paris. Une luxueuse villa sur la baie des Anges à Nice de 300 m2 (1,6 million, dépensé pour faire plaisir à sa compagne, Isabelle Boulay. C’est-il pas mignon ?)) , un appartement en Corse. Un en Italie. Une ferme flamande dans les Hauts de France ; 3,5 hectares de vignobles dans le Sud de la France… Voilà. On en oublie sans doute, mais ce ne sont que des remarques d’envieux. D’ailleurs, tenu de déclarer son patrimoine, Dupond n’en fut pas content du tout : « Mes enfants ne savent pas ce que j’ai gagné, pour une raison simple : c’est que j’avais envie de leur donner le goût de l’effort et du travail. Et voilà que tout cela va être dévoilé à la France entière », déplore-t-il. Sortez vos mouchoirs… Mais Dupond prétend quand même faire des jaloux, Ah bon ? Qui voudrait lui ressembler vraiment ? Pour reprendre le langage fleuri du grand homme : « Ben, les cons, forcément ! »

Un journaliste parla un jour de l’hubris (ou hybris) de Dupond. Bien vu ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Eh bien, chez les anciens Grecs, c’est l’ivresse de la démesure dont certains mortels sont atteints. C’est la passion outrancière, l’orgueil, la transgression même. Mais les Dieux de l’Antiquité, beaucoup plus sévères que les nôtres, ne supportaient pas qu’un simple mortel rivalisât avec eux. Il fallait le punir de son insolence déplacée. C’était Nemesis, la déesse de la Vengeance qui se chargeait de châtier les petits prétentieux. Dupond, irrémédiablement atteint de ce mal profond et quasi psychiatrique, est condamné, malgré les apparences qu’il tente de se donner, à vivre totalement hors-sol. Dans l’attente du châtiment ?

Le châtiment arriva un peu, en petit d’une certaine façon. Le vaillant bonhomme voulut se présenter aux élections régionales en 2021, dans le Nord. « Un ministre vedette en campagne », titrait à l’époque la presse. Flop. La liste n’obtint que 9 pour cent. Un « fiasco », comme on le disait pour l’affaire d’Outreau. Mais que nenni. Sans doute un peu vexé , mais particulièrement assuré de ses hautes qualités, il ambitionna nonobstant de se présenter à la députation dans la 15e circonscription du Nord en juin 2022. Finalement, il abandonna le projet. Dur, dur, pour un homme tel que lui.

Mais pour revenir sur terre, encore ceci : Marie-Laure Piazza, première Présidente de la Cour d’Appel de Bastia jugeait une affaire dans laquelle Dupond avait défendu un des accusés. Nous sommes fin 2016. Mais l’aimable avocat s’en prend à elle en des termes suffisamment excessifs pour que la juge décide de signaler les faits au parquet, qui ouvre alors quand même une enquête préliminaire. Dupond est sanctionné d’un rappel à la loi pour menaces et actes d’intimidation. Mais, devenu Ministre, les services du Premier Ministre ordonneront une enquête de l’Inspection Générale des services de Justice à l’encontre de la Juge. Ne pas trop se frotter à Dupond. Comme le disait un ancien magistrat, « La litanie des injures proférées par Eric Dupond-Moretti, on pourrait en faire un dictionnaire. »

Enfin un autre juge, Edouard Levrault, qui s’était occupé d’une affaire délicate à Monaco (il avait mis en examen, le vilain, un des ex-clients de Dupond), est mis en cause lui aussi publiquement par Dupond-pas-content dans son livre et dans son présent spectacle. Le juge Levrault poursuivra alors Dupond en diffamation. Car notre Dupond l’accuse en effet de violation du secret de l’instruction dans une affaire impliquant cet ancien client. Vous suivez ? Le juge Levrault dira même: « Il a proféré des propos gravement diffamatoires de mauvaise foi (!) sans aucune base factuelle de nature à les justifier, avec une animosité (!) et une intention de nuire (!) caractérisés. » Assurément ici, Levrault invente. Connaissant un peu mieux maintenant Dupond, nous savons qu’il est absolument incapable de commettre de telles choses...

Accuser un magistrat de violation du secret de l’instruction ? Dupond, entubeur de première catégorie, a la mémoire courte. Son ami et confrère Hubert Delarue avait pourtant fait très exactement la même chose, en procurant, durant l’instruction les pièces de l’affaire d’Outreau à un journaliste belge, Georges Huercano-Hidalgo, envoyé là pour déminer tout ce qui pouvait mettre l’affaire française en rapport avec la Belgique. Florence Aubenas bénéficiera exactement des mêmes avantages totalement illégaux. Alors, le sacro-saint secret de l’instruction ? T’est sérieux, Dupond ?

Et puis encore cela : en juillet 2020, devenu Ministre, Dupond voulut nommer une magistrate de ses amis, dont il avait défendu le mari comme avocat autrefois, la juge Hélène Gerhards, membre d’une mission ministérielle sur les Cours d’Assises. Faut bien aider les copains, et Dupond est secourable. Mais en 2024, la même juge Gerhards fut placée en détention, coupable de s’être légèrement compromise avec la mafia corse (elle était en poste à Bastia), et avoir détourné 100 000 euros d’argent public. La copine de Dupond se fera-t-elle en prison des amitiés qui pourront servir par la suite ?

Quoi qu’il en soit, et malgré tout ceci et tout cela, la cause des enfants martyrisés a bel et bien reculé en France, en partie grâce à lui.

Bravo Dupond!!

Et beaucoup de succès pour ton show !

En fait, et pour en finir, Dupond n’a absolument rien inventé. Il appartient à cette longue liste des sophistes, depuis Thrasymaque de Chalcédoine, que Socrate fit connaître. Tromper, faire illusion, utiliser des raisonnements spécieux qui ont l’air de tenir pour convaincre absolument. C’est, non la vérité, dont on se moque bien, mais l’efficacité persuasive qui importe. Car si les raisonnements des sophistes contiennent des vices logiques, ils ne donnent pas moins l’impression à tous d’être cohérents. Dupond, champion contemporain de l’éristique, cet art de la dispute et du débat. L’Art d’avoir toujours raison d’Arthur Shopenhauer doit être le livre de chevet du ténor. « Dans les règles de ce combat, dit ainsi le philosophe allemand, on ne doit tenir aucun compte de la vérité objective.» Dupond excelle donc dans ce que Pierre Bourdieu nommerait « une violence symbolique ». D’ailleurs, Thrasymaque était lui aussi un avocat (d’Athènes) dont Socrate écrira qu’il était impétueux, colérique et démesuré. « Comme un animal sauvage », précise-t-il. Tiens donc ? Nous sommes dorénavant en terrain connu…

Amoureux, dit-on souvent, du contradictoire, la question sera pourtant pour l’avocat de toujours trouver un lieu où il en rencontrera le moins possible. Et là où le contradictoire est totalement absent, c’est lors de ses spectacles. Il s’y sent bien, règle ses comptes, et n’est contredit par personne. La meilleure protection sera de se dissimuler derrière l’ultravisibilité de son one-man-show.

Vous êtes parvenu, Maître, à incarner notre monde : entre scène et obscène.

Finissons quand même, puisqu’il le faut bien. Et si comparaison n’est pas raison, comme dit l’adage, essayons quand même. Osons !

L’ensemble de la haute hiérarchie ecclésiastique connaissait depuis des lustres le comportement de l’abbé Pierre. Mais nous autres, gens d’en bas, pauvres bougres ignorants, crédules, fascinés par l’exemplarité du type, ignorions tout de chez tout. Soigneusement tenus à l’abri que nous étions, d’une vérité (tout simplement d’une réalité) qui abîmait trop et nos illusions et l’image de l’Église catholique…

Et la réalité de l’affaire d’Outreau ? Ne serait-ce pas un peu la même chose ? Qui la connaît, la vérité ? Qui l’ignore ? Qui avons-nous cru ? Les politiques, les médias unanimes? Cette réalité-là n’abîmait-t-elle pas aussi l’image du pays, surtout si des personnalités étaient compromises ? Et si le danger n’était pas aussi que l’extrême droite de l’époque ne s’empare du sujet ?

Mais pour s’extirper de ces caniveaux fangeux et nauséabonds, de ces insupportables paniers de crabes malfaisants, où l’on abandonne pour des raisons de puissance et de domination, d’intérêts personnels, de calculs politiques, où l’on abandonne et son âme, et ses valeurs et son honneur, il est encore possible d’ apporter une touche finale de bon air frais humaniste, de cohérence, de raison, de droiture, de logique, de vérité, d’empathie. Terminons donc par notre cher Étienne de La Boëtie, toujours d’actualité : « Pour que les Hommes, tant qu’ils sont Hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils soient contraints, ou qu’ils soient trompés ».

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