Du côté de la réalité
Franck Lavier, autre acquitté d’Outreau, et très grassement indemnisé après son acquittement en appel à Paris en 2006, fut par la suite condamné en 2012, ainsi que sa femme Sandrine, à 10 mois de prison assorti de sursis pour violences sur deux de leurs enfants. Les petits, âgés d’une dizaine d’années, et qui avaient été rendus comme il se doit à leurs parents, avaient quitté le domicile familial, où ils étaient maltraités, pour retourner dans leur famille d’accueil. Ils présentaient des blessures et des traces de coups (doigts bleuis, hématomes). Blessures purulentes notamment en raison de la punition du "balai": rester à genoux sur un manche à balai, etc. Le Procureur de l’époque, évoquant la chambre où couchaient les enfants, parlera d’un « véritable mouroir ». Une vidéo avait également été retrouvée, montrant les adultes enivrés et plus ou moins vêtus mimant des scènes de sexe. "J'aime me faire sucer", dit Franck Lavier. "J'aime les sucettes", déclare Sandrine. Chez les Lavier, on s'amuse bien. Le hic, c'était la présence des enfants, que l'on voit sur la vidéo. "On ne pensait pas à mal", se défendront les parents. "En fait,les enfants ne faisaient que passer." Sans doute pour rejoindre leur "mouroir"? Une photographie fut aussi retrouvée montrant une des petites filles avec sa culotte couverte d'excréments sur la tête. Chez les Lavier, ça ne rigole pas, en revanche, avec la discipline.
Aujourd’hui, Lavier attend un autre procès à la suite de la plainte de sa fille Cassandra., maintenant majeure, pour viol et agressions sexuelles. À l’époque, elle avait 16 ans. Elle s'était confié à l'équipe pédagogique de son établissement scolaire. La Direction de l'établissement avait un peu tergiversé," à cause de l'affaire d'Outreau,etc." Franck Lavier, en partie intouchable, fut pourtant mis en examen le 10 juin 2016 après 48 heures de garde à vue. Laissé sous contrôle judiciaire, il a interdiction de retourner à son domicile et d’entrer en contact avec sa fille. Trois magistrats se sont attelés à la tâche depuis quatre ans. Toujours rien à l’horizon durant des années… Pour une enquête sur un simple inceste, c’est un peu long. Le cas de Franck Lavier, comme celui de Daniel Legrand, serait-il délicat ?
Du côté de la fiction
Voici cependant la postface fleurie de Florence Aubenas à la seconde édition (2010) de son livre sur l’affaire d’Outreau La Méprise (2005) :
« A Boulogne-sur-Mer, dans la nouvelle maison des Lavier, chaque enfant a sa chambre. Chaque chambre a sa décoration, Spiderman ou le Royaume des fées, peinte du sol au plafond. Et chaque meuble déborde de matériel : chaîne stéréo, télévision, Internet. Même Ines [prénom changé]a son ordinateur, elle qui vient juste d’avoir trois ans. Elle est née tout de suite après le second procès, devant la cour d’Assises de Paris à l’hiver 2005, où Sandrine et Franck Lavier ont finalement été acquittés, comme les six derniers accusés. La Chancellerie les a reçus avec cérémonie, une commission parlementaire les a auditionnés. La France entière a pleuré devant la télévision, en écoutant les 13 d’Outreau raconter, les uns après les autres, ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « leur calvaire judiciaire ». Aussitôt après, les Lavier ont voulu retrouver leurs enfants, tous placés en 2001, au début de l’affaire.[...] Sandrine et Franck ont l’impression de vivre « le plus beau jour de leur vie. » ils veulent tout pour leurs enfants. Tout. »
Et plus loin, toujours Aubenas : « Sans fin, Sandrine scrute le visage de ses enfants élevés loin d’elle, par des gens qu’elle ne connaît pas mais qu’elle ne peut que détester, et selon des règles qu’elle a du mal à déchiffrer. Elle s’inquiète surtout des deux petits […]. Elle voudrait voir sa fille se jeter à son cou à l’improviste, en effusions bruyantes et en baisers sonores. Alors Sandrine ne tient plus. Elle sort un peu trop vite de la salle à manger parce qu’elle ne voudrait pas que les enfants la voient pleurer. »
Aubenas ne dira rien des récents développements de l'affaire Lavier
Retour à la réalité
Selon le journaliste Jacques Thomet, l’instruction du dossier Lavier serait aujourd’hui terminée. Rien n’empêche donc plus le renvoi devant une cour d’assises.
Pourtant, et une fois de plus, rien ne se passe comme prévu. Il est indiqué dans les réquisitions de renvoi : « Les faits de viols et d’agressions sexuelles par ascendant sont caractérisés et ce, malgré les dénégations de Franck Lavier, mais ils doivent être analysés, en opportunité, en faits d’agressions sexuelles par ascendant. Le renvoi en correctionnelle est requis ».
Il s’agit donc ici de ce que l’on nomme la « correctionnalisation d’un crime ». Le crime (viol) est requalifié en délit (agressions sexuelles). Beaucoup considèrent que le procédé n’est pas tout-à-fait légal.
La formule « en toute opportunité » existe bien, et semble renvoyer au pouvoir dit « discrétionnaire » de l’administration judiciaire. Ce qui signifie qu’il est possible de s’affranchir des règles du droit quand certaines circonstances l’exigent. Mais quelles circonstances ici ? Parce que Franck Lavier est un acquitté d’Outreau et qu’il n’est donc pas soumis aux lois communes ?
C’est donc bien une décision arbitraire laissée à la libre appréciation de celui qui la prend. Une confirmation de plus que l’affaire d’Outreau n’est pas une affaire comme les autres.
Petit coup de théâtre cependant, puisque l’on apprend ensuite par la presse (le 12/11/21) que l’affaire Lavier aura finalement droit aux assises. Pourquoi ce revirement ?
Pourtant, comme rien n'est simple, un revirement peut en cacher un autre: l'affaire sera bien correctionnalisée!...
Epilogue provisoire
Cassandra subira-t-elle le sort de son illustre ancêtre troyenne? Dire la vérité, mais condamnée par les dieux à n'être jamais crue?
En tout cas, le 22 septembre, nous serons à Boulogne-sur-Mer, pour assister au procès.
Rien de tel pour vérifier ce que certains journalistes "sérieux" écriront. Sait-on jamais?...