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Billet de blog 16 mars 2024

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L'affaire d'Outreau et le manque de preuves matérielles.

Aujourd'hui, France Culture revient sur l'affaire, avec Antoine Garapon aux commandes. Les propos tenus vont dans le bon sens, pour une fois. Réhabilitation de la parole des enfants, critique du rôle très partisan des médias de l'époque et, notamment de celui d'une certaine Florence Aubenas.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les invités d'Antoine Garapon sont l'écrivain Jean Songe et l'essayiste spécialiste de l'affaire Frédéric Valandré.

Il est noté, comme bien souvent, l'absence de "preuves matérielles" dans le dossier d'Outreau. Pourtant, il y en avait. Mais elles ont disparu de la circulation.

AFFAIRE D’OUTREAU: Disparition de scellés compromettants? Les cassettes vidéo de Roselyne Godard.

Nous sommes en novembre 2001.Accompagné du commandant Pierre C., le lieutenant de police Franck Devulder. est chargé d’effectuer la perquisition d’une des dépendances d’un agriculteur habitant une ferme de la région, à Neufchâtel-Hardelot, où se trouveraient entreposées des « affaires » appartenant à Roselyne Godard (la « boulangère » de l’affaire, défendue par Eric Dupond-Moretti, et qui sera acquittée à Saint-Omer en 2004). Neufchâtel est distant d’environ 8 km du domicile de la boulangère ambulante. Pourquoi a-t-elle cru devoir entreposer des choses à elle chez cet agriculteur, nul ne le sait. Elle habite, en effet, une maison d’un étage et possède un garage. Divers objets lui appartenant (elle se trouve sur place au moment de la perquisition, et le confirme) sont trouvés, destinés, d’après elle, à la brocante. Sous un « linge » et selon le PV de perquisition : 

 « Remarquons un carton contenant vingt-trois boîtiers de cassettes vidéos dont deux vides et une cassette audio […]. Saisissons et plaçons sous scellés [dont le numéro est laissé en blanc sur le PV] les dits-objets. »

Des photographies sont prises.

Les cassettes sont déposées au commissariat de Coquelles, là où travaille Franck Devulder. On ne sait ce que deviendront ces cassettes. Mais, le plus souvent, lorsque des cassettes sont découvertes dans le cadre d’une enquête comme celle-ci, elles sont d’abord visionnées sur place en présence de l’intéressé, en partie au moins et de manière aléatoire, si cela est possible. Cela ne fut pas fait. Peut-être l’agriculteur ne disposait-il pas de lecteur VHS ? En tout cas, il y en avait forcément un dans les locaux du commissariat de Coquelle. Cela aurait donc pu être fait rentrés au commissariat, immédiatement après la perquisition, en présence de Roselyne Godard. En effet, confronté à des preuves matérielles évidentes, le mis en examen peut être amené à passer aux aveux, ce que recherche tout enquêteur.

Roselyne Godard avait été placée en garde-à-vue le 11/04/01. Cette perquisition aura donc lieu huit mois après (décembre 2001), tandis qu’elle est incarcérée. L’avocat Eric Dupond-Moretti viendra donc à sa rescousse, remplaçant l’avocat commis d’office.

Pourquoi les policiers se sont-ils donc intéressés d’un seul coup à cet agriculteur?

Eh bien, c’est justement après avoir été prévenue par lui, le propriétaire des lieux, que la police s’y était rendue. Voilà ce que l’agriculteur déclarera, tel que cela est indiqué sur le PV :

« Le 01/02/00 j’ai laissé en location à M. Franck N1. un logement […]. Pour cette location, c’est Mme Roselyne N., épouse Godard, qui s’est prêtée caution. Le 12/07/00, Mr. Franck N. a mis fin à cette location et comme Mme Roselyne N. sa sœur avait quelques objets chez lui, elle m’a demandé si elle pouvait les stocker dans une ancienne écurie. Mercredi 21/11/01, en lisant la presse, j’ai constaté que le nom de Mme N. épouse Godard apparaissait dans une affaire de pédophilie. Comme dans les affaires de Mme Godard se trouvait rangé dans mon écurie un carton de cassettes vidéo, j’ai immédiatement avisé la gendarmerie de Neufchâtel. Durant l’occupation des lieux par Mr. Franck N. j’ai remarqué beaucoup d’agitation et que beaucoup de gens venaient rendre visite à l’intéressé, il y avait même une fourgonnette immatriculée en Grande-Bretagne […]. Au début du départ de Mr. N. sa sœur venait librement dans l’écurie et amenait ou reprenait des cartons sans que je sache ce qu’ils contenaient. Par la suite, j’ai changé de cadenas et elle devait passer chez moi pour accéder dans les lieux. Mme N. [Godard] disait qu’elle faisait des brocantes.» 

Bien entendu, la découverte de cassettes, dont personne ne dit si elles proviennent du commerce ou si ce sont des enregistrements personnels à partir, par exemple, d’un caméscope, pose problème.

Des photographies sont donc prises par les policiers le jour de la perquisition. On y voit, en effet, des cassettes vidéos, au nombre d’une vingtaine, dans un carton. Mais l’angle de prise de vue ne permet absolument pas de savoir ce qu’il y a sur la jaquette de ces vidéos, puisque l’on n’en voit que la tranche. Les seules cassettes dont la tranche est lisible sont des cassettes enregistrables.

D’autre part, Myriam Badaoui avait affirmé dans une audition, que la boulangère transportait dans son camion professionnel1, cachées sous des paquets de chips, des cassettes pédopornographiques destinées à être écoulées en Belgique. On n’en retrouva aucune, et la piste fut abandonnée. Il est donc particulièrement surprenant que ces cassettes appartenant à Roselyne Godard, soient mises directement sous scellés sans être visionnées. Dans un cas comme celui-ci, les scellés soigneusement référencés sont envoyés pour expertise, comme ce fut le cas pour les films super 8 trouvés chez 2 le propriétaire d’un sex-shop à Outreau, ou pour les cassettes retrouvées chez les Delay-Badaoui, envoyées chez un expert parisien. Le juge demandera (le 12/09/01) l’extraction de l’ensemble des images et des films à caractère pornographique mettant en scène des adultes et des enfants. Ce qui signifie que les experts visionnent obligatoirement et avec attention l’intégralité des cassettes. Les jaquettes sont photographiées, les titres sont indiqués s’il s’agit de cassettes commercialisées. Des captations d’écran sont réalisées et figurent dans le rapport de l’expert. Dans le cas de l’expertise des cassettes retrouvées chez les Delay-Badaoui, cela ne donnera, d’ailleurs, aucun résultat probant3. Mais, en tout cas, le travail avait été fait.

Étonnant aussi que chacun signe le PV : l’agriculteur perquisitionné, Roselyne Godard qui est présente, le gendarme qui se trouve là et le Commandant C. Mais que seul le lieutenant Franck Devulder. ne signe pas.

Ces cassettes sont destinées par la suite à être détruites, comme la plupart des scellés. Pourtant, aucun PV signalant leur destruction n’est retrouvé dans le dossier.

Cette histoire de cassettes fantômes est loin d’être anodine. Plusieurs témoignages, et pas seulement ceux de Badaoui, indiquent que des films pédopornographiques sont régulièrement réalisés chez les Delay-Badaoui jusqu’ à la fin des années 90. On se souvient que le couple avait acheté un camescope4, puis l’avait revendu en octobre 99. Ils déclaraient que c’était pour faire des films « familiaux », ce qui fut d’ailleurs confirmé par un des enfants. Aucun « film familial »ne sera pourtant retrouvé chez eux, tandis que quantité de films pornographiques commerciaux se trouvaient bien là. Et puis, était-il possible de faire disparaître des vidéos compromettantes ? Certainement, mais à condition de savoir qu’il fallait le faire de toute urgence…

Remarque: en 2015, lors du procès de Daniel Legrand à Rennes, le lieutenant de police Franck Devulder. sera entendu. Comme témoin de la ...défense! Il est à remarquer aussi que ce policier, au moment de l'instruction, rendra impossible la retranscription de propos tenus par les accusés en prison au moment de parloirs: incidents techniques, dira-t-il. Renseignements pris, ce type d'incident est impossible. Enfin, c'est le même Franck Devulder qui demandera à ses collègues belges de ne pas continuer à enquêter en direction de cette piste, contrairement aux demandes formelles du juge Fabrice Burgaud.

1 Elle est commerçante ambulante.

2 Une perquisition a en effet eu lieu dans ce sex-shop que fréquente régulièrement Thierry Delay. Quatre bobines de films super 8 sont trouvées. Expertisées, il apparaît que l’un des films présente un caractère pédopornographique. Le propriétaire, pourtant passible de lourdes poursuites judiciaires, n’aura aucun ennui. Cela montre, en tout cas, que ce genre d’article interdit circulait sous le manteau.

3 Si ce n’est une vidéo des ébats de Thierry Delay et Myriam Badaoui, en présence d’un de leur fils, le petit Dylan.

4Achat très onéreux à l’époque pour un couple de Rmistes.

1Franck N. Est le frère de Roselyne Godard.

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