Sur la série de France 2 sur l’affaire d’Outreau, verbatim de l’émission C Médiatique- France 5 du 8/01/23 (extraits).
Le travail du juge Burgaud sera un leitmotiv : il a mal travaillé, mais n’était pas tout seul : en effet, 64 magistrats plus chevronnés eurent à connaître de l’affaire. Aucun n'aura d'ennuis… Il est à rappeler que Burgaud ne fut pas sanctionné par l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ), et que le CSM (Conseil Supérieur de la Magistrature) lui infligera une simple réprimande, sanction la plus basse, par 6 voix contre 5… C’était à la demande expresse du Garde des Sceaux de l’époque Pascal Clément, qui avait déclaré : « Sans sanction, le public n’aurait pas compris... » Fabrice Burgaud ne contesta pas la sanction, considérant que la décision était politique… En effet.
Quelques extraits ici de ce qui fut dit dans l’émission. Tout le monde tombe sur le juge : Eric Dussart, journaliste de La Voix du Nord, Gilles Antonowitz, avocat, André Vallini, ancien Président de la Commission d’enquête parlementaire et Agnès Pizzini, réalisatrice de la série. On constatera plus loin que l’avocat Gilles Antonowicz, conseiller de la série, ne disait pas du tout la même chose à l’époque de l’affaire.
Mais la question de secret de l’instruction est aussi abordée :
Agnès Pizzini (réalisatrice de la série) : « -La presse, elle va chercher des sources auprès des avocats, des policiers, des magistrats. Dans tous les cas, [ceux-ci] y voient un intérêt de leur côté[…].
Gilles Antonowicz (avocat et conseiller de la série) : « -Quand le lendemain vous trouvez des procès -verbaux dans la presse, il y a bien quelqu’un qui l’a donné. Alors, qui l’a donné ? Eh ! Bien, je dirai que c’est celui qui y a intérêt.
La remarque est bonne. Mais pourquoi alors ne rien dire du comportement délictueux de l’avocat de la défense Hubert Delarue (avocat de l’huissier Marécaux), qui fournissait en tout illégalité, des pièces du dossier au journaliste belge Georges Huercano-Hidalgo, qui publia un livre totalement à décharge, tenant par ailleurs des propos absolument mensongers dans son livre, durant l’instruction de l’affaire française ? Ce qui, forcément, pouvait influencer le public et les jurés. Delarue ne sera évidemment jamais sanctionné… Aucun reproche ne fut fait non plus au journaliste belge, qui s’était déjà illustré dans l’affaire Dutroux pour défendre l’idée d’un « prédateur isolé ». On ne lui dira jamais rien, car il était fort utile pour déminer toutes ces sales affaires. Mieux : il fut témoin d e la défense de Daniel Legrand fils à Rennes et, aujourd’hui, conseiller pour la série dont on cause. Le monde est petit.
Plus loin :
Gilles Antonowiz : - « Réduire l’affaire à l’incompétence d’un juge, qui est réelle, est un peu réducteur… »
Encore plus loin dans l’émission :
Mélanie Taravant (présentatrice) : « - Est-ce que vous avez proposé au juge Burgaud ? »
Agnès Pizzini : « -Oui, c’était essentiel évidemment de lui proposer de faire partie de cette série. On a longuement discuté. On s’est vu plusieurs fois, et il a finalement décidé de décliner ma proposition. »
M.T. : « -Et comment il va aujourd’hui ? »
A.P.: « -Alors, il travaille à la Cour de Cassation et, ben, euh…, écoutez, il n’a pas changé !...(moue amusée). »
M.T. : « -Toujours aussi taiseux, alors ? « (sourires sur le plateau).
A.P. : « -Ben, il est toujours dans le même état d’esprit qu’il avait au moment de la Commission d’enquête parlementaire. »
M.T. : « -C’est-à-dire ? »
A.P. : « -Il semblerait qu’il n’ait pas failli. En tous les cas, il n’a pas été le seul à faillir, et ça je pense qu’on le comprend bien dans la série. Effectivement, tout le monde est tombé sur le juge Burgaud. Il n’était pas le seul. Il y avait un Procureur qui était là et qui suivait. Y avait une chambre de l’instruction qui validait aussi les actes du juge… »
André Vallini, sénateur (l’air savant) : « - Vous avez raison de dire ça. Le juge Burgaud a commis des erreurs et sûrement. C’est l’avis de la Commission d’enquête parlementaire. Il était très jeune, inexpérimenté, et justement, ce que vous dites est très important : il s’est entouré d’avis, de conseils […]. Il a servi de bouc émissaire même si nous avons considéré à la CEP qu’il avait commis des erreurs majeures, mais il n’était pas tout seul. »
Rien de bien neuf donc, les arguments sur l’incompétence du jeune juge restant les mêmes, sinon que Burgaud n’était pas tout seul.
Voici maintenant un chapitre de mon prochain livre (en primeur) :
PRÉCISIONS DE MÉTHODE
Reproches faits au magistrat instructeur, Fabrice Burgaud, d’avoir truqué les PV d’audition des mis en examen pour faire tenir son instruction. Où l’on verra que ces graves accusations sont absurdes.
« Il est plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu’ils ont été trompés. »
Citation attribuée à Mark Twain.
S’appuyer, comme nous allons le faire, sur les PV d’auditions pour les confronter à ce qu’en dit la littérature partisane mérite une précision.
Le texte des PV est dicté par le juge d’instruction à son greffier. Il s’agit d’une synthèse faite par lui au plus près, normalement, des déclarations du mis en examen. Disparaissent ainsi du texte final bon nombre de questions posées par le Juge. Le PV est ensuite signé par l’auditionné, après relecture attentive de ce qui est couché sur le papier.
Si un juge est malhonnête, sa rédaction sera tendancieuse, soit dans la direction de la charge, soit dans celle de la décharge. Un magistrat pourra avoir tendance, après avoir passé de très longues heures sur un dossier, à vouloir faire « tenir » son instruction. Peut-être même s’est-il déjà forgé une « intime conviction ». Puisqu’elle est « intime », personne donc ne le sait. Mais les avocats de la défense sont justement là pour contrôler les choses. Un seul mis en examen, à notre connaissance, refusa de signer un PV : l’abbé Dominique Wiel. Dans ce cas, cela est notifié en fin de PV par une « mention ».
Aux avocats présents d’être donc particulièrement attentifs et sourcilleux, même sur d’apparents détails.
A Outreau, la défense tirera argument que la rédaction des PV était tendancieuse. Pourquoi les avocats n’ont-ils pas alors empêché leurs clients de les signer et n’ont-ils pas fait noter par le greffier les raisons de leur opposition, ce qui aurait été leur droit ? Sinon parce qu’ils n’avaient en réalité et sur le moment aucun reproche à faire quant à la transcription des déclarations des mis en examen.
Sans doute, la donne changera avec l’arrivée des « ténors du Barreau » de Lille et d’Amiens, fin 2001, début 2002, soit un an environ après le début de l’instruction. Les propos des mis en examen auditionnés, judicieusement conseillés, changeront notablement. Ils ne s’accuseront plus les uns les autres, et reviendront sur leurs déclarations antérieures, leurs défenseurs disant que tout cela avait été auparavant suggéré, modifié, voire « soufflé » ou « extorqué » par le magistrat mais aussi par les policiers, comme ce PV que le taxi Martel contestera par la suite : il avait déclaré, à l’époque, dans les locaux de la police, juste après son arrestation et durant sa garde-à-vue, des choses qui gêneront par la suite la stratégie planifiée de la défense des ténors (il affirmait avoir pris à trois reprises le fils Legrand dans son taxi à Outreau). Or, Legrand dira, par la suite, avoir été témoin d’un meurtre d’enfant à Outreau. Pourtant, quand il se rétractera, il faudra alors prouver qu’il n’avait jamais mis les pieds là-bas1.
Cette hypothèse de PV bidouillés est-elle vraisemblable ? C’est, en tout cas, ce que la défense affirmera, faisant peu à peu trembler la solidité de l’instruction.
On peut donc considérer que ce qui est écrit noir sur blanc dans les pièces de l’instruction, notamment dans les PV d’audition et de confrontation, constituent des « faits d’écriture » indiscutables. En tout cas, des faits d’écriture sur lesquels il est possible de fonder sa réflexion et son analyse2. Comme le disait Nietzsche, « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations ». Ce qui, pour préciser, signifie que « les faits doivent être mis en ordre et ne font sens qu’à la condition d’être déchiffrés et interprétés. 3»
Mais pour contester la vérité de ces faits écrits, il y aura deux techniques de défense :
-déclarer que ce qui est écrit dans les PV ne correspond pas du tout à la réalité de ce qui avait été dit par l’auditionné devant son avocat et le greffier. Car la rédaction des PV était partiale et orientée. Il était même écrit, par la volonté du Juge, le contraire de ce qui avait été dit.
-déclarer que ce qui a été écrit dans les PV est vrai, correspond à ce qu’a déclaré l’auditionné, mais que cela a été « suggéré », « provoqué », voire « extorqué » par le magistrat instructeur. Par exemple, souffler les réponses à fournir, demander le nom de personnes dont les photographies figurent dans un trombinoscope, alors que les noms sont écrits juste en dessous. Ou encore, demander à l’auditionné où est X ou Y sur le trombinoscope et, en même temps, mettre le doigt sur la photographie en question.
Cela peut sembler exagéré ou farfelu: c’est pourtant cette ligne qui servira en partie de défense. La stratégie retenue avait été, pour détruire l’instruction, de détruire l’image du juge, arguant de sa jeunesse et de sa supposée inexpérience.
On le voit pourtant, il reste une contradiction majeure et irréductible dans ce qui est ainsi affirmé : car si de telles pratiques avaient effectivement existé chez le magistrat instructeur, elles auraient immédiatement été sanctionnées par une pure et simple radiation.
Or, il n’en a rien été. Et pour cause… Pourtant, le mal était fait et le grand public a cru à ces sornettes, a fortiori quand elles étaient répétées et martelées par tout le monde. C’était là le plus important : non que cela soit vrai, mais que cela soit cru.
Au final, plutôt que de contester rationnellement la teneur de ces faits d’écriture couchés dans le dossier d’instruction, ceux-ci seront purement et simplement trafiqués par la littérature, pour leur faire dire l’exact contraire de ce qu’ils disent.
Quant à Daniel Legrand fils, il reviendra, comme on le sait, sur des aveux pourtant réitérés et déclarés devant plusieurs personnes différentes . Par la suite, il déclarera que son avocat de l’époque, Maître Rangeon, le croyait coupable. Legrand fils sera condamné à Saint-Omer, puis fera appel en prenant comme défenseur Julien Delarue, fils d’Hubert, lui-même déjà dans la place comme défenseur de l’huissier Marécaux. Delarue fils travaillait dans le cabinet d’Eric Dupond-Moretti, à Lille.
Concernant l’authenticité des PV, contestée donc, par la suite, à la fois par la défense et par les accusés, cela a, bien entendu, été examiné ultérieurement et attentivement par l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ).
Ainsi, évoquant la pratique professionnelle du magistrat instructeur, son greffier qui, par ailleurs, ne le portait pas dans son cœur, déclarera devant l’IGSJ :
« Lors des actes, il avait préparé les questions à poser aux personnes mises en examen, les leur lisait, notait lui-même leurs réponses, puis dictait questions et réponses que je tapais sur l’ordinateur. A la fin de chaque acte, les personnes mises en examen avaient toute latitude pour relire les questions, les réponses, et demander qu’une correction puisse être apportée si un mot, une expression, ou une phrase n’était pas le reflet de ce qu’elles avaient dit. Les avocats présents pouvaient aussi relire, apporter des précisions ou faire réparer des omissions. »
Dans son livre, Gilles Antonowicz, qui n’est en rien partie prenante dans l’affaire, indique :
« Autrement dit, le juge Burgaud semble avoir toujours fait preuve de rigueur, tout au moins sur la forme, et force est de constater qu’à une exception près (Emmanuelle Osmont, avocate de Karine Duchochois), aucun avocat, tout au long des dix-huit mois durant lesquels il conduisit l’instruction, ne manifesta la moindre réserve à ce sujet. » 4
De même, selon l’avocate de Myriam Badaoui, Maître Pouille-Deldique, toujours interrogée par l’IGSJ :
[Fabrice Burgaud] prenait soin à chaque interrogatoire ou confrontation de prendre la parole des uns et des autres. Sa manière de procéder n’appelait pas de critiques.
Enfin, d’après Olivier Rangeon, avocat de Daniel Legrand fils :
« Le juge d’instruction prenait des notes et dictait à la fin l’ensemble des questions et des réponses. La retranscription était fidèle et réalisée avec soin d’autant plus qu’il était possible de modifier les déclarations à la suite de la lecture de l’acte par le mis en examen et son conseil. »
Peut-on continuer à affirmer que la question reste ouverte ? Que, sur ce point fondamental de la sincérité des PV, la thèse principale de la défense est valide ou invraisemblable?
Alors qu’un seul avocat y trouva à redire durant l’instruction, qu’un seul mis en examen refusa de signer, comment donc les arguments de la défense ; défense, il est vrai, soutenue massivement et unilatéralement par les médias de l’époque, ont-ils pu à ce point enfoncer toutes les digues de la simple raison ?
En résumé, et quoi qu’il en soit, acceptons l’idée que s’appuyer uniquement sur les distorsions constatées entre les PV et leur relation dans la littérature sur l’affaire ne suffit tout-à-fait pas.
Note sur la tenue de l’instruction
Pour celles et ceux qui ont entendu dire que l’instruction de Fabrice Burgaud était désastreuse et partisane, écoutant en cela essentiellement le discours des avocats de la défense, et compte-tenu du fait que le CSM5 ne trouva pas grand-chose à redire de son côté, sinon quant aux erreurs plus ou moins graves, ou maladresses inévitables chez tout magistrat instructeur qui a une centaine de dossiers à traiter au plus vite sur son bureau.
Pour eux, donc, voilà ce que déclarait à la Commission d’Enquête Parlementaire6 Michèle-Laure Rassat, professeur de droit et chargée, en 1996, d’un rapport commandé par Jacques Toubon, alors Ministre de la Justice (elle était entendue ici ès qualités) :
« J’ai été 30 ans Directeur des Instituts d’études judiciaires des facultés dans lesquelles j’enseignais. J’ai la prétention d’avoir une petite idée sur la question, sur ce que sont les fonctions de magistrat et ceux qui les exercent. Compte tenu de ses fonctions, de ses compétences, des pouvoirs qui étaient les siens et les moyens dont il disposait, Fabrice Burgaud a fait son travail, et il l’a fait remarquablement. Et il a bien du mérite […].
Je tenais à le dire parce que le malheureux n’a été soutenu par personne. Pas par sa hiérarchie. On vous a dit ici qu’elle était pesante. Cela doit dépendre de ce qu’elle fait, parce que là, elle a été merveilleusement absente. Pas par ses pairs, qui l’ont soutenu avec des pincettes, on ne sait pas ce qui peut arriver, il vaut mieux ne pas se mouiller. Il n’a été soutenu par personne. Je lui donne acte qu’il a bien fait ce qu’il avait à faire . »
Elle précisera qu’elle ne connaît pas Fabrice Burgaud, ne l’a jamais rencontré. Puis elle pris congé de la Commission sous le regard gêné des participants.
De cela, on parla peu : l’objectif était de livrer des responsables à l’opinion.
Pour finir…
Il faut saisir en outre qu’un jeune magistrat qui a réussi un concours difficile, n’est pas encore rentré dans la routine du métier et nourrit même, peut-être, certains idéaux. Sans doute aussi se sent-il investi d’une vocation. Il ne compte ni son temps, ni son énergie, car il doit impérativement faire ses preuves. Il est donc parfaitement conscient qu’il n’a le droit ni à l’erreur, ni à l’approximation.
Le zèle de la jeunesse et la force de travail qui va avec furent ainsi transformés en incompétence par la littérature sur le sujet.
1 Voir plus loin, Réécritures.
2 Tout comme ce qui est écrit sur l’affaire par les uns et les autres est aussi un « fait d’écriture ».
3Myriam Revault d’Allonnes, op.Cit.
4Il dit donc le contraire aujourd’hui...
5Conseil Supérieur de la Magistrature.
6 La CEP comptait 30 membres, la plupart députés. De janvier à avril 2006, elle auditionna plus de 200 personnes, dont les acquittés et Fabrice Burgaud. Son rapport comportera 614 pages.