Avec le livre de Radault, la liste des ouvrages publiés sur la triste affaire française, vieille maintenant de 20 ans, atteint dorénavant le chiffre impressionnant de 38, soit 2 par an depuis le premier procès. Sans compter de multiples articles, blogs, film, documentaires (dont ceux, récents de France Télévision et de Netflix).
A titre de comparaison (osée?), la plus célèbre affaire judiciaire française, l’affaire Dreyfus, compte environ 48 livres. Ce record historique sera-t-il battu un jour? C’est bien possible, d’autant plus que l’auteur de ces lignes n’a pas encore dit, ni écrit, son dernier mot: un livre attend toujours son éditeur, le dernier en date s’étant courageusement défilé.…
Tous ces ouvrages, et contrairement à ceux de l’affaire Dreyfus sur laquelle plus personne n’ose revenir, se divisent clairement en deux catégories:
-Les plus nombreux sont ceux qui vont, encore aujourd’hui, dans le sens du vent de l’époque, qui souffle toujours dans la même direction: celle d’une erreur judiciaire exceptionnelle dont la conclusion d’acquittement quasi général fut heureuse, grâce notamment au travail acharné et désintéressé d’avocats de la défense pugnaces auxquels les journaux et revues ouvraient généreusement leurs colonnes. D’avocats dont l’un devint Ministre de la République, accrochant, hilare et sans complexe, la médaille de la Légion d’Honneur au revers du veston d’un comparse et avocat de l’affaire, Hubert Delarue. La cérémonie fut filmée, en présence de Florence Aubenas elle-même, toujours fidèle au poste.
Au travail aussi d’une classe politique opportunément réunie, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Ouf! Enfin un sujet consensuel! Celui de l'erreur judiciaire du siècle.
Grace enfin au travail des médias français unanimes, regroupés sous l’indiscutable bannière du «Tous innocents!» Des gens qui nous ressemblaient tant ne pouvaient faire des choses pareilles: la preuve par l’abbé Pierre, sans doute…
Tous innocents, sauf quatre. Il fallait bien quelques coupables quand même. Quelques coupables pour cacher la forêt des responsabilités et des multiples connivences. Ce furent Thierry Delay, le père et Myriam Badaoui, la mère. Deux voisins, faibles évidents: David Delplanque et la jeune Aurélie Grenon. Grenon complice, et parfois protectrice des enfants. Embarquée dans un sinistre «jeu» dont elle ne maîtrise absolument rien. Delay, le père et Badaoui, la mère, maltraités tous deux dans dans leur enfance et leur jeunesse… Mais Myriam Badaoui, et en raison de son spectaculaire revirement final, qui bénéficiera de conditions de détention exceptionnelles, telle une repentie de la Mafia.
-La seconde catégorie d’ouvrages, moins importante, attendit d’abord, et comme la loi commune l’impose en temps normal, que les différents verdicts, de Saint-Omer, puis de Paris, tombent. Ce que ne firent évidemment pas les premiers ouvrages, ouvertement affranchis (par qui?) de la «vérité judiciaire» dite à Saint-Omer: 10 condamnations sur 17!
Cette seconde catégorie d’ouvrages en question, tous sérieux et documentés, moins importante en quantité, et publiée chez des éditeurs moins prestigieux, s’attache au contraire à montrer que l’affaire a été gravement biaisée, pour d’évidentes raisons que le contexte de l’époque fait comprendre: qu’il ne pouvait s’agir que d’un réseau local de pédocriminalité, comportant toutefois quelques personnalités… et en rapport avec la Belgique toute proche de la sinistre affaire Dutroux contemporaine. Ces ouvrages, films, reportages, blogs, sites, comme «Démystifier Outreau», ont deux qualités: d’être tous honnêtes et d’exister (au «Pays de la liberté»!).
Les auteurs des ouvrages de cette seconde catégorie n’en furent pas moins, malgré leur sérieux, leur modération et leur parfaire connaissance du dossier d’instruction, immédiatement moqués, raillés, vilipendés, invisibilisés. Traités, avec leurs auteurs, des qualificatifs habituels: complotistes, révisionnistes, etc. Pour ne pas dire d’extrême droite, voire fascistes. Insultes qui ôtent alors toute possibilité de réflexion: c’était l’objectif. Réfléchir sur l’affaire, tacher de ne rien laisser dans l’ombre était déconseillé pour la santé. Dormez tranquilles braves gens, comme on dit parfois.
Celui qui tient cette plume fragile, dont la famille était entrée très tôt dans la résistance française, en fut au départ un peu chagriné. Puis rapidement colère.
Quant au maladroit qualificatif de «révisionnistes», chacun avait sans doute oublié qu’il s’appliquait autrefois aux partisans d’Alfred Dreyfus qui réclamaient la révision de son procès.
Dans cette seconde catégorie d’ouvrages, aucun mensonge, si l’on prend la peine de consulter le volumineux dossier d’Instruction (30 000 pages). Ne pas mentir est conseillé lorsqu’il s’agit d’approcher une vérité.
En revanche, dans les autres ouvrages, ceux qui hurlaient à l’erreur judiciaire du siècle tombée sur la tête de pauvres bougres qui nous ressemblaient, et écrits en des temps records et des délais impossibles à normalement tenir, les mensonges sont tous plus énormes les uns que les autres. Sans compter les falsifications de documents, y compris chez Florence Aubenas elle-même. Nul ou presque n’en parla: cela aurait sans doute été indécent. Et QUI, ignorant tout du dossier réel, peut s’en rendre compte?Il faut croire qu’un gros mensonge, à condition d’être constamment martelé, finit par prendre les couleurs de la vérité. Banal. D’autant plus que le mensonge plait, à condition de ne pas être découvert. Il est uniquement fabriqué pour satisfaire son public. Il va toujours dans le sens des choses acceptables et s’adapte parfaitement aux situations. Contrairement à la vérité qui, le plus souvent, dérange.
A titre d’exemple, le récent ouvrage de Philippe Radault sur La Méprise d’Aubenas, livre sérieux et documenté de 500 pages, décompte un nombre proprement invraisemblable de mensonges et de manipulations diverses de la part de notre héroïque et médiatique journaliste. A l’époque (2005), ouvrage décisif pour la défense, rappelons- le, et publié lui-aussi illégalement (mais sans conséquences... Sinon la conséquence naturelle des mensonges) juste avant le procès en Appel de Paris. Et donc largement capable d’influencer et de tromper gravement l’opinion du pays. Et par conséquent le verdict d’un jury d’Assises souverain, sensible, quoi qu’on en raconte partout, au sentiment général et aux humeurs de l’opinion publique. D’autant plus que le verdict avait été prononcé juste avant… le verdict. Par le Procureur Général Yves Bot, un des plus hauts magistrats de France. C’était la veille d’acquittements désormais acquis, par dessus la tête et les consciences des citoyens jurés. Pas mal...
Au final, mensonges et manipulations tous et toutes passées à la trappe de l’Histoire.
Jusqu’à quand?
Lisez donc ces pages du livre de Philippe Radault. Le public, donc le citoyen d’un pays démocratique a été gravement trompé. Une fois de plus. Qui peut s’en étonner?
Mais a-t-il l’intention de conserver encore longtemps cette déplorable habitude sans jamais réagir?
Et quel que soit la direction dans laquelle souffle le vent?