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Billet de blog 17 décembre 2022

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DURAND ET DUPOND

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La CIIVISE, (Commission Indépendante sur l’Inceste et les VIolences Sexuelles faites aux Enfants), instaurée en janvier 2021, poursuit ses travaux.

La Commission a déjà auditionné près de 20 000 adultes qui ont souhaité témoigner des violences sexuelles et des viols qu’ils ont subis durant leur enfance.
Edouard Durand, le Vice-Président de cette commission, a répondu, le 6 décembre dernier, aux questions des députés .

Voilà notamment ce qu’il en ressortit (les propos entre crochets sont mes remarques personnelles; ce qui est en gras est souligné par nous):

Quelques chiffres.

73 pour cent des plaintes pour violences sexuelles, viols et incestes sont classés sans suite. Il y a ainsi 160 000 enfants victimes oubliés par an en France. Un enfant sur dix est victime. 5,5 millions de personnes ont donc au total été victimes dans leur enfance. Ainsi, sur une classe de 30 enfants, il y en a donc trois en moyenne. Les enfants handicapés connaissent trois fois plus d’agressions [sans commentaire, sinon qu’il s’agit à chaque fois de pouvoir: lorsque l’enfant ne peut parler, ou n’est pas cru immédiatement, pour toute une série de raisons, l’impunité du prédateur est assurée].

Certes, un consensus s’est facilement établi : il faut protéger les enfants. Mais comment protéger les enfants si l’on refuse de voir en face la terrible réalité de ces crimes ? [Qui sont presque toujours minorés, voire déniés. Quant au consensus, il est commode, fonctionnant sur un mode pseudo-humanitaire déculpabilisant. Comme il est dit vulgairement, reconnaître qu’il faut protéger les enfants : « ça ne mange pas de pain. »]

La société reste trop dans l’injonction paradoxale : protéger les plus fragiles oui, mais refuser de voir les sévices en face. [Bien entendu, ce déni est d’abord protecteur.]

Les théories anti-victimaires.

Il faut pouvoir dire aujourd’hui à un enfant victime qui témoigne : je te crois. [Nous sommes donc très très loin du compte, puisque la suspicion, appelée frileusement « prudence » reste la règle] Il faut pouvoir dire à un adulte victime dans son enfance : nous avons collectivement failli. Nous n’avons pas su vous protéger.

D’autre part, lorsque l’enfant victime est mineur, on n’a absolument pas à lui demander : étais-tu d’accord ? Pourquoi sinon n’as-tu pas crié ? Pourquoi tu ne t’es pas débattu, enfui, etc. ?

Comment voulez-vous qu’un enfant victime sorte du silence dans lequel il s’est enfermé, s’il n’y a pas près de lui un adulte pour lui inspirer confiance ? Le silence est l’arme des prédateurs [ajoutons : l’arme absolue]. Pour autant, nous ne devons plus être intimidés.

J’ai entendu déclarer dans une formation pour futurs avocats qu’il faut demander à un enfant qui se dit victime de violences sexuelles : Tu te rends bien compte que tu risques d’envoyer quelqu’un en prison ? C’est grave.

On sait également que les théories « anti-victimaires » [comme le SAP, syndrome d’aliénation parentale, ou le concept de « fausses allégations »] font beaucoup de dégâts. [Donc, retour dans la poubelle qu’elles n’auraient jamais dû quitter les théories fumeuses et très dommageables pour les enfants victimes du docteur Paul Bensussan].

La violence intra-familiale.

Il y a beaucoup plus de risques d’inceste sur son enfant de la part d’un parent violent conjugal. Les violences conjugales sont toujours à mettre en rapport avec les violences sexuelles commises sur enfant. [Cette violence est toujours là pour asseoir un pouvoir, une domination effective, psychologique et physique sur plus faible que soi. Le paradoxe n’échappe à personne : s’il est besoin d’asseoir un pouvoir sur plus faible que soi c’est que cette supposée « force » reste bien fragile. Il y a certainement beaucoup de faiblesse dans une violence qui s’exprime ainsi].

Mais en France, on refuse de toucher à la parentalité. Face à des sujets [parents] qui transgressent la loi, il faut absolument que la loi s’applique et que l’on soit capable, après une séparation, de retirer l’autorité parentale au parent violent.

La violence et la Loi.

Chez les enfants et jeunes délinquants, il y a clairement une surreprésentation d’enfants qui ont subi des violences sexuelles et assisté à des violences conjugales. Il apparaît ainsi que c’est pour ces enfants, la loi du plus fort qui l’emporte toujours. Il ne font plus confiance en la loi qui n’a pas été capable de les protéger [le respect de cette loi impuissante et inefficace disparaît du même coup. D’où la transgression permanente].

C’est pourquoi, dans le rapport entre la loi et la violence, il convient de créer un espace de pensée et de parole. Dire l’écart créé entre la loi et le réel vécu par l’enfant réel. Il faut donc nommer les deux : nommer la violence, mais nommer en même temps la loi qui l’interdit. On peut alors élaborer sur les « droits de l’enfant », mais à condition justement que l’enfant soit en sécurité. On ne peut parle de « droits de l’enfant »[concept rassurant et, une fois de plus, déculpabilisant] si la société n’est pas capable d’assurer sa sécurité.

Le présent perpétuel d’une souffrance.

Aucun principe n’est vraiment pensé pour gérer l’impunité des agresseurs. Oui, il y a aujourd’hui une impunité de l’agresseur [les chiffres sont suffisamment parlants : seul 1 pour cent des plaintes aboutit à une condamnation!]. Je ne vois pas pourquoi on continue à opposer des principes à la protection de l’enfant réel [doit-on songer à la commode et habituelle formule de la « présomption d’innocence » ? N’y a-t’il pas aussi une « présomption de culpabilité » ? Que dire des prédateurs qui sont socialement très établis, qui ont des relations, sont puissants, connus et reconnus, etc. ?]

L’impunité des agresseurs reste une réalité et il faut nous donner les moyens de lutter contre. Il y a encore gravement tendance à discréditer par avance, la parole de l’enfant, au moyen de ces concepts anti-victimaires. Le SAP est toujours là, il rôde, il circule, il nuit. Concept au nom duquel nous sommes contraints de supporter le risque que l’enfant violé puisse aller dormir chez son violeur.

Chez nombre de victimes adultes, les violences sexuelles, viols et incestes ne sont pas seulement de terribles souvenirs : c’est le présent perpétuel d’une souffrance.

[Remarque : sur le titre de cet article, il ne faut pas oublier que l’actuel Ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a construit une grande partie de sa notoriété autour de l’affaire judiciaire d’Outreau (2004-2005). C’est à cette occasion que le grand public fit connaissance avec lui. Pour gagner à tout prix, il n’eut de cesse de déclarer que les témoignages des enfants victimes étaient toujours fragiles, sujets à caution, discutables. Lors du procès de Saint Omer (2004), il interrogea durant 6 heures un enfants de sept ans, pour enfin dire qu’il voyait dans ses déclarations quelques oublis et contradictions. L’enfant en question s’en souvient encore aujourd’hui.]

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