Il est, en effet, au moins trois choses à craindre:
-Que la vague reflue peu à peu et que les vannes se referment, compte tenu des impératifs spectaculaires de l'immédiateté médiatique, et de l'efficacité des éclusiers à la manœuvre.
-Que Weinstein et tous les autres soient punis, mais qu'ils ne constituent, malgré leur nombre et leur notoriété, que des arbres cachant une bien plus vaste forêt.
-Que l'on oublie l'ampleur du phénomène pédocriminel, hollywoodien ou pas.
Le déni généralisé de la pédocriminalité s'étend du viol d'un bébé de trois mois à celui de l'existence d'organisations pédocriminelles puissantes. La réalité de réseaux mafieux de toutes sortes est, pourtant, généralement reconnue sans difficulté; trafic de drogues, d'armes, d’œuvres d'art, de défenses d'éléphants ou de cornes de rhinocéros, prostitution, passeurs de migrants, etc.
Étrangement, cette même réalité d'évidence est niée au plus haut niveau lorsqu'il s'agit d'enlèvements, de séquestrations et de prostitution enfantine. Il est vrai que sont passées par là plusieurs affaires emblématiques, dont l'issue a provoqué d'énormes dégâts dans les esprits:
-Dans l'affaire des Disparues de l'Yonne, Émile Louis reconnut l'assassinat de sept jeunes filles et fut condamné pour cela. Pourtant, on n'en retrouva que deux...
-Dans l'affaire Dutroux en Belgique, l'existence d'organisations spécialisées dans l'enlèvement d'enfants alimentant ensuite des réseaux pédocriminels, et dont Dutroux, le «pourvoyeur» (ou le «rabatteur»), était l'échelon humain le plus bas, a été récusée à maintes reprises, et avec force, par l'appareil policier, l'appareil judiciaire, l'appareil médiatique, et l'appareil politique.
-Dans l'affaire d'Outreau, en France: aux dires des autorités, servilement relayées par les grands médias, l'existence d'une organisation pédocriminelle, les fréquents voyages en Belgique attestés de façon flagrante par de nombreuses pièces du dossier d'Instruction, le juteux trafic de cassettes pédopornographiques, furent niés en bloc, et avec la même énergie. Le Juge Burgaud passa alors pour un naïf un peu paranoïaque et influençable qui s'était gravement fourvoyé.
Qu'en est-il aujourd'hui à chaque fois qu'un enfant disparaît et que le corps n'est pas retrouvé? Car, s'il est relativement aisé d'enlever un jeune enfant, il est beaucoup plus difficile de faire disparaître définitivement un corps, à moins de disposer de moyens adéquats comme l'incinération. L'angoissante question de savoir si ces enfants sont encore vivants agite les esprits de chacun. Et pourtant, rien n'est dit sur le sujet, sans doute pour ne pas réveiller une opinion publique qui somnole, et dont les réactions, en la matière, pourraient gravement troubler l'ordre public.
Un très récent film, Mon Garçon de Christian Carion (2017), avec Mélanie Laurent et Guillaume Canet, aborde, et de façon exceptionnelle dans l'univers de la fiction française, cette question. Un enfant de sept ans est enlevé. Le père retrouve sa piste et décide d'agir seul. Il met la main d'abord sur le «pourvoyeur» (celui qui a kidnappé l'enfant), puis, grâce aux renseignements un peu extorqués par le papa, sur trois membres d'une organisation mafieuse spécialisée (à but lucratif) dans l'enlèvement et la séquestration de jeunes enfants, et qui sont propriétaires d'un véhicule immatriculé en … Belgique!
Mais, ce qui peut surprendre, en tout cas ceux qui savent, c'est qu'aucun spectateur n'a compris la fin du film: «Mais quelles sont donc les motivations des kidnappeurs?».
Bref, entre déni et, ici, tragique sous-information, le grand public n'a absolument rien saisi. Dénouement réservé aux «happy few», comme disait Stendhal? «Few» certainement. Mais «happy», pas vraiment, tant la connaissance lucide de toutes ces choses ne rend pas tellement «heureux» celles et ceux qui en sont les dépositaires.