COMMENT LE DANGER LE PEN EST FABRIQUE POUR NOUS EMPÊCHER DE PENSER.
(Petit coup de gueule.)
Il paraît quasi scientifiquement acquis à chacun, si l'on examine les sondages (qui se trompent souvent et nous trompent toujours), si on lit les commentaires éclairés des uns et des autres, les propos avisés et autorisés en la matière, que Marine Le Pen sera présente au second tour des élections présidentielles françaises. Et l'on ne peut qu' être surpris de l'effroi général devant cette perspective, quand on sait que ce Parti a pignon sur rue, qu'il n'est pas interdit (donc supposément «démocratique», ou alors, on est fou), qu'il a accès à tous les médias et qu'il est en partie financé avec nos impôts.
Voilà donc un second tour qui est pratiquement acquis (consensus généralisé sur ce point, comme l'élection d'Hillary Clinton), et que la tenue d'un premier tour semble donc superfétatoire.
La seule question qui vaille par conséquent dans le Landernau politique reste donc de savoir qui est le candidat capable de la battre au second tour. Car une autre chose est absolument certaine , certifiée et estampillée, c'est que celui qui affrontera Le Pen est certain de gagner à bon compte...Voilà qui fait beaucoup d'envieux et est quasiment inédit, hormis l'épisode Le Pen-Chirac de 2002.
Au lieu donc de combattre pied à pied les idées et de démonter patiemment les arguments du FN, l'enjeu principal sera donc, dès le premier tour, non de voter pour ses convictions comme c'était le cas jusqu'à présent, mais d'empêcher «à tout prix» (même au prix de la cohérence) Marine Le Pen, cet espèce de clone féminin trumpiste dont on se demande toujours ce qu'elle fait dans le paysage politique d'une grande nation, de devenir Présidente de la République.
Il faudra donc ne pas rechigner bêtement. Restons pragmatiques, camarades!
Qui est donc le plus apte (j'emploie le masculin) à battre MLP (et donc, a fortiori, être Président? D'ailleurs, qu'est-ce qui est le plus important: battre Le Pen ou devenir Calife?). On voit alors aisément qu'il reste fort peu d'inconnues dans cette élection algébriquement pliée avec certitude mathématique. Comme si c'était fait! Scientifique pur jus, on vous le dit!
Qui choisir? Dépêchons-nous, le temps presse!
Fillon a bien du mal à avancer avec ses casseroles au derrière, même si les Français sont réputés oublier très vite et avoir la mémoire courte. Hamon paraît peu s'intéresser à ce qui lui arrive, et l'appareil du PS semble déjà se faire à l'idée d'une habituelle alternance (très utile, l'alternance: un peu de Droite vous fera réfléchir, et nous, on se refera une virginité à bon compte, tant qu'on a des postes de Députés et de Sénateurs). Mélenchon est trop ceci ou trop cela, ou pas assez, ce qui revient au même...Sérieusement, il reste donc qui? Macron-Bayrou! Macron, c'est les Banques et la Finance Internationale, Bayrou, c'est pépère-la-morale, charentaise et bas de laine: ça fait un couple parfait, le couple parfait se trouvant justement dans le mariage des complémentaires, comme on sait). Macron, souriant, jeune et dynamique, l'homme nouveau que le pays réclamait, JFK français; Bayrou, le vieux sage qui en a vu d'autres, mais reste droit et intègre. Qu'on ne nous parle pas de leur programme, puisque chacun aura compris que cela n'a ni importance, ni intérêt, au Pays des Lumières, de l'Humanisme, et de la Raison Triomphante. Le programme on s'en fout: je suis à gauche et je vote à droite, et alors? On a quand même bien le droit d'être incohérent et de faire n'importe quoi: nous sommes au pays de la Liberté.
Merci donc à toutes et à tous pour le spectacle!
Madame Le Pen, merci. Vous êtes très utile dans l'abrutissement général et la lobotomisation des esprits. Voyez-vous, les médias vous servent la soupe, profitez-en bien. Vous n'avez rien d'autre à faire que de ne rien faire, ou pas grand'chose. Merci de nous indiquer le Nord, à nous pauvres déboussolés. N'oubliez pas non plus de nous dire aussi l'heure qu'il est, on ne sait jamais. Pensez, par la même occasion, à nous dire le temps qu'il fera, et quels sont les sujets importants du jour. Grâce à vous, on fait des économies de neurones. Surtout, ne changez rien, les autres se chargent du boulot. Même si vous n'êtes, après tout qu'un épouvantail dans un champs de maïs, juste bonne à faire fuir les étourneaux que nous sommes. Comme quoi, un épouvantail, même s'il n'y a rien dedans, c'est très utile.
Merci, Madame Le Pen, d'organiser ainsi la vie démocratique de notre grand pays. Si vous n'existiez pas, il faudrait bien vous inventer.
Pour finir: le danger fasciste n'est pas à sous-estimer ou à banaliser. C'est un danger qui se loge partout, mais qui ne dépend totalement ni d'un individu, ni même d'un groupe. Sans les banquiers, la finance, la grande industrie, Hitler n'était qu'un pitre. S'il existe un danger fasciste, il n'est pas fatalement et uniquement chez Marine Le Pen. Il est tapi dans l'ombre et dans les replis de l'Histoire, bien installé au chaud dans les idées à la mode et l'hégémonie culturelle réactionnaire que chacun a laissé peu à peu s'installer. Il nous sautera à la gorge sans que l'on s'y attende. Et peut-être le processus est-il déjà engagé, dans l'abdication de la pensée et le ramollissement peureux des esprits.