Karine Duchochois, acquittée d’Outreau
Parmi les acquittés de l’affaire d’Outreau, on s’en souvient,le cas le plus emblématique reste celui de Karine Duchochois. Elle est grassement indemnisée1 alors même que, contrairement aux autres acquittés, elle n'a pas fait un seul jour de prison. Elle écrit, rapidement elle aussi, un livre (avant l'appel de 2005) chez l'éditeur parisien Plon, dont le titre ne lui conviendra pas: Moi Karine, innocente et cassée. («Je n'ai jamais été cassée», déclarera-t'elle). L'ouvrage, malgré une qualité objectivement médiocre, reçoit le prix littéraire «Comte de Monte Cristo», tout nouvellement créé en 2005, et qui vise à récompenser les oeuvres littéraires autobiographiques. Le prix aura cependant une durée de vie éphémère. Serait-ce une récompense de circonstance?
C'est justement Gérard Lhéritier, cité plus haut, et présenté parfois comme un «ami» de Karine, qui en est le créateur. Mais Lhéritier, parfois donc surnommé le «Madoff» des lettres, et qui fréquente le beau monde, de Rachida Dati à Nicolas Sarkozy, en passant par Dominique de Villepin ou Johnny Deep aura, comme on l’a dit, quelques petits ennuis avec la justice. Comme le rapporte de nombreux quotidiens, dont Le Nouvel Observateur (article du 7/12/14), celui que l'on présente aussi comme le plus gros acheteur mondial de manuscrits, est inquiété dans une enquête préliminaire pour «escroquerie en bande organisée et pratique commerciale trompeuse». C’est l’affaire Aristophil, dont le dénouement se fera peut-être dans un an.
L’affaire Aristophil
La société Aristophil, s’était spécialisé dans l’achat et la vente de manuscrits rares. Après Paris, elle avait ouvert un musée à Bruxelles. Elle avait des succursales en Suisse, en Autriche, à Hong-Kong... Le parrain et le promoteur zélé, ami de Gérard Lhéritier, en était le célèbre présentateur de télévision Patrick Poivre d’Arvor. Le principe du fonctionnement de la société était celui du malin principe de la pyramide de Ponzi2. Lhéritier proposait des manuscrits rares à la vente, promettant un excellent et exceptionnel rapport aux investisseurs. Il était parvenu à se constituer un fonds de 130 000 manuscrits, dont des écrits de Sade, de Proust, Napoléon, Verlaine, Hemingway, de Kafka, d’Einstein… Les premiers acheteurs, s’ils souhaitent revendre, seront payés avec l’argent d’acheteurs plus récents. Les manuscrits resteront cependant enfermés et exposés dans le Musée : c’est un pur investissement. Mais comme il n’y aura jamais assez d’argent pour pouvoir rembourser tout le monde, Lhéritier fera des milliers de victimes : 18 000 petits épargnants. Les dettes de la société s’élèveront à 850 millions d’euros.
Einstein et Spielberg
En 2002, Lhéritier avait acheté aux enchères à Londres, pour la somme de 559 000 euros, un manuscrit d’Albert Einstein dans lequel le physicien esquissait la théorie de la relativité. Il n’y avait pas, pour Lhéritier, que la beauté du geste. Il convenait surtout de revendre cette rareté au plus haut: 32 millions de dollars! Mais à qui ?... Même si les millionnaires voulant profiter de la fiscalité avantageuse sur les œuvres d’art ne manquent pas... Bill Gates, Xavier Niel, Harvey Weinstein ? Il pensa alors au réalisateur Stephen Spielberg.
Lhéritier mandata une communicante dont le travail était d’approcher Spielberg et de l’appâter. Elle proposa même à celui-ci un storyboard de son invention racontant à grands traits la vie d’Einstein, et tout cela destiné à devenir une super production…
Mais Spielberg, dûment conseillé, déclina l’offre.
Hôtel particulier dans le 7e arrondissement
Il avait réussi aussi à acheter à la barde des Quataris-qui peut le plus peut le moins-un hôtel particulier luxueux3, l’hôtel de la Salle qui devint, modestement parlant, l’Institut des Lettres et Manuscrits. Lhéritier y organisait des réceptions fastueuses, accueillant d’anciens Président comme Valéry Giscard d’Estaing. Les serveuses et serveurs étaient habillés façon XVIII e siècle, avec costumes et perruques. Des gardes napoléoniens roulaient tambour à chaque invité de marque qui entrait. Nonobstant la chronologie historique, rien que du très bon goût.
Lhéritier sera poursuivi dès 2015. PPDA sera entendu par la brigade financière sous le régime de la garde-à-vue pour un prêt de 400 000 euros accordé par Lhéritier, et qui avait disparu des comptes de la société. PPDA sera contraint également de restituer les cadeaux généreusement offerts, comme des autographes originaux de célébrités.
Le procès pour escroquerie en bande organisée de Gérard Lhéritier devrait se dérouler en 2024. Beaucoup considèrent qu’il s’agit du plus gros scandale à l’épargne de la 5e république.
Revenons à Karine
A l'époque où Karine reste personnellement très proche aussi de l'influent Patrick Poivre (d’Arvor), TF1 acquiert les droits de l'ouvrage de sa protégée pour en réaliser ensuite une fiction télévisée, qui ne verra d’ailleurs jamais le jour: au moins, l’argent est-il rentré, et qui vient s’ajouter au montant du prix Comte de Monte Cristo.
En 2007, notre Karine devient journaliste (elle n'a ni diplôme, ni compétences) à France Info et tiendra une chronique «Le Droit d'Info» consacrée à la justice. Elle adhère à l'Association des journalistes judiciaires, présidée à l'époque par Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur au Figaro, ami très proche d’Eric Dupond-Moretti et partisan de la thèse: il ne s’est rien passé à Outreau. Le monde est petit. Elle devient également journaliste animatrice du magazine hebdomadaire télévisé «Engrenage infernal» sur la chaîne Planète+ Justice.
Elle réalise, en 2011, un reportage documentaire sur l’affaite d’Outreau, diffusé dans l'émission «Zone Interdite» (M6), et qui reprend la vulgate mensongère servie au public depuis le début. Entre temps, elle a aussi été engagée par la chaîne 13° Rue («Passeport pour le crime»), chaîne que PPDA rejoindra à son tour en 2013, et où officiait déjà Christophe Hondelatte. Pour
Karine Duchochois, ce fut donc comment passer du ghetto (d'Outreau) au gotha.
Questionnée en 2008 par le même Christophe Hondelatte dans son émission de France 2 « Faites entrer l'accusé»:«Karine, vous avez de l'ambition, il ne faut pas craindre de le dire, c'est bien l'ambition...Alors, cette affaire (d'Outreau), peut-on dire qu'elle vous a finalement servie?» Réponse de Karine Duchochois:«Oui».
Toutes considérations qu'on jugera triviales ou déplacées. Sans aucun doute.
Le prix littéraire Comte de Monte Cristo
Triviales encore, ces quelques remarques sur ce mystérieux prix littéraire « Comte de Monte Cristo » dont il est question plus haut, quand on sait qu'il a été décerné également en 2009 aux Legrand père et fils (autres acquittés de l’affaire) pour leur bouquin Histoire Commune, témoignage dont la médiocrité littéraire n'est pas à prouver: il s'agit, plus précisément pour eux, de la catégorie «Prix de l'émotion face à l'injustice». L'ouvrage a été rédigé avec Youki Vattier, réalisatrice qui travailla, par ailleurs, avec Christophe Hondelatte.
A y regarder d'encore plus près, on se rend compte que, parmi les jurés de ce prix littéraire, il y a eu Patrick Poivre d'Arvor himself, mais aussi Philippe Houillon, député Rapporteur de la Commission d'Enquête parlementaire sur l'affaire en 2006. D'ailleurs, si l'on prend la peine de consulter la liste des membres du jury, on y trouve d'autres connaissances, beaucoup de journalistes, certes, un député comme on l'a dit, mais aussi un magistrat et un avocat:
-Dominique Rizet du Figaro, qui travaille (lui-aussi!) avec Christophe Hondelatte, un ami, pour la télévision (Faites entrer l'accusé). Qui officie également sur la chaîne Planète+Justice (comme Karine Duchochois), mais qui est copain de surcroît avec Eric Dupond-Moretti ( avocat qui remportera de son côté le 6e prix Comte de Monte Cristo avec Loïc Sécher pour Le Calvaire et le Pardon). Dominique Rizet a commencé sa carrière au SIRPA4 , et c'est sans doute pour cela qu'il a ses entrées un peu partout, notamment dans les milieux de l'armée et de la police, ce qui aide grandement quand on veut avoir accès à des informations délicates.
-Le magistrat Serge Portelli, auteur d'ouvrages sur les violences faites aux enfants, mais grand défenseur de la thèse «on a beaucoup trop écouté les enfants à Outreau».
-Mattieu Aron5, qui fut directeur de la rédaction de France Inter, auteur d'un récent ouvrage de compilations les grandes plaidoiries du siècle où l'on retrouve celle de l'avocat de la défense à Outreau Hubert Delarue. Mais aussi co-scénariste avec Marie-France Etchegoin du documentaire sur l'affaire Alègre Notable, donc Coupable, et qui, comme son titre l'indique, défendit ardemment la thèse de la non-participation de personnalités dans l'affaire, contrairement à ce que tendait à monter l'enquête du gendarme Michel Roussel qui fut finalement soigneusement écarté6.
-L'avocat Eric Dupond-Moretti, décidément copain avec tout le monde, etc. Il eut l’avenir que l’on sait.
Bref, du très beau monde influent, proche des cercles des pouvoirs (officiels et non-officiels); de ceux qui se connaissent bien pour se fréquenter et discuter, casser la croûte, boire un verre, qui font et défont l'opinion publique pour notre plus grand amusement mais, semble-t-il bien, toujours dans la même direction…
Karine fut attachée de presse de Lhéritier jusqu’à ce que le scandale Aristophil éclate.
Elle devint ensuite attachée aux relations publiques du Musée des Arts et Manuscrits.
Quelques lauréats du prix :
Karine Duchochois, 2005.
Alain Marécaux (autre acquitté d’Outreau), pour Chronique de mon Erreur judiciaire, 2006.
Daniel Legrand père et fils (acquittés), pour Histoire commune, écrit avec Youki Vattier,2009.
Eric Dupond Moretti (célèbre avocat de l'affaire d'Outreau) et Loïc Sécher, pour Le Calvaire et le Pardon, 2013.
Moralité
Cela pourrait être l’inusable « Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir »…
Mais aussi, et plus moderne, cet extrait d’article du Figaro que la journaliste Mathilde Bergon, couvrant la remise des prix, écrivit en 2014:
« Nous y étions. Mardi soir, dans l’enceinte de l’Institut des Lettres et Manuscrits, le jury présidé par Gérard Lhéritier a remis quatre prix pour des livres témoignant d’une injustice. Une soirée émouvante.
Patrice Zehr, ancien Rédacteur en chef de RMC, inaugure la cérémonie, avant de céder sa place à Gérard Lhéritier, le Président du jury et fondateur de l’Institut des Lettres et Manuscrits. Lhéritier cite Camus7. Son discours est bref mais sincère8. Il égrène les sept livres nommés, les sept histoires, les sept destins que la justice a piétinés. Le Président a « le sentiment que l’action de Monte-Cristo est utile, et que si ce prix ne peut donner aucune leçon, la Justice accepte petit à petit de se remettre en cause9.»
Le sourire ne quitte pas Karine Duchochois, journaliste à France-Info, -elle-même victime d’une erreur judiciaire dans l’affaire d’Outreau - qui remet le prix aux lauréats.
[…]. Vient le tour du premier prix, remis ex-aequo à Marc Machin pour Seul contre tous et Loïc Sécher et Eric Dupond-Moretti pour Le Calvaire et le Pardon.« J’ai souffert 2555 jours de prison, déclare Sécher, mais aujourd’hui, je pense à mon frère Nelson Mandela, qui lui a fait 27 ans de prison. Paix à son âme.» Maître Dupond-Moretti, son avocat, tout en retenue [sic]10, confesse: « Ce n’est que justice; elle arrive tardivement, mais ce n’est que justice.»
1Les montants furent tenus secrets, mais une moyenne de 800 000 euros pour chaque acquitté.
2Comme dans le scandale Madoff.
3Hôtel du XVII e siècle de 1700 m². Il avait ensuite appartenu à Cambacérès.
4Service d'informations et de Relations Publiques des Armées.
5Diplômé aussi de l'INHESJ, l'institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.
6Roussel qui déclarera notamment (Colloque Justice et affaires sensibles, Cercle républicain, 9/11/09) : « L'affaire Alègre n'est pas la version fabriquée dans le film Notable donc coupable. C'est un tueur « qui a tué pour lui et pour les autres, probablement protégé ». L'affaire, « c'est de trop nombreux dossiers véritablement sabordés, un passif énorme de dossiers criminels qu'il est impératif d'ouvrir ».
7Camus souvent cité, et à longueur de temps, et sans vergogne, y compris par Dupond-Moretti. Peut-être ce que Dupond sert à toutes les sauces, parce Camus-ça-fait-bien: « La Justice est une chaleur de l’âme ? »
8C’était avant qu’on le considère comme un escroc.
9Malheureusement pour lui, pas encore assez. Puisque Lhéritier doit passer en jugement en 2024. On peut penser que ses amis PPDA et Karine Duchochois se feront discrets. Tout comme le lauréat du prix Eric Dupond-Moretti.
10La remarque mérite d’être soulignée. En tout cas, que de doigté de la part de cette journaliste...