Né de la guerre et de père inconnu, je vais atteindre les 70 ans l'été qui vient. Réchappé d'un cancer, épargné miraculeusement par le SIDA... réarmé par Mai 68, refondé par un coming-out combattif, j'ai mené une vie intense, passionnante et passionnée.
Mais que nous est-il arrivé ? Nous avons quand même cru à un avenir triomphant, en tout cas à une marche naturelle vers le mieux, le plus, le toujours possible. à nos vingt ans quand une porte était fermée, un bon coup de pied dedans nous l'ouvrait. Et nous avons donné du pied. Puis l'avenir s'est refermé, porte à porte, les coups de pied ont changé de bord, l'impossible retour capitaliste s'est effectué plus implacable que jamais. Un grand vent de XIX° siècle avec les moyens du XXI°.
Nous aurions dû nous cabrer, conjuguer nos aspirations, reprendre le dur de la lutte des classes, faire table rase des palinodies social démocrates et des horreurs staliniennes ou de leurs doucereuses pseudo repentances...
Et voici que je me retrouve devant d'ex-jeunes gens camarades radicalisés qui, à la quasi quarantaine, devant la dureté des temps, s'en sont allé se réfugier dans les arcanes d'un post stalinisme toujours affairé à sa seule petite affaire, sa survie maquillée en stratégie, sous l'égide passagère d'un cacique mitterrandien au verbe archéo-républicano-chauvin.
Voici que j'ai entendu et dû soutenir de non moins jeunes ou ex jeunes gay et lesbiennes qui de gay pride en marches de la fierté se sont doucement rendus au familialisme le plus plat, au conjugalisme revendiqué et pour finir se sont engouffrés dans l'institution du mariage et la parentalité à deux, présentées comme le climax absolu de l'émancipation LGBT.
Voici enfin que définitivement marginalisés par l'agonie sans fin du stalinisme, et harrassés de défaîtes par les trahisons successives et têtues des sociaux démocrates, toutes les générations militantes de l'après guerre (pas la guerre permanente actuelle, mais celle de 39/45) en sont réduites à pleurnicher leur nostalgie du "Conseil national de la Résistance" ainsi présenté comme l'acmé de ce que le mouvement ouvrier peut produire (et produira jamais ?); alors qu'il s'agit à l'époque du renoncement des staliniens à toute révolution en France grassement (c'est vrai) payé par la bourgeoisie gaulliste foutrement soulagée.
Ultime sursaut de soixanthuitarisme nous avons tenté, bien trop tard ou trop tôt, la fondation d'un parti par en bas, un nouveau parti anticapitaliste qui a fini en nouvel avatar d'une extrême gauche velléitaire, doctrinaire et groupusculaire dont quelques valeureux éléments tentent de conserver quand même quelque chose comme un radeau pour espérer aborder l'avenir autrement qu'en cénacle trotskiste façon Minuit dans le siècle.
Tandis que Malraux avait prophétisé sous cocaïne que le XXI° siècle serait religieux et spirituel ?!, nous disions, somme toute sur ce point à très juste titre, dans les années 70 du siècle passé, que l'an 2000 ce serait Socialisme ou Barbarie. Qu'en pensez-vous ? Nous n'avons pas dit que des sottises. Et voilà que c'est fait, nous y sommes.
Bref, tout cela pue l'épouvantable naufrage de quelques générations à gauche, massacrées moralement, politiquement et souvent physiquement par les contrerévolutions stalinienne et impérialiste. C'est triste, immensément sans doute, mais pas définitif. Laissons les morts enterrer les morts (Mathieu 8.21).
L'autre époque, la nouvelle belle et (réellement) rebelle époque du renouveau révolutionnaire, et j'espère implacable d'avoir été tant trahie, tant torturée, celle là qui se cherche dans ce nouveau Minuit où nous pataugeons, dans les ténèbres et ses monstres, elle ne saurait rester terrée, elle va venir.
Estan los viejos cuchillos tiritando bajo el polvo écrivit Llorca.
Quelle impatience !