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Billet de blog 6 février 2014

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L'utopie (homo)sexuelle billet 17

Leurs défaites et les nôtres17. De l’arrogance en pays dominant...

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Leurs défaites et les nôtres

17. De l’arrogance en pays dominant...

 Il y a quelque chose de piégeux dans les altiers rappels à l’ordre et la commisération indignée dont font preuve les pays dominants (hier colonisateurs par exemple) envers ces autres pays dominés (naguère colonisés pour nombre d’entre eux) où sévissent toujours diverses formes de stigmatisation, des pratiques et des lois discriminatoires et répressives envers les « hors le genre ». Cela mérite un peu de retour au passé.

Le Premier ministre Lionel Jospin lorsqu’il a « consenti » au pacte civil de solidarité, PACS, accessible aux gays a cherché où faire signer ce Pacs. La mission en échut au Tribunal d’instance qui n’en pouvait mais. Sous la pression de la gauche hétéronormative, fétichiste de l’ordre familialiste il fallait éviter qu’il le fût en Mairie, haut lieu de l’état civil et de la sacro-sainte Famille. Ce renoncement fut négocié par les artisans du projet de loi sous l’argument plein d’à propos que la loi ne devait se mêler ni de l’affectif ni du sexuel, expulsant ainsi le PACS (et les relations homosexuelles !) de la famille et de l’amour. Si l’argument s’entend (que la loi ne devrait pas se mêler de l’affectif ni du sexuel), il fut en l’occurrence d’opportunité.

Dix ans après, les mêmes socialistes, étaient conduits à ouvrir le mariage, tout en zappant la PMA. La droite, en sourdine s’était elle aussi résignée à une forme ou une autre d’ouverture du mariage. Elle s’est ravisée lorsqu’elle a constaté qu’une partie de sa clientèle s’enflammait dans les rues contre le projet de loi, dûment actionnée par la « cathosphère » et ses réseaux (financiers !) internationaux. La droite de cette droite prévoit de remettre en cause la loi votée. L’exemple espagnol quant à l’avortement devrait lui donner des ailes. On imagine l’effet incitateur à l’homophobie, qu’une telle contre-réforme aurait.

De 1533 à 1861, cet autre grand impérialisme qu’est le Royaume-Uni considéra l’homosexualité comme un crime passible de mort par pendaison. La peine de mort fut abolie au profit de travaux forcés qu’eut à subir le poète Oscar Wilde au tournant du XX° siècle. Après une période de recrudescence punitive au début des années 1950, la dépénalisation s’amorça dans l’Europe de 1967 à 1982. Entre temps, Albion avait exporté ses homophobes dans l’Empire.

Les discours psychanalytiques dominants n’ont laissé sortir l’homosexualité de la nomenclature des maladies mentales, par l’Organisation Mondiale de la Santé qu’à partir de 1990/1994. Les écoles freudiennes ont diversement justifié avec toute l’arrogance du sachant incollable, leur homophobie et le refus « d’introniser » des homosexuels psychiatres ainsi que la main mise sur les protocoles de transition des transexuels.

La mansuétude que manifeste le pape François ne revient pas sur la caractérisation catéchétique de l’homosexualité comme « intrinsèquement désordonnée et contraire à la loi naturelle », « ne procédant pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable » et ne « sachant recevoir d’approbation en aucun cas ».  Il fait l’effort bien jésuitique de distinguer le phénomène des personnes avec son ineffable « qui suis-je pour juger une personne gay ? ». Le pape, pardi !

Pas inutile non plus de mentionner que de tous ces pays, par exemple de culture musulmane, qu’on dira volontiers arriérés, l’homosexualité n’est pas illégale dans les suivants : la Bosnie, l’Albanie, l’Egypte, la Turquie, la Jordanie, l’Indonésie. Alors que le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France pour ne citer que ces bastions chrétiens du bien penser avaient encore des législations homophobes sévères au tournant des années 60.

Certes, absence de législation ne protège pas les homosexuels des exactions étatiques ou populaires. Au siècle passé, en France il en fut de même : le fichage policier harcelait les « invertis » entre deux brimades, et le lesbianisme était « une insulte grave au mari », jusqu’en 1982. Des psychiatres prétendirent les soigner jusqu’à la lobotomisation (dans les années 50). Le Mac Carthysme, le sait-on, avait mis au point, via le FBI, un protocole de chasse aux homosexuels aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Les « libérateurs » de la France en 1945 maintinrent les lois vichystes homophobes, renforcées en 1961 en rupture avec  la Constituante de 1791 !

Enfin, convenons que l’homophobie continue d’être massive dans nos pays, suicides de jeunes à l’appui. Les résistances politiques se sont manifestées avec une virulence rare en France et avant en Espagne, sur les questions du mariage et de la parentalité, et cela continue. Tolérance n’est pas inclusion, et acceptation ne vaut pas  approbation.

Il faut donc apprécier sous leurs deux faces ces vertueuses admonestations pro-gay des Etats dominants, ne pas se laisser duper. (Ce qui n’autorise pas les glissements opportunistes homophobes tels qu’ils se pratiquent aux Indigènes de la République qui résumant l’aspiration gay mondiale à l’exportation d’un « modèle impérialiste », exonèrent un peu vite de leur homophobie les cultures et coutumes issues de pays « dominés »).

Rien ne serait plus absurde et désarmant pour les mobilisations à venir, qu’une sorte de « campisme » qui opposerait un Occident (post-chrétien en quelque sorte) « éclairé » au reste du monde « arriéré », ni son symétrique qui assimilerait à l’impérialisme occidental, les libérations qui, en lutte, se faufilent par ses failles (dont une partie du bagage théorique fut inspiré par les luttes de libérations, noires en particulier). Les ruses, les récupérations, ne doivent pas faire diversion. Il n’y a pas de guerre entre nord et sud, entre occident civilisé et reste du monde barbare, ni une fatalité à cette apparente césure. Il n’y a pas non plus une libération pour riches (sic, vu l’ampleur de la paupérisation dans les pays impérialistes) et une résignation pour pauvres au nom des urgences. Il n’y a pas de culture ayant ses codes spécifiques où il serait normal que la vie homoérotique n’ait qu’une portion d’existence congrue.

Les protestations sont indispensables et précieuses, la barbarie reste, hélas, la chose la mieux partagée du monde, l’oppression et ses souffrances aussi, de même que l’aspiration à s’en dégager. Il faut certes distinguer entre les pays autoritaires et patriarcaux et les états dits démocratiques où des lois tempèrent voire combattent les mœurs sexistes et homophobes. Il faut des campagnes y compris diplomatiques et internationales. 

Mais disons de nos Etats qu’ils sont en progrès par rapport aux autres, plutôt que progressistes. Que rien n’y est aussi acquis qu’il semble et qu’il leur reste de la marge !

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