La « manif’ pour tous » a été le révélateur et le catalyseur d’une impressionnante coalition hostile aussi bien aux LGBT qu’à tout ce qui a trait à la libération des mœurs. On a pu mesurer l’ampleur du « gisement de haine phobique » que recèle notre société, dès lors qu’il est exploité par une extrême droite politique sans scrupule comme par la quasi-totalité des courants religieux. Des préjugés primaires jusqu’à l’absurde se sont réactivés, tout droit sortis de sacristies où on les croyait enfouis à jamais.
L’offensive inattendue aurait dû sonner le tocsin dans les associations LGBT brutalement « tombées de l’armoire » pour ne pas dire du placard (de conformisme béat) où elles se sont enfermées, et leur faire repenser leur tactique. Il n’en a rien été malgré l’intense expression homophobe qui s’est de plus structurée. Un an après l’adoption du « mariage pour tous » aucune convergence d’envergure ne s’est manifestée entre associations LGBT. Comme si l’incident était clos, comme si l’incendie n’avait été que conjoncturel, comme si, sous le vote de la loi (par ailleurs frustrante) ne couvaient pas de périlleux retours de flamme.
La campagne sur le « genre » mise sur orbite par les mêmes est l’exact prolongement, le relais têtu et durable de ce foyer de haine. Il s’agit, bien plus largement, d’une tentative de « réarmement moral », coup d’état contre les conquêtes sociales et sociétales du siècle passé. Les crises sociales, économiques, politiques, démocratiques en cours sur tous les continents en sont des facteurs provocateurs et accélérateurs tout aussi durables. Ainsi, les associations feraient-elles bien de se coaliser quand un intergroupe se prépare au Parlement européen où les droites devraient se renforcer, promettant de bloquer des directives ou des recommandations favorables aux libertés jusqu’il y a peu plutôt approuvées. On a dit ce qu’il en est de l’homophobie officialisée en Russie, des divers pays qui durcissent leurs législations jusqu’à l’inimaginable (la mort !) ou s’en créent. La riposte s’impose.
Voilà qui, à la suite du précédent billet, la cousine B., le juge et les zélotes LGBT, illustre l’impasse dans laquelle se sont fourrées les « élites » LGBT. Plutôt que de voir ce qui se construit d’homophobe, de moraliste, de néo-normatif et d’appeler à construire une solide contre-offensive à l’image de l’offensive : démultipliée, en réseau, de masse pour appeler les choses par leur nom, qu’ont-ils fait ? S’ils en déplorent, pour finir, la partie décevante, ils ont attendu, espéré, applaudi le vote de cette loi comme d’autre y voyant un sésame contre l’homophobie, confiant ainsi notre sort à des majorités parlementaires aléatoires dans des circonstances qui se révèlent de plus en plus difficiles. Voilà que, comble du ridicule, pour faire pièce à la réception, par une ministre, des dirigeants de la manif pour tous, l’interLGBT parisienne exige d’être reçue par la ministre, le premier ministre et le président, pourquoi pas, dans cette course à l’échalote, par les présidents des deux chambres, et Giscard et Chirac.
Mais d’appel aux LGBT, rien !
Une chose est la loi, une autre l’opinion, les rapports (de force) sociaux, la construction de sa propre force. La portée d’une loi dépend directement de la force qui la prolonge. L’abrogation de mauvaises lois comme l’obtention de meilleures ne valent pas assurance tout risque. Il y a dans bien des lois votée quelque chose qui « fait comme si ». Comme si, une fois votée, la loi était effective, le droit accessible, la liberté exercée, comme si, par une sorte de magie juridique, l’homophobie se trouvait conjurée.
Comme si, aussi, illusion facile de couches sociales plus ou moins privilégiées, la loi, l’idée d’en user étaient accessibles à tous ! On sait combien, en matière de « capital culturel », d’indépendance vis-à-vis de sa propre inhibition comme de la pression de l’entourage, de moyens matériels aussi bien, se dresse une barrière quasiment « de classe » qui fait que certains n’iront jamais à la loi, ne croiront même jamais qu’elle puisse venir à eux !
La démarche corporatiste de penser la loi autour de nos seuls intérêts restreints, qui est devenu le mal du « lobby » LGBT nous prive de la force de la transversalité et de son effet induit. Ainsi, encore une fois, sur le mariage, on aurait pu en exiger les droits séquestrés dans l’institution pour toute forme de relation de l’union libre au PACS, étendant ainsi l’alliance à toutes ces formes de relations. Ces droits sont héritage, communauté de biens, réversion de pension, filiation. Concernant la question de la parentalité, la reconnaissance de la coparentalité élargie pour tous, hors le seul couple procréateur réglait aussi celle du co-parent éduquant hétéro dans le cadre des familles dites recomposées.
On aurait ainsi procédé par alliances, fronts, convergence de besoins, par valeurs partageables sans mettre en première ligne la seule spécificité homosexuelle (ni, pour finir, des notions aussi conventionnelles que le couple fusionnel, la famille même homoparentale, la filiation à deux parents). On n’aurait pas de plus retranché la spécificité LGBT sur des associations grosso modo squelettiques et sans base. On aurait poussé la « communauté » LGBT à la conscientisation des générations nouvelles pour l’autodéfense, l’auto promotion, le travail dans et de l’opinion, l’engagement avec d’autres émancipations, relais et amplificatrices de la nôtre.
Bref, un vrai travail d’intégration.
L’effet induit de l’auto-activité dans la transversalité c’est, par la communauté de revendication, la lutte partagée, le côtoiement dans les actions, de susciter des réflexes anti-homophobes et une intégration « naturelle » des LGBT dans le corps social, meilleure et plus durable garantie.
Or les associations LGBT sont tombées dans des travers bien pernicieux et typiques de l’esprit néo-libéral : la délégation de pouvoir à des « élites » opaques, le fétichisme du droit et la judiciarisation civile. À défaut de construire la solidarité politique par la mobilisation, on octroie la sollicitude légale et juridique. Le bien commun de valeurs et de références qui devraient être partagées, protégées, défendues par la conviction et le débat collectifs, se transforme en textes de loi spécifiques. Ces textes composent ensuite un maquis de règles abstraites, où le droit remplace la politique au sens de la vie commune et des valeurs qu’on y partage et y débat.
Le « tout législatif » est une illusion de défense, une ligne Maginot que les « anti-mariage pour tous » ont, lors de leur première offensive, allègrement franchie.
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