L' hétérosexisme... pour tous !
On pourrait, avec les religieux qui y tiennent tant imaginer que la différenciation existant entre les sexes puisse effectivement correspondre à une différence ontologique, « de genre ». Elle ne serait pas purement construite, mais aurait un fondement transcendant les organisations humaines et leur histoire. Elle pourrait relever d’un déterminisme biologique, de nature. On pourrait aussi avancer qu’à ces différences, correspondraient logiquement des attributions donc des statuts évidemment complémentaires par partage des rôles, sans malice.
Il n’y aurait pas scandale à ce que « Papa lise et Maman couse », à quelques correctifs près.
C’est en gros, avec plus ou moins de subtilité, ce que tentent d’argumenter les religieux (et les agités français des « manifs pour tous »). Ils tiennent mordicus à la différence. Conduits à la justifier et à faire feu de tout bois pour ça, ils font appel aujourd’hui, habilement (et se trouvent des alliés laïcs) à des argumentations « anthropologiques » qui les posent en rempart de l’Humain face à la déshumanisation séculière. Ils rhabillent ainsi le « dessein de Dieu » pour les hommes et les femmes, qui seul n’y suffirait plus dans cette époque laïcisée.
Ils convoquent la « nature » qui a bon dos, la psychanalyse (qui ne manquant pas d’aplomb, abonde) hier démonisée, le bon sens enfin (cache sexe des préjugés) « chose la mieux partagée du monde » du moins chez les braves gens qui défilent en vouant les PD au bûcher.
Tout cela perd beaucoup de sa crédibilité, malgré même les cautions opportunes de « féministes croyantes » dont les protestations se font entendre en soutien aux barbons du Vatican, ou sous les voiles (pseudo) islamiques. Car derrière ou devant, comme on veut, ces théologies de la tendre complémentarité et donc « de la différence ontologique dans le respect de chacun-e », il y a tout autre chose.
Cette différence et les idéologies qui s’en réclament ne peuvent nier ni cacher par un voile ni la vierge Marie, le rapport de domination qui fait des femmes des soumises, non seulement à Dieu et aux clergés mais aux pères frères et maris et plus généralement à un ordre social qui les bride, brime, surexploite, même après avoir consenti l’égalité légale et au droit de vote.
Impossible de nier que la dite « complémentarité » n’est pas angéliquement descendue du ciel vers la terre avec la différence, après avoir « avec l’esprit plané sur les eaux ». Elle s’est bel et bien fixée, à travers l’Histoire dans ce rapport conflictuel de domination dont les femmes sont l’objet et les victimes et qui fait du féminin un sous-ordre.
Cette idéologie s’est toujours accompagnée d’une disparité qui prolonge la différence et la transforme en inégalité, et de rapports de domination qui, pour se maintenir et perpétuer, font accroire aux dominées qu’ils sont, eux dans leur bon droit et elles dans leur destin, via Dieu, Yahvé, Allah.
Les bonnes âmes pourront toujours arguer de l’imperfection humaine et de l’autre vie où tout ceci se règlerait dans la félicité commune. Elles n’échappent pas à ce que l’idéologie de la différence, l’hétérosexisme qu’elle légitime et perpétue, produisent systématiquement la sujétion des femmes, leur oppression psychique et sociale, et le règne, in fine de la domination masculine sous les diverses formes historiques qu’elle a pu prendre. La différence est faite de frontières, de lignes de partage, de ruptures bien loin de la diversité réelle. Elle fabrique de l’oppression.
Les religions ont toujours occupé une place particulière dans ce soutien à l’hétérosexisme, en supplétives actives de ce processus historique, et non à l’origine, comme il se dit souvent. Les théologies volent au secours des faits politiques et sociaux, « têtus » comme on sait, ou bien, dociles et malléables, sont convoquées pour ce faire.
La lecture attentive du si fameux mythe biblique de la Création dans le livre de la Genèse vaut, à cet égard le détour. Dans le chapitre I Dieu, en cours de Création créée non seulement « le ciel et la terre » mais l’Homme (à son image) puis se repose. Le récit est simple, l’Homme est ici indifférencié, le terme générique, il s’agit de l’Humanité.
Dans le chapitre II, un récit redondant apparaît ; une nouvelle version du mythe se juxtapose à l’ancienne, ce que l’étude philologique permet de déceler. La tradition, orale et encore plus écrite, ne pouvant gommer la parole antérieure, sacrée, en ajoute une (et il arrive que l’ajout contredise quelque peu l’original).
Dans ce second récit, historiquement plus récent, il n’est plus question de la seule Humanité, la séparation homme/femme apparaît. On peut subodorer qu’une évolution sociale soit intervenue dans l’histoire hébraïque, et qu’elle aie posé suffisamment problème pour qu’un récit « renouvelé » soit venu justifier le changement, le sacrer par l’onction d’un Verbe d’inspiration divine. À la lecture attentive du texte, on peut se faire une petite idée de la nature du « problème ».
En effet dans le chapitre II, version « renouvelée » Dieu crée d’abord l’homme puis voyant qu’il était seul (ce n’était donc plus tout à fait l’Humanité mais déjà un mâle comme la suite l’explicitera) il lui adjoignit… les animaux. Histoire donc de l’occuper et de combler sa solitude ! Ensuite et ensuite seulement, Dieu se dit qu’il lui fallait « une aide qui fût comme lui » : une aide, pour la solitude ce furent les animaux, pour le boulot, il eut l’idée de créer la femme (la servante). Aucune malignité ni invention dans ces remarques, c’est le texte !
Enfin, pour que les choses soient claires, il ne la créa pas ex nihilo. Il endormit l’homme, lui préleva une côte et de ce morceau de mâle, il suscita la femme. CQFD.
Les inventeurs du mythe se rendirent-ils compte du tour de passe-passe qui s’il n’était pas cynique serait divertissant auquel ils se livrèrent en conférant au mâle le rôle d’accouché ? Ou bien, sûrs de leur pouvoir, procédèrent-ils sans sourciller à cette invraisemblable inversion de réalité par laquelle c’est de l’homme « en gésine par la côte », que la femme est mise au monde ! Il fallait, pour faire passer un déni de réalité aussi gros, qu’ils l’attribuent à la divinité. Pour le moins ! Ensuite, l’homme parturient, émerveillé de cette femme nouvelle née, grand seigneur la proclame « celle qui est os de mes os et chair de ma chair » !
Sont réglés, au profit de la domination masculine, et le statut social et les origines de la pauvre Ève laquelle, aidée par le serpent, ne manquera pas d’aggraver son cas déjà si mal parti. Suivront logiquement les « tu enfanteras dans la douleur » et quelques assignations qui, au passage, réduiront la sexualité féminine, et donc les sexualités, aux fonctions biologiques.
On ne peut qu’imaginer au de là du cynisme du mythe, la trace d’un moment historique où s’instaura la domination masculine, le primat de l’homme sur la femme, l’appropriation des femmes par les hommes (chair de ma chair), un statut d’infériorité laborieuse (l’aide) et la justification qui assoie la domination, évidemment théologique, autorité suprême de l’époque. On ne peut pas ne pas soupçonner non plus quelque chose lorsque la création des animaux, biens précieux dans le contexte, propriété vitale, source de prospérité, intervient avant celle de la femme.
On a souvent dit que les mythes servaient à expliquer le monde, à donner un sens à ce qui n’en avait pas. Ne devrait-on pas dire « justifier » ? Disons qu’ils ont beaucoup servi en faisant appel à la transcendance, à justifier l’injustifiable au profit des puissants pour transformer l’arbitraire en état de fait et l’état de fait ainsi imposé en loi universelle.
On est en l’occurrence face au véritable péché originel des religions dont elles ne se dépêtrent toujours pas : l’oppression mysogyne et l’hétérosexisme.