Savez-vous qu’il exista en 1981 sous un gouvernement socialiste un ministère du Temps libre. Qu’il avait pour mission de « conduire par l'éducation populaire, une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps”.
Savez-vous qu’à l’époque, devant le développement des capacités de production, leur productivité toujours accrue et les promesses de mieux encore avec la robotisation et les process nouveaux qui se dessinaient… on pariait sur une société du temps libre, oui.
L’idée qui n’avait rien de farfelu était que ce développement considérable permettait de charger la machine de plus en plus du travail de production directe, transformait le travailleur en technicien « surveillant » en quelque sorte la machine, le libérant du poids du travail contraint et dégageait ainsi de larges marges de temps libre qu'il fallait élargir encore.
S’y adjoignait la conviction évidente qu’il allait falloir faire de l’éducation une priorité, élever le niveau culturel de tout un chacun, pousser toute les classes d’âge vers le bac, ouvrir les universités au plus grand nombre, activer la recherche, la science, l’innovation technique etc...
Il en découlait qu’on allait vers une baisse massive du temps de travail, les 32 heures étaient à « l’agenda » des discussions syndicales, et la gauche réfléchissait à ce que serait bientôt cette société où chacun serait maître de son temps en jouissant d’un temps « privé » de plus en plus ample qui le dégagerait de l’absolutisme de l’entreprise de papa.
On imaginait les services qu’il faudrait alors développer : pour le troisième âge bien sûr, l’avancement de la retraite et les progrès médicaux allaient offrir une voie royale à des activités diverses et soins nouveaux à offrir à des retraités encore alertes puis à des vieillards en demande de confort et d’occupations adaptées.
On voyait ainsi que l’allongement des congés et la baisse du temps de travail génèreraient des services nouveaux et dynamiseraient des activités anciennes qui constitueraient un secteur de création d’emplois et d’innovations prometteurs pour occuper ces plages de vie disponibles, nourrir la soif de culture, de nature, de sport, de voyage...
Le tourisme, le sport, la culture, la vie associative, autant de secteurs voués à un fort développement sur lequel il allait falloir investir.
Et ce sont des socialistes, oui, je dis bien des socialistes pas les post soixante huitards pas encore attardés, qui caressaient ces perspectives, sollicitaient des études en ce sens, et pariaient sur ce type de société qui dévoluerait de plus en plus à un process automatisé la charge de produire les biens tandis que les forces de travail humaines se tourneraient vers les services : contrôle de ces process, accroître la recherche et les sciences, et jouiraient bien évidemment de loisirs de toutes sortes.
En trente ans, la baisse massive du temps de travail s’est transformée en chômage de masse ou en double journée de travail pour les travailleurs pauvres, tous les services imaginés sont certes advenus mais perçus comme des charges sur la société, des contraintes pour l’économie, en aucun cas une source d'innovation fécond, et, pour couronner le tout, non pas une question de solidarité et d’investissement collectif, mais de prévoyance individuelle. Aux "imprévoyants"seraient dévolues des CMU, RSA, délicatement désignés par le terme "minimums sociaux comme si ces minimas avaient quoi que ce soit de social.
On a transmué l’idée de temps libre en travailler plus, travailler dur et travailler plus longtemps. Les socialistes ont jeté leur froc aux orties et l’ont remplacé par le complet veston du trading et des marchés à la concurrence prétenduement "sans entrave". En place de recherche d’innovation dans la liberté, la jouissance de la vie, et l’allègement du travail contraint, ils traquent le travail au noir, la productivité « insuffisante », les emplois « superflus », la retraite « hâtive », les dépenses de santé « excessives », les réglementations oppressives, les secteurs salariés « protégés » et j'en passe. Ils ont le regard entièrement tourné non plus vers le « bonheur des français » mais vers la « compétitivité » de la France c’est à dire le seul, unique et jamais satisfait bonheur de ses capitalistes.
Trente ans ont réussi à complètement inverser les valeurs, nous-mêmes oserions-nous plus mettre les 32h tout de suite à l’ordre du jour de nos revendications et réclamerions-nous une "société du temps libre" ? Tant on nous a fait intérioriser la fameuse TINA de la vieille épicière anglicane...
Il faut remettre à l’heure d’aujourd’hui nos anciennes exigences. D’urgence. Elles sont plus que jamais et nécessaires et possibles.
Redemander tout, tout de suite...