Soyons sérieux, sans doute n’y aura-t-il d'autre solution, sauf miracle politique ou social, que de se résoudre à voter Mélenchon (c’est ce qu’il escompte). Du moins si on n’est pas adepte du vote qui ne veut rien dire (NPA, parti échoué, sans ligne, dévoré par les sectes) ni du vote qui ne veut rien faire (LO, parti sans stratégie au sectarisme benêt qui diffuse son marxisme de kiosque de gare) et qu’enfin on est fermement convaincu que voter PS ne protège plus de grand chose.
Il est donc probable à ce jour que ce soit lui qui incarnera l’opposition de gauche aux politiques libérales de casse et de régression sociales, que ça plaise ou non. Et disons d’emblée que ça ne me plaît pas ! Dans le néant d’une gauche de la gauche étrillée, son culot tout mitterrandien s’est imposé sans vergogne (mais sans mal car sans concurrent) comme incontournable. L’état actuel de déshérence politique à laquelle la dite gauche est acculée, fait que sa tonitruance gauchie tient lieu de discours radical, et ses formules 3° république de cris hardis de ralliement. Il a enfin, pas ultime, laissé tomber le rouge pour un improbable bleu orangé après un relooking vestimentaire (plus de cravate et un jean), capillaire et optique…
La déshérence politique est telle dans les cercles associatifs, militants et politisés de ce qu’on nomme la gauche de la gauche, qu’il tend à y être pris ici par résignation, là avec enthousiasme, pour « le » recours, l’homme de la situation. Sa candidature permettrait à la fois à infliger au PS la déroute indispensable et salutaire qui s'impose, et à coaguler une force disparate capable d'en découdre avec une droite bien décidée à porter le coup de grâce à notre histoire sociale dans la foulée de la grande régression socialo-hollandaise.
Certains enthousiastes pour la démonstration, griment ainsi le vieux groupie mitterrandiste en héraut de la sociale, parangon de la vertu antilibérale et même penseur politique de l’heure. Bref, comme trop souvent quand on opère un choix douteux, pour faire taire sa conscience on retourne le choix par défaut en choix de conviction, et on se convainct d'adorer ce qu’on aurait hier raisonnablement boudé.
Certes, nous n’avons pour l’heure rien d’autre en magasin. Et nous avons tant voté par défaut qu’une fois de plus… surtout s’il s’agit cette fois de contester au moins symboliquement au capitalisme réel et au socialime dévoyé leur hégémonie sur l'électorat populaire et laborieux comme on disait naguère.
On verra.
Mais qu’au moins si l’on doit se résoudre à voter Mélenchon ce soit sans pardon pour sa trajectoire et sans illusion quant à ses promesses. On devrait définitivement intégrer que les promesses n’engagent que ceux qui y croient, surtout venant de politicien blanchi sous le harnais mitterrandien, virtuose en la matière.
Il n'est donc pas inutile de rappeler encore et sans cesse que le cher JLM se dit mitterrandien revendiqué, fier de l’être et ne dédaignerait pas, in petto, en être une réincarnation. Il a opportunément lâché, il y a peu, quelques autocritiques sur ses postes passés… m'a-t-on dit, devant Ruquier je crois.
Mais bon.
En bon Mitterrandien il a en tout cas appris que c’est à gauche qu’on gagne la gauche, comme le joueur de flûte entraîne les villageois hypnotisés. Il s’évertue avec constance depuis des années à absorber et resservir la matière disparate de toutes les strates d’une gauche de la gauche en lambeaux. Il a été républicaniste à donf ce qui lui occasionne des poussées chauvines sporadiques avec une philosophie de politique étrangère dont l’internationalisme réel, prolétarien, est singulièrement absent, tout de nations opposées sinon ennemies (plus que de classes) quasi immémorialement concurrentes, et lui suscite des tropismes discutables dont Poutine a récemment bénéficié.
Il a usé de saillies brutales à la Marchais, c'est connu envers les journalistes, comme de grandiloquentes invocations aux acquis du Conseil National (forcément national) de la Résitance, qui caressent le vieil électorat communiste sans le sens du vieux poil stalinien (et zappent le fait que ces acquis étaient dus non à une idyllique concorde interclassiste, "nationale", mais à un rapport de force têtu). En même temps tacticien de filiation mitterrandienne, il écartèle entre la gauche de la gauche et le PS, l'appareil du PCF en quête de quelques mandats (alimentaires) de plus, et l'accule à de pitoyables contorsions pour n’avoir pas trop vite à se ranger derrière une candidature contre laquelle il ne peut rien, ni aucun de ses falots dirigeants rivaliser.
Du Mitterrand pur sucre, non ?
Il a contribué à créer le Front de Gauche sensé rappeler en écho le front populaire, et surtout fédérer les forces de la gauche de la gauche pour étouffer d'un côté le trop jeune NPA, et enserrer le PCF dans une logique unitaire qui allait momentannément lui redonner de l'air mais très vite le mettre dans le piège de ses contradictions et sous l'aura de JLM.
Il déroule enfin et surtout une rhétorique suffisemment antilibérale ancrée dans son engagement contre le traité constitutionnel européen, qui fait oublier qu’il était sous ministre (fermant sa gueule) dans le gouvernement Jospin quand celui-ci signa les accords de Lisbonne, et que c’est bel et bien son Mitterrand, son mentor, qui nous a embringués dans l’Europe du monétarisme, de la "rigueur", de l'Euro et de la supranationalité ultralibérale donc de feu le traité constitutionnel qu’il a pourtant, inconséquence politique criante du bonhomme, combattu.
Bref.
Aujourd’hui il achève une autre de ses conversions : écologique. Elle devrait lui permettre de ramasser sans trop avoir à se baisser un électorat Vert embourbé dans des caniveaux où l’ont jeté les caciques successifs de l’écologie politique, et laissé veuf par les atermoiements hautains du créateur d'Ushuaïa. Critique du nucléaire civil désormais, l'entendra-t-on se prononcer sur la force de dissuasion ?
Lui reste à camoufler aux regards ébaubis de ses thuriféraires son itinéraire de candidat autoproclamé hors de tout souci unitaire (ni démocratique) aux relens d'aventure personnelle quand même... Il minaude donc lorsqu’on l’acclame : pas mon nom, non, criez Insoumission ! Insoumission, tandis que défilent pour sa gloire, pardon la gagne, des délégations d’insoumis de diverses luttes sociales.
Pour un homme qui n’a quasiment jamais travaillé que sous les ors de la république, qui plus est au mandat (sénateur) le plus antidémocratique et « apparatchik » qui soit, beau rétablissement !
Comble d’ironie ou d’impudence par une démarche gaullienne pur jus, tandis qu’il joue à fond l’autoproclamation politicienne par l’onction de cette rencontre de soi-même et du peuple… des insoumis qui le fait candidat, il nous promet sans vergogne une constituante pour en finir avec la V° république, le pouvoir personnel, le présidentialisme et le cumul des mandats en nombre comme en temps. Après quarante ans de mandats rétribués...
Sacré Méluche !
Mitterrand, en connaisseur, applaudirait.
Je ne sais si la victoire comme il le clama hier quasi militairement, est au bout de ses fusillades verbales ni donc à portée de tir électoral. Déjà la déroute du parti socialiste au profit d’une gauche de résistance en serait une, de victoire, même si elle laisse la voie ouverte à la droite revancharde.
Encore faudrait-il pour que l’aventure ne tourne pas au cauchemar que la lucidité de ses soutiens s'y exerce. Qu'ils y voient bien une salubre et néanmoins amère victoire, salubre certes par le nettoyage d'un socialisme failli, gangrené de libéralisme obtus, mais victoire potentiellement minée par la nature du porteur utilitaire momentanné qui a quand même quarante années de route bien lisible derrière lui. Il s’agirait, rêvons un peu, s'il gagnait, de ne pas oublier au plus vite de le tenir au bout du fusil démocratique du contrôle populaire, et sous la mitraille sans concession des mobilisations.