L'approche de 2012 et l'impatience au moins d'une alternance, travaillent les esprits bien sûr et qui sait, tourne les têtes. Et ça remue-méninge, pétitionne, s'oppose, fractionne. On tourne pourtant en rond ; le NPA oscillant s'y embourbe, le PCF s'en remet à Mélenchon qui se voit devant le PS quand chaque sondage le ramène à l'étiage des 5%. Les professionnels de la personnalité vibrillonnent. Si les élections ne sont pas un piège à cons, elles ne rendent pas intelligent !
La boussole s'est-elle perdue ? Au sortir du référendum, à l'université d'été de Mélenchon à Arles, il y eut trois discours sur la gauche (+ celui de Bavay sur la production des laitages près des agglomérations). On sortait d'un des moments qui aurait pu être refondateur d'une autre gauche tant la rupture entre deux gauches pouvait être exemplairement actée, légitimée par la vraie victoire populaire du Non. Le PS avait fait la démonstration (qu'il s'apprête à refaire en se donnant comme candidat (j'en tombe de l'armoire) le directeur du FMI) de son acceptation du libéralisme, de sa soumission aux institutions fondées sur la propriété capitaliste. Forts de cette démonstration et de leur victoire inespérée, les partis de la gauche de la gauche allaient-ils avoir l'ambition et le courage de se constituer en alternative autour du non à "la concurrence libre et non faussée", la défense des services publics, de la répartition des richesses et même en un processus constituant démocratique repensé, avec un réseau de comités ancrés sur ces repères, bref vers "l'autre monde possible".
Pas du tout, un mois après le Non, MG Buffet déclarait crânement qu'il n'y avait qu'une gauche (ouistes compris) qu'il importait "maintenant de rassembler" ! Mélenchon voyait, plus subtil, plusieurs gauches "qu'il fallait maintenant réunir". Seul, Besancenot, dans le droit fil de la victoire sur le Oui, exortait : il y a deux gauches, elles sont incompatibles dans un même gouvernement, elles sont inconciliables, l'une ancrée dans le libéralisme, l'autre en lutte contre ; pour lui l'affaire référendaire que tous avaient tellement portée à l'incandescence du "débat de civilisation", devait être le marqueur durable de la refondation d'une gauche de transformation.
Il n'en fut rien. Les leçons furent très vite laissées au musée des grands évènement révérés (et mythifiés : cf. la gauche de la gauche majoritaire dans la gauche, la "gagne", "être devant le PS", alors que le vote référendaire avait été bien plus complexe qu'un simple vote de gauche même s'il avait été une victoire pour notre gauche).
La seule voie sérieuse de recomposition avait pourtant deux repères : l'impossibilité politique de toute collaboration avec une "gauche" du oui libéral au traité constitutionnel d'une part, et d'autre part la priorité non aux institutions mais à la mobilisation populaire où le Non avait puisé toute sa force contre toutes les institutions et appareils. (D'ailleurs il n'a pu être éhontément inversé qu'en passant par l'institution parlementaire... Et le PS, si soucieux de démocratie, n'a pas dans son projet, celui de respecter ce vote populaire).
Il fallait approfondir ces deux questions cardinales, avant toutes les discussions intéressantes au demeurant, sur le "contenu", le programme, les propositions. Or on les a gelées pour commencer ! Elles étaient la condition de la clarté d'une "offre" de gauche de gauche, distincte du PS et lisible pour tous, appelant à la participation "par en bas" dans la lignée d'une mobilisation rare. Elles éclairaient les buts de cette alternative à construire, elles étaient les conditions préalables à toute démarche unitaire de la gauche dite radicale qui ne soit pas une illusion, une tromperie sur la marchandise, un reniement du Non, ou un attelage brinqueballant, tiré à hue et à dia (comme apparait le Front de Gauche).
S'en tenir à l'incompatibilité entre les deux gauches, et à la priorité aux mobilisations sur les institutions. Une fois un accord obtenu en ce sens sur le cadre politique et la stratégie, alors les accords avec les concessions nécessaires, pouvaient être travaillés. Ce fut l'inverse qui fut choisi : essayer de façon récurrente d'en faire un point aveugle des discussions et accords ou, pour le NPA, accepter d'entrer en matière sur les contenus et alliances sans avoir résolu ces questions.
Et toute la recomposition fut restreinte à un invraisemblable tournis de ces débats programmatiques et tactiques sur fond électoral, avec parfois des accords ponctuels (de ceux qui n'engagent que qui y croit, et profitent toujours à qui les bafouera). Tous débats qui faisaient l'impasse sur cette question non résolue de l'incompatibilité des deux gauches ou venaient in fine y buter. In fine, alors que les discussions sans fins et leur succession faisaient croire "en bas" qu'un accord serait possible. On parle après de pression unitaire, pardi.
Par ailleurs ce tournis se déconnectait des grandes luttes. Ainsi n'a-t-on pas vu lors de la lutte sur les retraites, la gauche dite radicale (appareils et personnalités autoqualifiées) pétitionner, faire des comités, organiser des réunions pour préparer l'indispensable (pour la victoire) blocage du pays, une grève générale, bref une confrontation évidemment nécessaire que les directions syndicales restreignirent à un égrenage de journées d'action (puissantes autant qu'épuisantes) avec la bénédiction de la gauche institutionnelle (c'est à dire pas seulement du PS...).
Non, la recomposition se jouait ailleurs, dans le poker menteur d'appareils et cénacles qui, en fait, se disputaient l'hypothétique part de marché politique qui en ferait des interlocuteurs privilégiés, plus ou moins conflictuels... du PS. Non ?
Adieu les deux gauches, adieu l'implication populaire.
Tout le monde en a payé le prix et ce n'est pas fini. Y compris le NPA, qui, loin des institutions et des liens avec le PS, en paie pour l'immédiat, le prix le plus lourd, heureusement Besancenot crée un choc qu'il faut espérer salutaire. Mélenchon mélen-ronchonne en surplace. Le PCF échange son droit d'ainesse présidentiel pour les lentilles de circonscriptions espérées alors que Europe écologie-les Verts offerts à un négociant en shampoing enrichi par les nucléocrates et les bétonneurs, lui vole la place de partenaire prioritaire du PS.
Et il ne va pas être facile à la veille de la grande essoreuse de la présidentielle qui va tout agglomérer au PS, de revenir à ce fondamental de la période : il y a deux gauches incompatibles, une acquise à la gestion du système capitaliste (s'en accomodant ou ambitionnant de l'accommoder) et confite dans les processus institutionnels, une anticapitaliste qui ne se résume pas au NPA, décidée à favoriser, avant les appareils et les personnalités, l'autoorganisation populaire, la prise en main par tou/tes de leur propre sort... toutes ces sortes de choses, et convaincue de devoir en découdre un jour.
C'est celle-ci qui de son tournis doit renaître, il va falloir l'aider.