Il est évident qu'il faut en finir avec la V° république, mais elle n'est ni la mère de tous les maux ni l'obstacle pour en finir avec la crise. Elle est un problème pas la solution. Elle a été créée pour doter la bourgeoisie d'un état fort face à un mouvement ouvrier puissant même si stalinien, et des restructurations économiques drastiques. Aujourd'hui une forme plus souple et plus démocratique dans la forme serait une chose sympathique, mais lorsque tout se joue dans l'Union européenne, la banque centrale et les cénacles capitalistes de tous ordres... que du jour au lendemain la commission peut imposer des violences politiques et sociales extrêmes comme en Grèce et ailleurs, menacer d'amendes les gouvernements rétifs, contrôler et émettre un véto sur les budgets nationaux...
Que cela doive passer par une forme constituante et donc une VI° république, c'est arithmétiquement évident. Mais bon.
Je dis "une forme de constituante" parce que je pense qu'avec les expériences et l'aspiration à une démocratie par en bas, ce ne sera pas (ce ne doit pas être) une constituante, mais un processus décentralisé, démultiplié, avec mille et une constituantes et pas un cénacle de sachants ni de représentants ni de spécialistes ni de constitutionalistes. Et cela suppose, nécessite, exige une situation de mobilisation intense pour que ce processus soit fécond et massivement porté... autrement dit nourri par une énergie autrement vitale que les débats et savoirs constitutionnels. Le débat sur le TCE, pourtant appuyé par une forte mobilisation militante et une vraie implication de masse, devrait y faire réfléchir : il n'a pas, malgré sa victoire massive, été suivi, prolongé, sublimé par une activité sociale qui se serait imposée aux institutions et aux partis traditionnels. Il est, malgré tout, demeuré abstrait.
Ainsi cette question est seconde (ce qui ne veut pas dire secondaire, annexe, sans enjeu), la seule et vraie question qui compte et fera mettre en branle de "larges masses" comme on dit, c'est la question sociale : travail, emploi, misère, colère envers les puissants, sentiment de ras le bol, de souffrance intolérable, de scandale, d'injustice, d'insupportable.
Si les "larges masses" ne se mettent pas en branle sur ces questions (et donc si nous ne mettons pas ces questions au cœur de nos démarches unitaires et de nos objectifs de mobilisation) alors nous risquons le pire : un dévoiement des énergies vers une énième façon de sauver le système et il y a de ça dans le républicanisme mélenchonien, ou une horreur fascistoïde, autoritaire... une mise sous tutelle européenne...
Or la question sociale pose à elle seule toutes les questions clés et en détient la solution démocratique :
l'injustice radicale de l'économie capitaliste et donc la nécessité de démocratiser radicalement le capital par une société autogérée et un tissu productif coopératif à tous les niveaux
l'inadmissible de la pauvreté, des inégalités, des prévarications avec choix collectifs des responsables, rotations de ceux-ci, des élus, des animateurs
à quoi doit servir l'économie et la seule satisfaction des besoins humains comme moteur
qui doit régir l'économie : ceux qui produisent et qui consomment, vous, moi, nous tous
l'urgence de répartir et comment répartir : la planification raisonnée, la production maîtrisée, la raison scientifique et technique au service des choix démocratiques,
un combiné de sobriété et de formidable développement pour répondre à l'urgence de réparer socialement, écologiquement, moralement les incommensurables destructions du capitalisme
quelle forme institutionnelle créer pour ce faire autrement dit quelle démocratie de masse, et quels pouvoirs toujours au plus près des espaces, des collectifs de vie... des personnes
etc
et j'ai là comme sur la question du débouché politique la même approche et la même divergence avec mes anciens camarades devenus la GA, ils mettent la charrue avant les bœufs :
ils cherchent un débouché politique dans l'idée qu'il va débloquer les luttes alors même que c'est le débouché politique qui est victime des blocages bureaucratiques syndicaux et partidaires, pris dans les rêts du consensus libéral et de la défense de la survie de leurs appareils (et prébendes), et qu'en conséquence seule une intervention des populations en colère peut trancher ce nœud gordien de l'intégration du mouvement ouvrier
faute d'avoir réussi le débouché politique par les partis, je crains qu'ils n'en viennent maintenant à se convertir à une VI° république au prétexte que ce serait "faire de la politique" (un leit motiv) alors que travailler incessamment à encourager, servir, coordonner, populariser les lutttes ne le serait pas. Et cette conversion leur serait d'autant plus tentante dans le droit fil du politisme qui cherche la formule magique du débouché politique mythique, que, somme toute, cette VI° république unierait aussi bien les pâles refuzniks de la gauche socialiste, les verts très libéralisés d'EELV, le PCF qui rêve d'une nouvelle mouture d'union de la gauche et d'un parlementarisme rénové, les cercles bureaucratiques syndicaux et associatifs qui rêvent de révolution raisonnable c'est à dire pensée, conduite et accaparée par eux etc etc
alors que c'est le tous ensemble social qu'il faut promouvoir, une irruption des "sans", des délaissés, des maltraités, des exploités pour tout dire, une implication politique de la masse de la population, c'est cette ligne de mire qu'il faut proposer pour unifier quiconque voudra y travailler, d'où qu'il vienne politiquement avec pour objectif une refondation de notre démocratie depuis l'économie jusqu'aux institutions en passant par... les mentalités en libérant l'énergie des grandes masses, l'inventivité des collectifs en lutte, l'audace que donne la sensation fabuleuse de prendre en main son destin.
Car c'est dans moments là, de dynamique collective, que les esprits changent.