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Billet de blog 11 décembre 2013

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L'UTOPIE (HOMO)SEXUELLE " LES NON Hétéro" billet n° 13

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13. Non hétéro.

J’ai, à dessein usé du mot anglo-saxon « gay » en raison du statut de « neutralité » sexuée, ni masculin ni féminin dont il jouit : hors le Genre en quelque sorte. L’indétermination des situations qu’il recouvre permet d’échapper aux déclinaisons identitaires façon L, G, B ou T, « quelque part » trop estampillées hétérosexistes à mon goût.

Comme le capitalisme (cf. le sociologue Jean Viard) l’hétérosexisme se régénère aux idées de sa contestation. Ses « ordres » naturel, divin, symbolique, psychique, quelque peu malmenés ont été, à force de contestation, de plus en plus dévalués jusqu’à frôler l’invalidation aux moments les plus ascendants du féminisme et des révoltes homosexuelles.

Comme à l’ordinaire, le système a usé de la répression tout d’abord (par exemple la psychanalyse opposant hautainement à ses détracteurs leur supposée résistance psychique, façon de disqualifier leur discours du haut de son infaillibilité casuistique). Puis il a dû, à reculons céder du terrain jusqu’à recourir à sa tactique ultime : l’inclusion, les qualificatifs LGBT sont devenues des catégories acceptées mais séparées, au prix de l’abandon de toute contestation solidaire de l’hétérosexisme en tant que système à abattre. On leur a concédé existences et droits spécifiques.

Le « ni ni » (ni masculin ni féminin par exemple) reste prohibé, simplement le « ou ou » (ou homme ou femme) s’élargit en « sous ou », et recompose ses modes d’oppression tandis que celle-ci demeure et avec elle les différences plutôt que la diversité. On comprend que faute d’une force propulsive suffisante pour changer la donne d’ensemble de l’ordre sexiste, les LGBT n’aient pas eu à porter seuls le poids d’une subversivité tarie, et qu’ils et elles se soient rangés, opportunisme de survie, au droit existant pour y exiger les leurs. Mai 68 et les années des libérations sont éteintes. Il s’est trouvé des porte paroles et des alliés pour obtenir des parlements l’extension de ces droits, c’est dans l’immédiat (mélancoliquement) tant mieux. Et tous, chacun ancré sur son L ou G ou B ou T, chacun fixé à sa doléance, ont été conduits à s’affubler, dans ce dessein, des noms de l’acronyme.

Jusqu’à y croire en une sorte de surenchère identitaire.

Néanmoins, derrière la grille (de lecture) de cette catégorisation, derrière les doléances de chaque catégorie, derrière les auto affirmations vengeresses, règne le flou de l’inadéquation au système hétéro. C’est un No Man’s land de sexualités et de conduites sociales qui ne correspondent pas au moule et à qui l’on prétend en imposer un, domesticable, ainsi les gais seraient-ils gais et se marieraient entre eux, les lesbiennes itou, les Bi seraient regardés d’un œil concupiscent et les trans transiteraient sous le scalpel.

Or ils, elles sont, plutôt que de telle ou telle lettre de l’acronyme où l’inclusion voudrait les accrocher, d’abord et avant tout non hétéro. Chacune de ces catégories a pour elle de n’être pas conforme au moule, de n’être pas bien dans l’hétérosexualité, que ça se voie ou qu’elle le revendique. Ils, elles sont surtout « non hétéro », catégorie variable, variée, diverse qui rompt avec le culte de la différence et transgresse les frontières sans que de prime abord il soit pertinent de les catégoriser autrement que par ce « non hétéro » vague.

On l’a assez dit : qui est homo ? quand ? à partir de quels et combien d’actes ? Quelles conduites ? quels comportements ?  Qu’est-ce qu’être transexuel ou, ce qui est différent intergenre, ou un peu transgenre ? Certains  homosexuel ne sont-ils pas, ne se ressentent-ils pas « intergenrés », en « sexe vague », certains hétéros un peu gay ? Et ces hommes ayant des pratiques sexuelles avec d’autres hommes ? Et le bi, le fameux bi si difficilement classable selon l’intensité de sa bisexualité et les préférences internes à son penchant ? Et la pluralité de ces pratiques érotiques qui signent, dans le vocabulaire social existant, tant de variabilité identitaire ?

Ce désordre, « trouble dans le genre » selon la formule de Judith Butler, contrevient aux « valeurs sûres » de la domination hétérosexiste et chagrine ses tenants les plus ouverts. Il fallut donc s’adapter, apprendre de ses opposants comme dit le sociologue.  Alors ces notions par lesquelles chacune des catégories « non hétéro » bataille à faire entendre ses doléances, à se faire valoir, et à ce qu’on lui rende un peu de justice vont devenir les catégories accolées à celles, dominantes, de l’hétérosexisme.

Il fallut inclure ces « non hétéro » vagabonds identitaires. Désormais « gai, lesbienne, bi, trans » deviennent officiels, et leurs demandes entrent « à l’agenda ». Le très (dis)gracieux acronyme LGBT (œcuménique au point qu’il s’enfle parfois du I d’intersexe, et même du Q des Queers dont on ne voit pas ce qu’ils viennent faire là) vient couronner le tout.

Cette reconnaissance très politiquement correcte frise quand même le trompe couillon. Cette façon, maniaque, de cantonner la contestation dans des identités bien circonscrites sonne un peu comme un dernier recours de l’hétérosexisme avant cessation de « crédibilité ». Après les avoir tant combattus et en avoir tant dénigré la pertinence on les absout, baptêmes juridiques à la clé (l’essayiste Daniel Labrosse les nomme : l’altersexualité). En contreparties, ils, elles sont priées de marcher droit dans leurs droits, rien que leurs droits bien sûr.

Du moins dans les Etats où l’on ne lapide plus.

Finies la subversion de l’hétérosexualité, la libération sexuelle, la mort du Genre. Le lyrique « et nous abolirons la famille » de Federico Garcia Llorca n’est plus à l’ordre du jour. Ce n’est pas pour rien que le langage courant préfère mariage gay à mariage entre personne de même sexe. Ce ne sont pas des personnes de même sexe qui se marient entre elles mais, soudaine prise de conscience du système (mais bon sang c’est bien sûr !) : des homosexuel/les, faits pour ça, se marier entre eux.

Là encore, il s’agit d’enrayer, d’endiguer l’éventuelle contamination de plasticité sexuelle et genrée à toute la population. Et pas question de prendre en compte que les homosexuels sont attirés par des personnes de leurs sexes, sans égard pour leur orientation !

Non hétéro c’est cette « non sexualité » variable qui se joue et se rie des frontières (et dont les frontières aussi se rient et se jouent mais cruellement), celles féminine OU masculine, hétérosexuées. Les non hétérosexualités ne sont pas des sexualités ni en soi, ni à part, encore moins homogènes, (ni même une « altersexualité ») mais des sexualités de crise, des expressions de la sexualité normée, et surtout des protestations de la sexualité contrainte.

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