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Billet de blog 13 novembre 2013

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L'UTOPIE (HOMO)SEXUELLE un système hétérosexiste (9)

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Un système hétérosexiste

 À « système hétérosexuel », utilisé par Monique Wittig (La pensée straight) je préfère « système hétérosexiste », et désigner le système non tant par ce qu’il serait que par ce qu’il produit : l’hétérosexuation. Car, toujours en allusion à Wittig, ce ne sont pas tant les catégories hommes femmes qui sont à « abolir », elles ont, comme l’hétérosexualité, une naturalité, que le rapport social noué entre elles, qui les transforme en outils d’oppression, par interdits, refoulements, assignations, et accessoirement en identités. Ce qu’Adrienne Rich nomme un « système de contrainte à l’hétérosexualité » partie prenante de la domination masculine et de l’oppression des femmes.

Ce système de contrainte à l’hétérosexualité ne contraint pas seulement ceux qui ne seraient pas hétéro. Il fixe une hétérosexualité pour tous, totalitaire et excluante, un invariant régi par un déterminisme biologique qui veut une sexualité réduite aux fonctions reproductive, au primat du coït, de la sexualité par pénétration et d’une femme asservie au joug des gestations. La fétichisation des liens du sang soumet les femmes à une existence surveillée, « en clôture » dans le foyer (« assignation à résidence »), et accorde de la mobilité sexuelle aux seuls hommes. Ainsi y a-t-il presque toujours eu place pour des relations sexuelles entre hommes, quasiment inexistante entre femmes (jusqu’à faire du lesbianisme, dans le législation française du XX° siècle, « une insulte grave au mari »).

Cette idéologie, vraie pieuvre de la pensée, ne s’est pas contentée du genre humain. Elle s’est insinuée dans tous les domaines de la vie, de la nature, et a poussé ses extrapolations jusqu’à constituer cette vision du monde qui n’hésite pas à attribuer au masculin des vertus positives (force, vaillance, droiture, rigueur, raison…) ni à reléguer le féminin du côté des « forces obscures », animées par l’irrationalité, la subjectivité, les sentiments. Bons sentiments tels l’amour… maternel ! le courage… d’endurer ! la patience… Mauvais sentiments tels le calcul, la vénalité, la jalousie ainsi qu’une sensualité incontrôlable quand on lui en consent une ou ne l’excise pas) Les alchimistes situaient pour leur part le masculin du côté du chaud et du sec, le féminin du côté du froid et de l’humide. Ainsi de suite.

Les auteur/es sont nombreux à avoir repéré, commenté, développé combien tous les domaines de la vie ont été redessinés en deux faces distinctes, féminine et masculine. À chacune (et en miroir, inversé) ses attributs physiques et moraux, à chacune ses fonctions spécifiques, bien au de là du biologique, en conséquence à chacune sa place sociale soumise à ce déterminisme, qu’on sait systématiquement valorisée pour le masculin et étroitement circonscrite pour le féminin.

Si on s’avise de sortir de sa place ce sera pour déchoir dans le féminin pour l’homme, et de se dévoyer dans le masculin pour la femme, de toutes façons contre nature, la nature telle qu’entendue par l’hétérosexisme.

Certaines auteurs féministes poussent l’hypothèse jusqu’à soupçonner que le corps féminin, dans ce qui fait sa faiblesse par rapport à la force machiste, pourrait être le produit d’une sélection sexiste. Une domination sociale, pratiquant durant des millénaires, l’échange et l’appropriation des femmes peut fort bien avoir privilégié ce qui va avec : un corps dominé et « dominable », portant les signes de sa fonction de soumission et modelé pour la signifier, ayant intériorisé, incorporé sa sujétion utilitaire (sexe, maternité, labeur).

(Il y aurait actuellement une sorte de rattrapage en cours : la taille des femmes rejoint celle des hommes en progressant plus vite, et les performances des sportives suivraient la même pente ? Les auteures remarquent aussi combien sont peu soulignées la robustesse et l’endurance du corps féminin qui est un corps de labeur - de bête de somme - dans la plupart des civilisations avant d’être le corps fragile de la féminité idéelle).

S’est donc construit depuis cette extrapolation, « quelque chose » fondé sur ce qui est devenu une vision du monde, un système séparatiste, hiérarchique, totalitaire. Il systématise la différenciation, fabrique des cloisonnements, repose sur une idéologie de la différence. À l’opposé de la diversité du réel et de sa variabilité, de la multiplicité des personnes et de leurs identités créatrices, il étouffe la créativité des métissages. Il impose une grille de lecture universelle selon un ordre obsessionnel de la différence, balisé, duel, sexué, mais aussi hiérarchique et conflictuel, plus porté à générer les dominations que les relations, la séparation que la coopération, les séparations générationnelles que la contemporanéité.

 Le procès de ce totalitarisme a bien été résumé par Wittig : il procède par biologisation, naturalisation, dés-historicisation et pour finir universalisation prenant alors dans tous les domaines force de loi : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour demeurer le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir » écrivit JJ Rousseau. L’hétérosexisme réduit la sexualité à la biologie, le justifie au nom de la nature, gomme l’Histoire et pour finir universalise l’hétérosexualité machiste en rapport humain constitutif des personnes et des sociétés.

Il suffit d’écouter les tenants du mariage « pas pour tous » pour entendre cet argumentaire décliné sur tous les tons. Des plus sentencieux au vernis anthropologique, en passant par la casuistique  absconse de la psychanalyse jusqu’aux éructations rances et écœurantes du manifestant lambda et de la grenouille de bénitier, ils bégayent tous la même litanie issue de la catéchèse hétérosexiste.

fortinjaq@yahoo.fr

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