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Billet de blog 16 juillet 2015

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Les chacals et la Grèce

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ceci est une esquisse de réflexion hasardée (oui j'entends les hasardeuse) sur ce qui, dans l'extrême gauche dont je fais partie, obère (pour ne pas dire crûment vérole) la réflexion révolutionnaire.

J’ai traité de “chacals” cette extrême gauche (pas toute) qui devant la capitulation imposée par les hyènes capitalistes en meute, qu’assume Tsipras, se frottent leurs mains propres et répètent à l’envi qu’ils l’avaient dit, m’avaient toujours su etc… puisant dans cette séquence de défaîte un regain d’assurance comme une vérification de leur lucidité.

Je les ai traité de chacals pour plusieurs raisons

La première c’est qu’à la victoire de Syriza je me suis réjouis par un réflexe me semble-t-il élémentaire de bonne conduite à gauche : quand une gauche l’emporte enfin contre toutes les hyènes eurocapitalistes, portant les aspirations, les espoirs et tout ou partie des intérêts des couches populaires, il me semble qu’il y a lieu de se sentir solidaire, d’encourager et, avec un peu d’humilité plutôt que de scepticisme altier, de suivre la suite du film en espérant qu’il ne tournera pas (trop) à l’horreur tout en sachant grosso modo que celle-ci est le plus probable. Il peut toujours y avoir dans un processus des surprises, des sursauts, des accélérations positives, Trotski avait théorisé ceci dans un autre contexte en révolution permanente.

La seconde c’est que Tsipras et son équipe sont des réformistes pas des révolutionnaires et qu’avant de les traiter de traîtres il faut les prendre pour ce qu’ils sont et sur leurs arguments. Il est tout à fait honorable de vouloir de vraies réformes, de se battre pour (ils l’ont d’ailleurs fait) et les réaliser tout ou partie serait même bienvenu. Mais voilà,  je n’ai envers les réformistes (les vrais, pas les fantoches carriéristes ni les menteurs professionnels) qu’un reproche : ils ne sont pas sérieux, ils croient qu’ils vont pouvoir dans une Europe de libéraux ultra, un monde de capitalistes affamés et une guerre économique mondiale, aménager un espace “de gauche”, user de l’argument démocratique pour en convaincre les hiérarques valets de chambre de Bruxelles et les gouvernements aux ordres, se targuer du soutien et des besoins populaires. L’équipe de Syriza était partie pour tenter le coup et avec elle une bonne partie des électeurs des couches (nombreuses) les plus éprouvées par les politiques austéritaires criminelles.

La troisième c’est que contrairement aux vitupérations ou doctes remontrances des chacals, ce n’est pas Syriza qui a dupés ses soutiens en leur faisant par exemple croire que des réformes seraient possibles alors que sa direction n’aurait eu en aucun cas l’intention de les faire (suivez mon regard vers l’Elysée en France). Et ce n'est pas si fréquent à gauche aujourd'hui. Syriza avait l’intention d’obtenir des réformes qui sortiraient la Grèce de l’austérité. Tsipras, Varoufakis se sont démenés pour en obtenir. Ils n’ont pas menti, ils étaient l’émanation de l’état de conscience de leurs électeurs, grosso modo. On n’est donc pas dans un contexte d’escroquerie politique mais d’expérience désespérée et pour finir désespérante (car grosse de lendemains terribles) de l’impasse réformiste. Il fallait, il faut l’accompagner, la comprendre aussi, en apprendre tactiquement, tenter d’influer dessus etc…

Et il faut aussi se dire qu’on ne s’économise pas cette expérience car ce ne sont pas des discours révolutionnaristes qui convaincront les masses mais le cours de l’Histoire, de leur histoire, de celle qu’elles font, on voulu, endurent.

La grande leçon que sont en train d’éprouver les peuples d’Europe à travers l’expérience grecque, c’est qu’avec la bourgeoisie il n’y a pas place pour composer mais seulement pour la confrontation : hier elle pratiquait la canonnière et le coup d’état militaire, aujourd’hui elle use du coup d’état monétaire et des sanctions économiques.

Et somme toute Tsipras continue de ne pas mentir : s’il impose cette capitulation imposée c’est tout en disant, ce qui est quand même inouï dans l’histoire politique, qu’il ne croit pas en son efficacité pour sortir la Grèce de l’horreur austéritaire et que c’est donc un coup d’état de l’Europe. Certains disent qu’il fallait aller au Grexit ce qui est leur conviction depuis le début, mais n’est pas celle des masses ni même le fruit vérifié d’une expérimentation. Les Grecs n’ont pas voté Syriza pour ça et qui sait de quels monstres aurait accouché un grexit imposé assorti d’un chaos qui aurait été sans nul doute soigneusement organisé par les institutions bourgeoises pour bien parachever la leçon et la Grèce…

Le peuple grec gronde, la suite n’est ni écrite ni fatale. Il paraît qu’en Irlande, exemplaire pour les hiérarques libéraux, ça grogne aussi… Il est évident que le rapport de force n’y est pas, la mobilisation européenne non plus, que la situation est tragique, momentannément sans issue. Il est facile alors de gloser sur ce qu’il aurait fallu faire et quand, mais sur quel mandat ? Celui des comités centraux des fractions ou celui des masses ?

Il y a dans l’extrême gauche une forte sous estimation de la maturité collective, de la capacité des masses, de la nécessité de faire leurs expériences, d’inventer leurs cheminements, mais il y a surtout une absence de prise en compte (par de là cet irrespect élitiste)  de la nécessité de respecter cette maturation, de la considérer comme une condition sine qua non d’une (r)évolution durable, démocratique, mature. Il y a l’idée non dite que les masses sont politiquement mineures, mentalement inertes et qu’il y a des solutions qui doivent leur être en quelque sorte insufflées par de bonnes âmes dûment formées pour, bref des avant garde. “Tsipras aurait dû”… mais qui est Tsipras ? Un surhomme ou l’émanation aussi d’un certain niveau d’expérience des masses ?

Dans la réalité, les masses ne sont pas inertes, elles sont comme nous toutes et tous réalistes et s’adaptent. Quand dans nos pays voter ne sert plus à rien, alors l’abstention prend un tour de masse, ce n’est pas une régression de la conscience, c’est une forme de réalisme sinon de lucidité. Quand les syndicats se révèlent en gros inopérants parce que phagocytés par l’ordre existant avec des bureaucraties acquises aux préceptes dominants, alors la désyndicalisation se développe. Quand les luttes se heurtent au mur bétonné d’un ultra libéralisme mondialisé et pensé, alors les luttes sont réfrénées, retenues, rentrées, cela veut-il dire que l’esprit de lutte est perdu ? Quand les moyens d’agir donc d’être une classe sociale reconnue et reconnaissable ont été dilapidés par l’horreur stalinienne, les trahisons socialdémocrates et la pusillanimité impuissante des gauches révolutionnaires, alors la conscience de classe passe au second plan, n’est plus opératoire. Est-ce pour autant qu’elle est morte ?

Par contre quand il ne devient plus possible de s’adapter, quand l’insupportable survient ou qu’une brèche dans le supportable ouvre sur un autre horizon alors les masses avancent, innovent, cherchent la voie, tâtonnent et font leurs expériences. Ce qui importe alors dans le cours de ces expériences, c’est de savoir conforter l’indépendance vis à vis de toutes les institutions, de promouvoir la coopération horizontale, de coaliser les énergies vers une prise en charge par les masses elles-mêmes de leurs solutions, de leurs formes, de leur emprise sur la société….

Bref d’être du dedans et pas des jappeurs cyniques.

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