La canonisation de Anjeze Gonxha Bojaxhiu dite Mère Thérésa est passée comme un événement mi folklorique mi médiatique sans soulever beaucoup d’intérêt politique. Or cette canonisation fut d’un point de vue catholique romain, à mon avis, un acte éminemment signifiant, à plus d’un titre.
Tout d’abord, on ne s’est guère arrêté sur ce fait, Anjeze Gonxha Bojaxhiu était d’origine Kosovare et d’ethnie albanaise. Le Kosovo est une enclave à 90% musulmane dans l’Europe chrétienne, l’Albanie l’est à quasiment 100% hormis une minorité grecque orthodoxe. Dans les circonstances que traverse le monde dont la persécution d’un christianisme oriental résiduel et minoritaire par les fascismes théocratiques islamiques, exhiber ainsi une sainte issue d’une hyperminorité chrétienne en enclave musulmane n’est pas totalement dénué de signification.
Ensuite œillade aux femmes, la sainte en est une. Ceci dit pas une "vraie mère" ni une "vraie épouse", mais tout cela à la fois au service (une femme dis-je) des mourants, des malades, des pauvres. Une bonne épouse, une bonne mère sans autre époux que le très haut, vierge et un peu martyre (elle a été de santé fragile), mais courageuse (une femme dis-je). Enfin une femme qui parle aux femmes de ce qui les concerne : ni divorce, ni contraception, ni avortement. On y renviendra. L'Eglise a besoin des femmes.
Anjeze Gonxha Bojaxhiu, fille de bonne famille éduquée et dévote, s’en est allée témoigner de l’évangile (la bonne nouvelle) auprès de populations misérables, en se dévouant corps et âme nous dit-elle, entre autres pour les accompagner dans la maladie et la mort. Je dis « témoigner » car Mère Thérésa s’est toujours défendue de toute démarche prosélyte, et elle en a eu besoin face aux religions locales concurrentes à qui on ne la fait pas, pour qui deux et deux font quatre et une « action de témoignage » une forme à peine déguisée d’évangélisation, hégémonisme auquel l’église catholique romaine n’a jamais renoncé même, voire surtout, en l’habillant du voile angélique du « témoignage » caritatif désintéressé.
On ne peut pas non plus ne pas échapper à une lecture coloniale de la figure ainsi proposée : une femme européenne nantie qui aurait fort bien pu vivre une vie confortable, et s’en est allée porter son caritatif intérêt à des populations démunies (incapables de s’assumer ?), délaissées par la faiblesse de gouvernants « de fait » incompétents dans des pays (non européens) cahotiques quelque peu "arriérés" sans doute etc… Comment ne pas voir dans cette sanctification de la « bonne mère » fille de la Rome éternelle une forme de réhabilitation auprès des populations catho de base d’un esprit colonial sublimé par sa compassion pour les plus pauvres…
Des pauvres justement il en est question et sans fard : « Il y a quelque chose de très beau à voir les pauvres accepter leur sort, à le subir comme la passion du Christ. Le monde gagne beaucoup à leur souffrance » dit la sainte sans la moindre vergogne. Elle raconta sur le mode de l’anecdote pittoresque qu’à un mourant souffrant du cancer elle déclara que sa souffrance c’était le baiser du Christ (?!) à quoi le mourant lui aurait répondu “qu’il arrête”. Il faut ajouter que les analgésiques auraient été le plus souvent absents des dispensaires que son ordre gérait... Pour couronner sa réflexion métaphysique, elle ajoutait avec une gourmandise extatique (je suppose) aussi que ces pauvres offraient ainsi un cadeau immense à des gens comme elle, leur permettant en les servant d’accéder à la sainteté…
Comment dire…
Sur le plan théologique la sanctification d’une personne proférant de telles… je n'ai pas de mot, n’est que la réaffirmation classique de la pensée doloriste romaine de qui les considérations apitoyées sur la souffrance des humains atténuent vaguement le fait que “dieu ne donne d’épreuves à sa créature qu’elle ne puisse supporter”. (autrement dit prends en plein la gueule et endure). Souffrir étant ainsi un “challenge” spirituel qui fonde, justifie et encourage la résignation, la soumission, la patience tout particulièrement pour les plus opprimé/es dont l’endurance est “quelque chose de très beau”. (voir plus loin l'anecdote sur le divorce de la princesse Diana)
D’autant que Mère Thérésa professait un apolitisme total, qui lui permit de copiner sans scrupule avec des personnages aussi recommandables que les dictateurs façon Marcos aux Philippines, Duvallier en Haïti, d'avoir une grande révérence pour Enver Hodja dictateur stalinien de son pays d'origine, et quelques autres figures de cet acabit, dont elle accepta avec chaleur les dons et les honneurs. Cela fait réfléchir sur un pape dont la cohabitation avec les généraux dictateurs d’Argentine s’est faite semble-t-il sans frictions excessives, et, au passage, renvoie bien à une institution aux accointances avec d’autres personnages et régimes comme Pinochet, le Franquisme, Salazar, ainsi de suite tant que ceux-ci communiaient le dimanche accompagnés d'épouses portant mantille.
Sanctifier Mère Thérésa c’est aussi avaliser ce profil politique éminemment réactionnaire.
Pour elle en effet, les fléaux contemporains n’étaient ni les dictateurs, ni la misère, ni les guerres : « le plus grand destructeur de la paix, aujourd'hui, est le crime commis contre l'innocent enfant à naître. » Sa morale était alors d’acier sur les trois questions de la contraception, l’avortement et le divorce, marqueurs catho s'il en est. Son intransigeance était absolue, son discours de récipiendaire du Nobel (eh oui) porta quasi exclusivement sur le thème de la “défense de l’enfant à naître”. Elle s’impliqua pour le non lors de la campagne référendaire pour le droit au divorce en Irlande, qu’elle perdit… (la même année d’ailleurs où elle déclara à une revue people qu’elle était « heureuse du divorce de son amie Diana car son mariage avait été malheureux »).
Je passe sur ses méthodes de direction, sur les questions d'argent...
Ce rapide examen de la figure de Mère Thérés esquisse ce que fut le dossier de la candidate à la canonisation, même si la procédure fut une des plus « expresse » de l’histoire romaine ! Et ce dossier a convenu. Cela porte quand même un éclairage sur le bon pape François, un éclairage quelque peu discordant avec celui dont on croit entendre qu’il fustige le capitalisme, prend le parti des pauvres, veut une église ouverte et non d’interdits, se demande qui il est pour juger les gays et ainsi de suite.
Il fustige certes, mais qu'on ne se trompe pas. La canonisation expresse et vibrante de Mère Thérésa désormais sainte Thérésa de Calcutta, a un sens, on est loin de la théologie de la libération par exemple. On reste ancré sur une église qui rendant à César ce qui est à César (dans une interprétation traditionnelle sans aucun doute erronée) n’appelle en aucun cas à l’insoumission sauf quand César contrevient aux dogmes. Si ce pape prend le parti des pauvres c’est parce que leur pauvreté est un reproche à notre humanité pécheresse, que « les pauvres ont des choses à nous dire » (en le restant), qu'à travers eux c'est dieu qui nous parle, que ce que nous ferons pour eux c’est à Dieu que nous le ferons.
Bref une théologie où les pauvres sont là entre dieu et nous, en quelque sorte, bien pratiques... Quant à l’église qui cesse d’interdire, elle ne renonce pas pour autant aux interdits mais elle les présentera en « manif pour tous » et JMJ, défense de la vie, de la famille, festive. Les gays le pape ne les juge pas… Dieu s’en charge ! Le grand Mufti d’Egypte a aussi lancé un appel à ne pas persécuter les gays. Tant mieux. Les deux sont néanmoins d’accord sur un point c’est à dieu de s’en charger, et il s’en chargera.
Bref.
Cette béatification de Anjeze Gonxha Bojaxhiu n’a rien d’anecdotique. A l’heure où le catholicisme romain tente un difficile rétablissement, en une période périlleuse pour une institution minée par les scandales, les dissensions, les ambitions aussi entre ses diverses factions mais aussi ses réalités géographiques, en butte à la montée d'intégrismes concurrents (Islam fondamentaliste, Sectes évangéliques, Hindouisme), et surtout à une globalisation de la sécularisation, béatifier une figure comme celle-ci est une réaffirmation, subliminale sur certains aspects, mais claire sur l'essentuel des fondamentaux du papism. Et ces fondamentaux sont les pires aux yeux du progressisme : un réarmement réactionnaire, que le jeu habilement jésuitique du Pape argentin habille d’une bonhomie trompeuse.
Ce n'est pas une église quelconque sous un pape quelconque qui prend cette décision de béatification. Ni dans un contexte politico religieux mondial quelconque. L'appareil romain universel n'est ni naïf ni innocent, ni sourd ni aveugle, il sait ce qu'il fait, et l'urgence avec laquelle a été prise cette décision doit alerter sur ce qu'il est. Derrière Mère Thérésa il y a la vieille tare coloniale, l'hégémonisme romain source d'une vision absolutiste de la société, l'allergie à toute forme d'émancipation vite prométhéenne en particulier des femmes. Canonisant une fondamentaliste l’église catholique romaine n'est pas dupe : elle sait, elle assume, elle béatifie et ce faisant redit ce qu’elle est : un fondamentalisme à l’affût d’un regain d’hégémonie.