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Billet de blog 19 février 2017

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Crimes coloniaux : pourquoi je ne signe pas

http://www.mesopinions.com/petition/politique/reconnaissance-crimes-coloniaux-commis-france/27715

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sollicité comme tout un chacun/e par des ami/es pour signer une pétition pour la “reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France », je ne la signerai pas.

Les crimes coloniaux sont absolument indéniables, certains peuvent sans ambage être qualifiés de crimes contre l’Humanité, et la colonisation comme phénomène global le peut aussi. Un lieu, des moments, des journées, des célébrations, des enseignements de mémoire sont indispensables, mais pas n’importe comment.

Soit dit en passant la constitution de ce qu’on nomme aujourd’hui « la France » s’est faite par une suite de crimes d’Etat dont certains contre l’Humanité, pour ne prendre qu’une branche, religieuse, de ceux-ci le massacre des Vaudois sous François 1°, les guerres de religions, l’expulsion et la persécution des protestants suite à la révocation de l’Edit de nantes, la guerre impitoyable (et méconnue) contre les Camisards des Cévennes, sans oublier l’expulsion des juifs de France au XIV° siècle. On pourrait aussi évoquer la façon dont les réalités dites régionales ont été progressivement étouffées souvent avec poigne depuis l’édit de Villers Cotteret, acte fondateur de la primauté et de l'exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique du royaume de France toujours en vigueur sur ce point, et aggravé souvent par la (sacro sainte ?) République.

Mais un tel rapprochement pourra choquer et sembler vouloir banaliser, voire minimiser l’ampleur planétaire de ce que furent les colonisations.

Ceci étant mon désaccord porte sur le concept "la France". S’il avait été écrit commis par les divers régimes qui ont dominé les peuples de France, j’aurais signé sans hésitation et même avec enthousiasme. Mais je ne suis pas sûr que dans la conception “mainstream” des questions coloniales éminemment “racisées” un consensus aurait pu se faire autour de cette formulation. Je crains même que certain/es auraient volontiers ajouté “blanche” à France.

Pour ma part je suis partisan d’une lecture exacte de l’Histoire pour que chacun en tire non pas ici la satisfaction d’une revanche justifiée sur une institution, et là le sentiment de participer à un acte d’amende honorable et de révérence envers l’immense souffrance des victimes de notre Etat (je dis “Etat” je pense que certain/es voudraient y voir plutôt “nation” rejoignant là bizarrement des formulations de droite extrême pour ne pas dire plus).

Je pense qu’il faut être exact si l’on veut tirer du passé des leçons pour le présent et des perspectives pour l’avenir. S’il importe de toute urgence de désigner clairement les victimes il importe tout autant pour penser l’avenir de désigner les fauteurs. Or les fauteurs de cette histoire n’ont pas été “la France”.

Je n’ai, il est utile de le préciser, aucune révérence, ni d’amour ni de fétichisme envers la France. Le concept me semble abstrait et profondément plurivoque, inquiétant dès qu’il est invoqué que ce soit par des cocorico de gauche ou des halli hallo de droite. Pire même lorsque j’entends des leaders ou partis de gauche invoquer leur amour de la France, ses intérêts, son rayonnement, sa grandeur, je me dis, et je crois à juste titre, que derrière cette révérence patriotarde se cache en fait une capacité le jour venu de faire payer tout ceci par les humbles, la multitude, les travailleurs, les salariés, les paysans, les jeunes (chair à canon), les anciens, au détriment de leurs intérêts à eux, par leur sempiternel sacrifice, leur abnégation et leur obéissance à des impératifs qui serviront non tant “l’abstraction France” que in fine sous couvert de “La France” ses sempiternels et rapaces dominants.

Alors il faut le dire et l’affirmer les fauteurs de cette histoire de colonisation ont été ceux qui y ont eu un intérêt de puissance, de lucre, d’enrichissement. Ce sont des régimes, des couches et classes sociales, des intérêts privés, voire des familles qu’on voit surgir dans “l’Histoire de France” à travers les siècles (et les régimes) et qui n’ont eu de cesse de nous faire croire qu’il s’agissait de visées et d’intérêts collectifs. La colonisation n’est pas intimement liée à la création de la France, ni à son “esprit” même si la culture française en a été gangrenée jusque dans nos mœurs. La colonisation est une monstrueuse création consubstancielle à la création de l’état capitaliste français, de sa classe, de ses institutions, de sa domination en “métropole” aussi. Et il importe de redire que ce sont ces classes, couches, régimes qui ont enrôlé des générations abusées pour assurer le “maintien de l’ordre” colonial.

Et utiliser le mot "La France" au lieu de les divers régimes qui ont dominé les peuples de France (ce qui fait ainsi référenc à une autre forme de colonisation “interne” de notre Histoire) revient alors à ne plus penser ce qui s'est réellement produit, par qui et surtout pour qui ces atrocités et cette (dé)structuration du monde ont été commises, quels en furent les winers, les abuseurs et les abusés.

Or je crois qu’il faut contre les monstres abuseurs de tous ordres, entretenir, proclamer, nourrir, chérir la solidarité présente et la communauté de destin historique entre les victimes et les abusés si l’on veut construire un avenir.

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