Constitutivement homophobe
Le corps de doctrine hétérosexiste repose sur un axiome majeur, simple : « tu seras un homme mon fils » selon Rudyard Kipling ou selon la chanson « un homme est un homme c’est naturel en somme ». C’est entendu, un garçon n’est pas une fille, surtout pas une fille. Manquant à la retenue féminine, une fille est un garçon manqué, forcément manqué.
La loi, dure loi de la cour d’école, veut que, sinon, à la plus petite ambiguïté, l’arsenal des quolibets soit appelé à la rescousse et le harcèlement enclenché. Si tu ne sais pas « ne pas être une fille » gare à toi. Manquée une fille sera de même en garçon : manqué car, de toute façon une fille ne saurait être garçon que « manqué ». Il ne faut pas abuser !
Ainsi va la sexuation fille ou garçon.
Corps de doctrine catégorique et impératif : avant d’être soi s’expérimentant parmi d’autres, avant de m’expérimenter un peu dans le dédale des possibles et des conduites que chaque jour qui suit un autre me fait entrevoir, je suis fille ou garçon : on me sexe, circoncision symbolique par le prénom et la grammaire voire le rose et le bleu !
(Mais excision aussi de ce qui, en moi-même, résonne avec ce qu’on dévolue à l’autre sexe !)
Comme il faut bien que ça fonctionne, deux processus, inséparables l’un de l’autre se mettent en branle : interdit et refoulement, couple infernal qui traque et a vite raison des velléités équivoques, et de tout vagabondage expérimental.
« Cours normal de la construction de soi », s’empressent ces ventriloques zélés du sexisme que sont nos psychiatres. Ils excellent dans l’élévation de leurs observations toutes relatives (entre autres à leur subjectivité) en lois générales. L’idée qu’on puisse se construire autrement qu’en collectionnant les interdits comme autant de baffes méritées, leur échappe. Dans leur univers conceptuel pas d’expérimentation ! Simplement un déterminisme obsessionnel qui veut une cause à chaque acte, et réduit les possibles à l’enchaînement de ces causes. Quiconque s’y oppose est simplement le jouet de… sa « résistance » au travail du maître.
CQFD.
Il leur faut un ordre et cet ordre est sexé, obsessionnellement sexé !
Dans leur monde partagé entre la « part » féminine et la « part » masculine des choses Interdit et Refoulement enrayent les glissements (inappropriés donc) vers l’une ou l’autre de ces « parts ». Ils relayent si besoin : parents, fratrie, pairs, télévision, crèche, école, jeux, lectures, publicité qui sont aux aguets. Chacun pour sa part veille à la « bonne observance » de l’assignation sexuée, ce qui se fait, fille ou garçon, ce qui ne se fait pas ! D’un rire, d’un soupir, d’une admonestation, violence symbolique, morale ou physique, parfois d’une thérapie et s’il le faut d’une analyse.
Interdit et Refoulement imposent un corps, une gestuelle, un comportement, une tonalité de voix, en plus des coiffures, habillements, mais aussi « une érotique » et autres vecteurs de contention (plus que signes) de toutes sortes qui distinguent sans répit les deux sexes. Quitte à venir fouailler les rétifs dans leur intimité : mal être, culpabilité, fétichismes inavoués.
Ils font ravaler ce qui n’est pas du masculin ou du féminin, et oublier que la question s’est un jour posée. S’ils ne le peuvent, ils « réduisent » (comme on « réduit une plaie ») en l’un ou l’autre : ils basculent le mauvais masculin vers de l’efféminé, le mauvais féminin vers du garçon manqué et nomment cela l’inversion, jusqu’à perturber assez les consciences au point qu’elles basculent dans les dysfonctionnements mentaux et comportementaux voire l’autodestruction.
Ils sexent de force l’intersexe à la naissance. Ils opèrent le transexuel plutôt que de le renommer ou de lui permettre de vivre à sa guise, « en transit ». Le travesti a longtemps troublé l’ordre (hétérosexué) public. Et s’il faut reconnaître les homosexuels comme une catégorie civile définie, ce sera selon lois et coutumes hétérosexistes, conjugalité, parentalité faussée, appariement légal.
Par-dessus tout, ce qui est imposé avec l’intériorisation hétérosexiste de la naissance à l’adolescence, ce qui est banni de la construction de soi, strictement « bordé » ce sont les élans affectifs, sensuels et érotiques entre personnes de même sexe. C’est une active prohibition, sur le qui vive, qui s’exprime en un « discours » lui aussi obsessionnel et rappelle en toute occasion la ligne rouge à ne pas franchir pour être soi conformément à ce qui est attendu, exigé et approuvé.
Cette ligne rouge agit comme un champ de force, psychique et social, qui organise le confinement des émois dans le seul échange entre sexes dits « opposés ». Tout autre émoi disjoncte vite et s’éteint de lui-même ou affole. Ce champ de force psychique et social ne manque pas d’expédier comme des décharges, avertissement ou punition, dès qu’est frôlée la ligne rouge. On nomme ça alors : conduites inappropriées, ambiguïté, puis mal être, dépression, mésestime de soi, tendance suicidaire.
Tout juste si subsiste l’espace pour l’amitié (le, la meilleur-e ami-e) pour autant que, par trop particulière, elle ne soit pas trop débordante, et qu’elle se distende une fois le mariage hétéro consommé.
Cet interdit et ce refoulement des affects envers des personnes de même sexe sont une composante essentielle de l’hétérosexualité, quelque chose comme un ciment, un verrouillage du marquage « sexiste ». Sortir de ces limites, c’est se voir exclure pour partie de l’humanité, ou contester une partie de la sienne par ceux qui vous entourent, leur « morale », par la religion, la loi dans certains pays, la médecine souvent encore.
Cela porte un nom : c’est l’homophobie : tu ne connaîtras point de troubles envers une personne de ton sexe.
L’homophobie n’est pas « simplement » une idée, ni une philosophie, ni une conviction raisonnée. Elle relève de la formation des émois qui nous est imposée, de la conscience de soi telle que formatée, d’une construction de soi dominée par la crainte de ne pas être ce soi là, l’affolement entre masculin/féminin, et violentée par la frustration.
L’homophobie est constitutive de l’hétérosexisme.