Une question qu’on pourrait, à bon escient, se poser, me semble-t-il aujourd’hui est celle d’un « mot d’ordre de gouvernement » comme on disait dans les années 70. Autrement dit d’une équation gouvernementale pour résoudre le problème d’un débouché crédible à des luttes qui échouent à repousser les attaques des gouvernements libéraux successifs (UMP, PS/EELV, En Marche) et peinent à enrayer la démoralisation des résistances comme la montée des amertumes mortifères (racistes, fascistes…).
J'entends les mystiques de la Révolution pour qui elle est le seul débouché légitime (et réaliste ?) des luttes, en une sorte de rétablissement politique soudain des masses, ce qui peut toujours arriver, mais dont l’attente ressemble à celle de Godot. Certes le cours de l’Histoire peut bifurquer brusquement, la mer rouge s’ouvrir, et la construction éclair d’une alternative politique s’opérer dans la brèche. J’ironise, si cela fait partie des possibles, des probables non. La révolution, la vraie, l'inéluctable procèdera d'un processus complexe au sein duquel faire de la politique même "politicienne" sera, est et a toujours été nécessaire. Elle ne tombera pas du ciel.
La question d’un mot d’ordre de gouvernement comme débouché aux luttes, comme élément de leur convergence, me semble se poser aujourd’hui parce que l’équation est possible, alors qu'il y a un an elle ne l'était pas. Possible depuis l'indéniable développement de l’opération mélenchonienne (dont on pensera ce qu’on veut, en mal, du contenu et des attendus), de l’effondrement du PS (et d’EELV) avec rupture sur la gauche, et de l’impasse du PCF privé pour l’heure d’une stratégie d’union traditionnelle. Opposer à la « totipotence » des libéraux l’équation tangible et crédible d’un gouvernement alternatif possible, ne peut que renforcer la détermination des éléments qui sont en lutte, comme l’espoir des masses qui n’en peuvent plus de ne plus pouvoir décemment croire en rien.
L’équation aujourd’hui est la suivante, elle repose sur le facteur « rompre avec la politique d’austérité » : FI/Mélenchon, le PCF, Hamon la constituent bon an mal an. Avec évidemment le garde-fou indispensable : sans participation aucune des libéraux du PS (cf "ministres bourgeois" Matti), ils sont pieds et poings liés à la politique d’austérité européenne à laquelle ils se sont ralliés et qu’ils ont obstinément mise en œuvre sans y avoir aucunement renoncé à ce jour.
Pour une partie de la gauche ce front politique n’est pas celui que nous voudrions dans l’absolu d’un immédiat révolutionnaire. Il est évident que dans la conjoncture, si l’on ne veut pas attendre que le quinquennat déroule son programme régressif et brutal, cette équation a le mérite d’un certain réalisme parce qu’elle offre une indubitable cohérence à défaut d’une cohésion. Cette cohérence même si ça n’est pas la volonté de sortir du capitalisme, c’est celle de sortir de l’austérité, de modifier la répartition des richesses et de passer à une politique de répartition plutôt que d’accaparement par les 1%. Cette cohérence répond à l’aspiration de la majeure partie de la population qui peut en être soulagée, elle peut être facteur de reprise de l’espoir, d’encouragement de la combativité, de mobilisation contre le libéralisme sous toutes ses versions plus ou moins éculées, de politisation large. Le désespoir politique est une terrible gangrène.
Cela dépendra entre autres des anticapitalistes, de la partie radicale de cette gauche, si elle sait tout en défendant cette équation ne pas donner l’illusion que cela se fera sans résistance des libéraux, des actionnaires et de la finance, ni sans tentations de temporisation de la part de notre trio Mélenchon/Hamon/PCF.
Mais pour la partie la plus radicale de la gauche, disons pour les anticapitalistes parmi qui je me reconnais, c’est un acte de réalisme politique qui réveillera peut-être celles et ceux que les sirènes mélenchoniennes ont hypnotisés, et qui pour une fois, ne sera pas incantatoire : oui, nous avons un gouvernement possible, qui n’est pas le nôtre mais dont nous soutiendrions tout ce qui irait dans le bons sens. Ce gouvernement il faudra le défendre contre les capitalistes, il faudra aussi le surveiller comme le lait sur le feu (« de la lutte des classes » vous voyez, je ne m’égare pas), il faudra le leur imposer aussi contre toutes leurs concurrences de leadership.
Nous disposerions alors d’un axe d’agitation politique y compris contre le crétinisme électoral : pourquoi attendre cinq ans, nous avons un gouvernement possible, mettons-les au pouvoir et voyons s’ils seront capables de faire ce qu’ils ont dit, opposons-nous à toute faiblesse envers le libéralisme, ses défenseurs, les actionnaires...
La question n’est pas aujourd’hui de juger si Mélenchon est ceci ou cela, il est ce qu’il est qu’on sait et qu’en dehors de ses groopies chacun voit bien, ni de ce que vaut le programme de la FI, Mitterrand avait un programme des plus à gauche, il en a fait l’Euro, le monératisme et le triomphe du libéralisme, ni de l’état de déliquescence de la direction du PCF ni de l’opportunisme de Hamon. La question c’est qu’ils forment ce sur quoi un espoir populaire d’une alternative aux libéraux peut se fonder, s’appuyer, vouloir chasser ceux-ci et reprendre du poil de la bête pour remettre en cause l’édifice libéral. Pour cela il faut les utiliser, les prendre au mot (sans angélisme ni mansuétude) plutôt que les démoniser, et les pousser à une unité utile contre leur course à l’échalote à qui aura la peau des autres.
Ceci étant il ne s’agit surtout pas de substituer aux luttes diverses et au travail pour leur convergence une sorte de « campagne pour un gouvernement Mélenchon, Hamon, PCF » mais de populariser dans les luttes cette perspective comme souhaitable, crédible et immédiate pour mettre fin au pouvoir libéral : dire « si ! c’est possible ! » parce que ça l'est. Il s’agit que les luttes les mettent au travail ensemble, sous leur poussée et sous leur contrôle puisqu’ils promettent une alternative réelle, cela plutôt que se ramassant claque après claque et accumulant une amertume mortifère qui nourrira les pires votes, d’attendre des échéances bien proprettes où les protagonistes de la gauche se seront (ou pas) départagés au profit d’un sauveur suprême (ou pas).