II° Partie : leurs défaites et les nôtres
Si vis pacem…
L’emploi d’un langage guerrier (défaites, victoires) peut paraître malvenu, déplacé, et pourtant. La question LGBT est bien une question qui « fait guerre », une guerre politique, juridique, morale avec hélas des victimes qui se comptent par millions dans le monde tout particulièrement dans la jeunesse. et des otages emprisonnés ou sous surveillance, des larmes, du sang. Celles et celui de ceux qu’on stigmatise, qu’on harcèle, qu’on juge, qu’on emprisonne, qu’on suicide, qu’on lapide, tabasse à mort impunément ou qu’on exécute avec le renfort de la loi.
Il y a guerre, pas simplement une « question de société », un débat éthique, anthropologique, moral. Il y a pour avancer de la violence, des affrontements, un climat tendu (on l’a vu récemment) et pas simplement « d’évanescentes évolutions » qui petit à petit affecteraient l’Humanité, les mentalités, les mœurs, l’opinion. Ces évolutions laborieuses sont le fruit de rapports de force jamais acquis. Des chocs frontaux comme en France, des mobilisations (LGP, EuroPride, protestations et pétitions internationales), font date et nombre.
Les avancées exigent des tactiques publiques, des sacrifices individuels exemplaires, du travail de conviction associatif, que consolide le fourmillement moléculaire des personnes LGBT, de leurs proches, amis, soutiens, tous anonymes à l’offensive dans le profond du tissu social (famille, travail, voisinage).
Cette guerre n’est évidemment pas une guerre LGBT versus hétéro, mais une guerre contre la fatalité du sexisme, ses déclinaisons homophobes, machistes et conformistes, ses assignations, ses interdits et ses refoulements, une guerre contre les institutions porteuses de prohibition et de stigmatisation, contre donc l’hétérosexisme qui n’opprime pas que les LGBT ni les femmes, mais toutes et tous autant que nous sommes à des titres divers.
Une guerre contre l’absurdité des superstitions, la violence des préjugés et l’aveugle vindictes d’autorités pour qui le contrôle de la sexualité, des comportements et des rôles sociaux est un enjeu. Le vieux monde n’est pas derrière nous. Nous sommes dedans, il n’en finit pas de survivre tandis que nous peinons à accoucher du nouveau. C’est la guerre.
Il est utile de le redire pour celles et ceux qui voient dans cette question des « sexualités » une affaire de mœurs, un débat d’idées, autrement dit une question superficielle qui se discuterait entre gens civilisés sans grande conséquence. Ou une affaire de patience : laisser le monde changer, les esprits et les institutions s’adapter, les vindictes s’apaiser, comme si ça allait de soi.
C’est une affaire de vie, de survie, de larmes et de morts quand une tentative de suicide sur quatre de jeunes de moins de vingt-cinq ans est liée à l’orientation sexuelle. Quand on publie impunément sur le net les tabassages de gays en Russie ; quand la plupart des institutions religieuses guettent le moindre changement de rapport de force pour attiser le feu phobique de leurs ouailles, voir ce qui se produit sur l'avortement en Espagne ou la réapparition médiatique de Civitas ici donne froid dans le dos ; quand sept Etats dans le monde comptent la peine de mort dans leur arsenal répressif tandis qu’une soixantaine gardent des législations discriminatoires (voire les renforcent).
Rien n'est jamais acquis....
Dans une guerre, il faut savoir faire le point sur les profits et les pertes pour pousser plus loin l’avantage et/ou consolider une position, en tout cas voir plus loin, l’autre bataille, le coup d’après et savoir mesurer les avantages (leurs défaites) et les défauts (les nôtres) de la position acquise.
Il y a eu en quarante ans indubitablement des avancées réelles. Dans un pays comme le nôtre, la condition des LGBT est aujourd’hui incommensurablement différente de celle qui était subie, il y a cinquante ans. Des changements pratiques, affectant la vie quotidienne ont eu lieu : déjà on « en » parle couramment, avant on pouvait arriver à l’âge adulte sans même avoir entendu prononcer le mot ni évoquer la question ni « en » avoir vu un/e. On peut vivre à visage découvert, ce n’est pas toujours facile, mais on y est autorisé. On peut porter plainte, hier la police se permettait diverses brimades quand ce n’était pas des violences, le fichage était systématique et l’homosexualité aggravante en justice. L’acceptation est en bonne voie dans la majorité de la population (mais l’approbation bien plus lointaine). Maintenant on peut aller devant le maire, adopter...
Nous ne nous sommes pas battus pour rien.
Mais nous sommes-nous battus pour ça ?
Certains se braqueront pour s’être battus, eux, explicitement « pour ça ». Ce n’est pourtant ni une question de personnes ni une mise en cause des énergies mises à obtenir « ça ». Ni une suspicion quant aux sincérités. Simplement, une contestation stratégique. Il y a eu depuis les luttes anti-système des années 1960/70, jusqu’aux « reconnaissance de nos couples », « ouverture du mariage », « parentalité à deux papas deux mamans » comme une social-démocratisation LGBT : on négocie avec le système, dans le cadre qu’il fixe et selon ses paramètres conventionnels, on vise des réformes. Elles sont toujours bonnes à prendre, faute de mieux. Il n’est ni absurde ni honteux de se battre pour des réformes ni déshonorant d’être social-démocrate. On a le droit au repli réaliste et à se contenter du possible, à s’attacher à changer le monde à défaut de changer de monde.
Mais voilà ! Est-il impertinent de se demander en quoi, dans le neuf obtenu, le vieux persiste, sournois, obtus, prêt à ressurgir ?