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Billet de blog 23 avril 2014

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L'UTOPIE (HOM)SEXUELLE billet 24 Fétichisme légaliste

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Loin de moi l’idée de mépriser les juridictions, la justice, le droit ni ce qu’un vote parlementaire peut apporter. Un droit protecteur auquel avoir recours est évidemment vital. Dans tant de pays, les gays nous l’envient ! L’abrogation de lois pénales votées sous Pétain, en France, qui frappaient certains actes commis « avec homosexualité », en doublant la peine, instauraient une majorité sexuelle distincte, bâillonnaient l’expression des homosexuels au prétexte d’un supposé prosélytisme, cette abrogation fut tout à fait décisive pour acter un droit aux libertés fondamentales que déjà, dans la rue et pour partie, nous exercions.

Obtenir la fin des surveillances (fichage, harcèlement policier) l’abandon de jurisprudences lesbophobes, de voir nos plaintes reçues, notre dignité n’être plus suspectée par la justice, le martyre des déportés gays salué… est salutaire comme accéder aux droits démocratiques fondamentaux tels que réunion, presse, expression, association, ester en justice. Que l’homophobie soit reconnue en circonstance aggravante de violences physiques ou verbales, va de soi. Qu’on étende aux relations entre personnes de même sexe les droits réservés aux relations hétéros est élémentaire. Ainsi de suite.

Mais voilà, de droit acquis en droit acquis, ça ne marche pas si bien. On nous a dit tant et plus, à propos du « mariage pour tous », qu’il allait être un grand pas symbolique pour l’humanité (en plus de permettre aux LGBT de s’approprier les uns les autres devant la loi et d’accéder au droit de divorcer). Symbole sensé faire reculer l’homophobie, cet objectif faussé et une campagne mal menée (toute laissée entre les mains des politiciens) ont, in fine, coagulé une force homophobe jusque-là diffuse et guère amplifié la sympathie. Sournois, têtu, le fond homophobe qui participe du socle même des mœurs persiste, se dévoile et se révèle actif.

Alors… on réclame plus de lois au législateurs, et dans la foulée plus de répression… en harmonie avec le tout répressif néolibéral. Ainsi en va-t-il plus généralement des « urgences » sécuritaires de l’époque. Le Parlement s’en saisit et légifère. Les lois s’empilent, se complexifient, sont menacées par la majorités suivantes, encombrent les prétoires à l’usage de ceux qui sont en mesure d’en avoir l’usage.

Et les braves gens peuvent dormir, ils n’ont pas à se préoccuper, il existe une loi, non ?

Est-ce si opportun ? Quelle en est l’efficacité pratique ? Qui y a recours ? L’égalité formelle comme la répression règlent-t-elles vraiment les problèmes ? Du temps, des experts, du papier, certes, sont dépensés.

Ces moyens ne seraient-ils pas plus pertinemment destinés à soutenir les actions des associations, à pousser des campagnes nationales de sensibilisation, à inciter à la solidarité, à stimuler la fierté et la dignité des victimes ?

Le mouvement associatif lgbt s’est fixé le légalisme institutionnel, la loi, les lois, le droit, les droits, la fameuse égalité tant vantée, comme ligne de mire. Sans forcément se soucier de ce que l’abrogation (nécessaire) de mauvaises lois, et l’adoption (utile) de bonnes lois ne suffisent ni à assurer la pérennité aux libertés acquises, ni à briser l’étau infernal d’une homophobie consubstantielle à la domination hétérosexiste. Sans se rendre compte non plus qu’on n’accède pas impunément à l’institution, du moins sans que celle-ci ne vous transforme, ne vous conforme.

La pression de ce crétinisme des droits est si forte que d’ingénieux contestataires croient devoir se disculper par la dérision. Ainsi, à propos du mariage ont-ils sacrifié à l’égalité, en vogue, par la formule « nous voulons avoir le droit de divorcer ». Petit tour de passe-passe ironique qui pourrait être plaisant s’il n’évitait d’interroger cette revendication d’égalité. S’il y a, bien sûr, des droits dans le mariage, ils ne perdraient rien à en être distincts, libérés pour tout dire, car ils y sont captifs, pris dans l’institution qu’en quelque sorte, ils justifient. Ce qui serait le vœux et ferait le bonheur de bien des couples, et pas seulement homosexuels. Or voilà que nos contestataires (et, pire : nous avec) par ce « mariage pour tous » obtenu vont être dans l’obligation de se marier s’ils veulent accéder à ces droits

Dans la forte formule « mariage pour tous » il y avait aussi, cachée, de l’injonction...

En effet, désormais l’état civil partagé (à l’heure où les femmes exigent de conserver leur patronyme…), la pension de réversion, l’adoption sous ses diverses formes (enfant du conjoint, orphelin ou abandonné adoptables), la communauté de biens, la dévolution des biens par héritage, tous ces droits légitimes qui pourraient fort bien ne nécessiter d’autre condition que la volonté des conjoints, continueront d’être captifs de l’institution du mariage. Et ce n’est pas demain la veille, compte tenu de l’hystérisation secrétée par les « anti-mariage pour tous », et la couardise des parlementaires sur lesquels comptaient nos élites, que ces droits seront « libérés de l’institution » !

Il est évidemment utile, louable, pour tout dire indispensable de s’adresser aux pouvoirs publics, au législateur, à l’exécutif et de leur demander de prendre leurs responsabilités… mais encore faut-il le faire tout en gardant jalousement la main sur les siennes !

Au nom du slogan non interrogé de l’égalité qui, dans le libéralisme triomphant est facilement formelle (le droit de) n’a-t-on pas perdu de vue l’émancipation ? A s’enfermer dans le juridisme, négocier des lois sophistiquées, piétiner à la porte de ministères, n’a-t-on pas négligé ou abandonné la part la plus décisive de toute émancipation ? L’acte premier de l’émancipation n’est-il pas la prise en charge collective à large échelle, auto-active, de leur défense par celles et ceux qui sont concernés ? La condition de sa pérennité n’est-elle pas la diffusion de ses valeurs dans le corps social ? Ce qui nécessite un groupe social certes multiforme, mais travaillé, armé, animé par des réseaux militants coordonnés et tournés vers les LGBT autrement que lors d’une marche annuelle aussi fière soit-elle ! Ce qui implique aussi des alliances…

Alors que l’extension mondiale des aspirations LGBT, est un terrain exemplaire d’une altermondialisation émancipatrice, n’a-t-il pas été révélateur du simplisme juridique fétichisée (dont le mariage par ailleurs guère mobilisateur) de voir le peu de place prise par les LGBT dans l’altermondialisme ?

Des LGBT fixés, figés sur une stratégie autocentrée, en quelque sorte, dirait le pape François : autoréférentielle !

fortinjaq@yahoo.fr

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