Jacques Fortin (avatar)

Jacques Fortin

retraité, après mille et un boulots

Abonné·e de Mediapart

312 Billets

1 Éditions

Billet de blog 23 octobre 2013

Jacques Fortin (avatar)

Jacques Fortin

retraité, après mille et un boulots

Abonné·e de Mediapart

L'UTOPIE (HOMO)SEXUELLE (6)

Jacques Fortin (avatar)

Jacques Fortin

retraité, après mille et un boulots

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

DEVENIR GAY EN TERRITOIRE HETEROSEXISTE

« On ne naît pas femme, on le devient », avec cette phrase Simone de Beauvoir changea le point de vue du monde sur les femmes, et celui des femmes sur elles-mêmes comme… sur l’autre moitié  de l’humanité !

Hé bien, on devient gay aussi, de façon tout à fait similaire, à cela près qu’ayant cru devoir être hétéro il a fallu, pour devenir soi se résoudre à vivre sous le regard hétéro en ne l’étant plus. Pas si simple ! Certains n’y parviennent jamais figés par l’inhibition ou n’en finissent pas de peiner, travaillés par elle. Les autres ont dû « prendre sur eux » activement et trop souvent laborieusement (une tentative de suicide sur quatre de jeunes de moins de 25 ans est liée à l’indentité sexuelle).

En l’état actuel, l’hétérosexualité est, ironiquement parlant, « passive », subie, allant « de soi » tant les incitations y abondent jusqu’à faire système. Ce système proprement « hétéro-sexiste » qui ne voit que par et pour lui-même, et rien hors lui.

Gay c’est tout autre chose : une (re)construction « active » toute en résistance, en confrontations en affrontements, en prises de conscience, c’est-à-dire en prises de « petites bastilles » intimes pour en convenir soi-même, jusqu’à la grande bastille du coming out public dont les murailles sont si abruptes à escalader pour certains.

Là où l’hétérosexualité consiste en une opposition binaire de deux genres, posée comme un donné incontournable, d’ordre ontologique, et est vécue comme telle, l’homo/bi/transexualité se meut, se débat dans la conscience diffuse d’inadéquation à cette « loi ». Tout commence par là le plus souvent, bien plus que par une prise de conscience sexuelle.

Innombrables sont les filles et les garçons révélés gay plus tard dont on dira qu’ils, elles furent des enfants « différents » et qui se seront ressentis comme tels bien avant les questionnements adolescents et les réponses sexuelles. C’est un ressenti qui chemine, hésite, s’inquiète, s’amplifie avant d’ouvrir sur la prise de conscience. Rien d’une soudaine illumination mais un travail en soi, sur soi, à l’aveugle, solitaire et souvent dans la mésestime de soi (qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?). Un travail qui est surtout d’acceptation finale : le consentement à s’identifier qu’il faut un jour se donner à soi-même, tant il est vrai qu’il n’est pas évident de n’être pas hétéro (car tout est d’abord là).

Alors la sortie de l’hétérosexualité est vécue comme une sorte de re-naissance, à la fois déchirement et délivrance vous diront tant de jeunes gay après s’être tant sentis inadéquats.

Le sentiment d’inadéquation s’exprime en mal être, aux deux sens de l’expression : se percevoir comme étant mal : déplacé, « dévoyé », « in-convenant », en tout cas pas là où on devrait être (en « mode hétéro », avec ses rites, ses comportements, ses affects), et aussi se « sentir mal », maldans sa peau. Les hétéros, bon an mal an, s’accordent aux injonctions : garçons en garçons, filles en filles, de part et d’autre de la limite. Restent les inadéquats « en souffrance » selon l’expression à la mode dans les milieux psy, là aussi aux deux sens de l’expression : un peu perdus, en attente de trouver le sens de leur inadéquation, et empêtrés dans les affres du mal être. Les uns plus dans l’attente, les autres plus dans les affres.

Religion, morale, médecine, psychanalyse sont en embuscade derrière ces deux modes de « souffrance », chacune selon son registre propre, stigmatisant le « non sens » de la non hétérosexualité, ou pathologisant les affres comme la rançon de la dissidence. Toute la lutte des homo/bi/transexuels consistant à espérer que s’impose enfin une grille de lecture positive à leur « consentement ». Condition pour qu’on passe, par de là l’homophobie, non seulement à l’acceptation sociale mais à l’approbation qui est la seule véritable intégration dans la vie commune.

Contrairement à ce que laissent entendre un peu vite certains auteurs, être gay ne relève pas d’un choix qu’il faudrait faire, mais de cet acte de consentement qui consiste à consentir à être ce qu’on pressent ou sait déjà devoir être. Pas tant choisir, qu’assumer. Et d’un deuil aussi, celui de l’hétéro qu’on était (pré)supposé être aux yeux des autres, qu’on n’est alors plus, en particulier aux yeux sidérés des proches, deuil aussi de la « normalité » et de son confort, de la sécurité dans l’espace public qu’offre le fait d’être… banalement comme tout le monde, dans l’anonymat.

Ce consentement n’est pas une obligation (celle-ci est du côté des assignations à l’hétérosexualité), mais une nécessité pour devenir soi. Par lui, on trouve le ressort pour « quitter le territoire hétéro », transgresser les assignations, et, une fois franchies les limites s’installer dans le No Man’s land des non hétéro, exposé là, parmi les signes têtus d’une sexualité plastique à recomposer : entré en dissidence.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.