En politique, me semble-t-il, il y a des moments où on n’a pas prise, et quand on n’a pas prise on n’a pas prise. C’est matériel, matérialiste de le constater... ingrat mais c’est comme ça. Je ne dis pas qu’il faut s’y résoudre par contre il faut en tenir compte et ne pas se laisser paniquer en cherchant désespérément à trouver une prise quitte à perdre sa boussole. Quand, sous les effets conjugués de l’offensive capitaliste et de la crise, la droitisation des politiques européens s’accentue, il ne faut pas aller chercher vers sa droite ce qu’on ne trouve pas dans sa gauche.
Il faut se positionner, certes, c’est ce qu’on peut encore faire, « en dissidence » de cette droitisation. Ce qu’a fait, in fine, le NPA avec Poutou. En dissidence, ça ne veut pas dire ailleurs, mais pas dedans non plus. Ainsi, si le NPA appelle à ce qu’un grand front de résistance se constitue, il précise bien « dans la rue », au plus vite, en lutte, salaire, emploi, partage des richesses, pas forcément vers… une sixième république.
Et c’est là que le « bloc anti-crise » dont nous parle Samy Johsua dans un de ses billets ici, et la gauche anticapitaliste du NPA avec, me semble pas assez clair.
D’abord n’allons pas trop vite en besogne et ne prenons pas des désirs pour des réalités. On ne sait ce que fera la FG au lendemain de la présidentielle. Avec 11% des voix, les 80 députés prévus ont du plomb dans l’aile. Sans un accord avec le PS qu’en restera-t-il ? Le PCF dont l’orientation principale se résume à sa survie doit y réfléchir. Mélenchon soi-même se voyait en « lider-màximo » de l’opposition parlementaire de gauche au PS, donc député à la chambre et plus député européen. La proposition dans l’air, d’un candidat unique de la gauche, antiFN, dans certaines circonscriptions va aussi dans ce sens (présenter un PS moisi contre le FN, c’est risquer d'opposer un agent de sa montée à la bête qui monte, à manier avec prudence, et quid de la politique libérale à donf du PS ? pas simple). En cas d’accord de ce genre, cela signifie-t-il la constitution d’une majorité parlementaire par la bande, sur l’axe antiFN ?
Les formules sont multiples et ouvertes.
Alors Johsua « dédramatise » un peu vite, à mon goût, ce qui nous sépare du FG pour souligner les fortes (à ses yeux) convergences qui nous rapprocheraient. D’abord je ne suis pas si sûr que ce qui nous sépare mentionné par Samy, soit si anodin, ensuite je ne suis pas chaud pour collecter les écrits programmatiques, les édits de tribune et de plateaux télés, les haddits véridiques et autres, pour constituer un « recueil des convergences ». Si l’on se rappelle du programme de feu les comités unitaires d’après le référendum, (croix de bois croix-de-fer, le PC allait en enfer plutôt que s’en dédire), et le compare au programme du FG, on verrait le recul. Et comme dit opportunément je ne sais qui du PS, « tout est discutable, mais tout n’est pas possible ». Ben tiens.
Veremos…
Mais ce sont les mots, les textes, il y a plus : les faits, les forces, les lignes en action. Une des forces agissante quoique non déclarée du FG est la CGT, à coup sûr un élément décisif dans l’éventuel bloc que dessine un peu vite Samy J, et dont la « dynamique » (ce dieu caché qui règne sur la gauche de la gauche) de résistance me paraît aléatoire. Dans les grandes grèves de 2003, l’appareil s’opposa frontalement (et oralement : Thibault au grand rassemblement final de Marseille contre les cris des manifestants) à l’épreuve de force avec le pouvoir en refusant l’appel à la grève générale ou la généralisation de la grève, pourtant seules issues pour éviter la défaite.
Le même appareil participa directement, oui avec Le Duigou comme représentant auprès de la Commission, à l’élaboration du traité constitutionnel européen et voulait que la centrale ne prenne pas position, pardi. Il fallut la révolte des cadres les plus proches de la base pour que, contre la rage de Thibault, elle prenne position pour le non. Lors des dernières luttes sur les retraites, avec la connivence du FG, la CGT se refusa encore une fois à la confrontation avec le pouvoir, à la généralisation de la grève, bref à tenter d’éviter la défaite et de pousser Sarko dans ses retranchements (ce que la lutte des cheminots en 95 avait réussi).
Tout ceci ne va pas dans le sens optimiste de Johsua. Bien aléatoire voire contrariée est la dynamique qui ferait d’un bloc ainsi constitué un vrai outil de résistance. Ce qui n’amoindrit en rien le potentiel réel de résistance du FG encore moins de la CGT, mais… jusqu’où ? comment ? avec quelles arrière-pensées tactiques si un gouvernement « de gauche » est au commande ? Faut-il vraiment se lier ?
Cela demande pour le moins un peu de vérification.
Donc la formule "pour un bloc" nécessite certains ajustement pour ne pas susciter une fois de plus la confusion, les illusions et les divisions dans un NPA qui n'en a pas besoin, sans parler de la gauche de la gauche.
Oui, il faudra tout faire pour que la résistance aux politiques, de droite comme de gauche, marquées par la rigueur soient combattues. Et tout ce qui ira dans ce sens sera bon.
Non, il ne faut pas faire du FG le cœur de ce rassemblement quelque fascination qu’il exerce sur d’aucuns. La dynamique reste tester, enclencher, vérifier « en pratique » et pas sur des « versets » programmatiques issus d’exégèses alambiquées de professionnels de la profession (ou d’une lecture optimiste). Donc dans la rue, d’abord. Obstinément mais pas à pas.
Oui, le NPA, y compris dans l’état de difficulté où il est, a la tâche (avec d’autres qui existent) d’œuvrer à constituer un front anti-crise, ce sera un travail complexe, sans raccourci panicard. Un front anti-crise moteur d’une dynamique qui devra se positionner dans l’indépendance envers le gouvernement et s’ancrer dans la défense des intérêts des exploités et opprimés, sans concession (même si toute vraie réforme est bonne à prendre et toute victoire partielle un encouragement précieux) et surtout jusqu’au bout. Autrement dit pas négocier un avantage ici pour perdre tel autre par là (cf. les 35h de naguère).
Cela n’exclut en aucun cas, au contraire, de multiples moments unitaires de toute la gauche qui dit vouloir résister, dont le FG tout ou partie, nous verrons. Il faudra systématiquement s'y adjoindre, les rechercher, si possible les provoquer. Mais cela ne fait pas du FG le môle autour duquel construire ce front. A priori il en sera le ventre mou. Travaillé par des tendances contradictoires que l’on fera bouger si l’on est capable, dans l’indépendance, de construire, lutte par lutte, un commencement de front dérangeant, attractif.
On est d'accord ?
NB. Oui, le score global de la gauche de la gauche est en gros en dessous de 2 points de celui de 2002 (Laguiller, Besancenot, PCF et PT). Oui le FG en rassemble cette fois la majeure partie. Mais de quoi cela témoigne-t-il ? Plus à gauche ? Ou nettement moins. Hein ?