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Billet de blog 27 novembre 2013

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L'UTOPIE (HOMO)SEXUELLE billet 11 Hétérosexuation

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11.

L’hétérosexuation

On ne naît pas hétérosexuel (non plus) : on devient hétérosexuel (aussi). Et en système hétérosexiste, cela s’inculque et cela s’intériorise par la construction de soi. Tel est le processus. (Notons que le freudisme en convient par tout ce que sa clinique décrit, même si, ensuite il naturalise ses constats sans interroger leur naturalité supposée. Il faudrait ainsi croire que l’hétérosexualité serait à la fois inculquée mais naturelle ?! construite mais innée ?!).

 Le premier acte est le sexage en fille ou garçon qui se fait dans la communion familiale, avec la bénédiction de l’état civil (tandis que l’œil avisé du Marché concocte ses batteries de produits adaptés, roses ou bleus). Suit l’apprentissage précis, sexué, clairement duel, fille ou garçon, qui intériorise masculin ou féminin. La construction de soi entamée dès la sortie de l’utérus s’accomplit tout au long de l’enfance. On sait ça.

On dit moins que c’est un processus d’hétérosexuation qui inculque avec une insistance lancinante, de tous les instants, comment on doit être fille ou être garçon, les voies, les codes, les interdits, et surtout qu’on doit être fille ou être garçon.

 Aux nouveaux-nés de sexe biologique incertain (entre 1 pour 500, pour 1000 ou pour 10 000 selon le syndrome dont ils sont affectés), on appliquait jusque récemment, en France une « normalisation » (tel est le terme officiel) par chirurgie, non sans risques. Elle pouvait avoir pour effet non seulement de stériliser mais d’obérer le potentiel érotique. À l’adolescence pouvait apparaître une orientation autre que celle du sexage médical. Mais il fallait sexer !

 « Hétérosexuation » veut rendre compte de ce processus de modelage des consciences, des conduites et des relations qu’inaugure le sexage (les féministes disent « hétérosexage ») et seulement inaugure. C’est un « procédé » de construction de soi collectif qui s’impose aux individus et dont le « travail » parcourt l’enfance. Il inocule cette vision, de soi, des autres, du monde, qui est structurée par le rapport masculin/féminin (exclusif, répulsif), par un vocabulaire social multiforme qui inclue aussi bien des mots que des postures, des conduites, toutes formes de façon d’être (soi) en société. Il inflige des expériences formatrices, initiatiques au besoin gratifiantes, répressives, incitatrices, autoritaires, contraignantes, cuisantes, rectificatrices, ainsi de suite.

 Et ça ne fabrique pas seulement des garçons et des filles, hommes ou femmes de demain.

 Il s’agit de constituer un lien social paradoxal, nœud gordien de séparation en hommes et en femmes, les constituant par cette séparation en masculin ou féminin et les opposant face à face en miroir. C’est un travail exclusivement symbolique qui leur fait intégrer qu’ainsi opposés ils se complètent (ce qui n’a de vérifiable que du point de vue reproductif, biologique), et qu’ils trouveront le sens de la vie dans cette complétude (fétichisée par la « romance amoureuse). Le monde n’est pas constitué d’abord de personnes, mais d’abord d’hommes et de femmes avec ce que cela entraîne.

 Dans nos sociétés de monothéismes, qui cachent le sexe physique sous la pudeur et les vêtements, il n’y a pas place pour l’expérimentation pratique du sexe, du sien, de celui des autres, des corps nus. Pas d’expérience visuelle, tangible tactile, matérielle, dans la réciprocité avant l’âge adulte ! (Notons en passant combien d’hommes n’ont jamais vu, vraiment vu d’autre pénis que le leur ! Et les féministes ont dû proposer l’expérience du miroir pour que les femmes voient leur sexe, et qu’elles en ont un !).

Tout est relégué dans les limbes du symbolique qui, certes, signe la culture mais de la culture « sèche » lorsqu’elle ne s’incarne pas. Cette pudeur sociale, la psychologie, ventriloque du sexisme et de l’hétérosexisme comme à son habitude, en attribue allègrement « l’envie » naturelle à l’enfant comme en un stade « normal » de son développement, et n’imagine pas que ce puisse être par mimétisme pourtant évident, de conformement à un environnement hyperpudique.

 Les vêtements ne sont pas que cache-sexe, ils inculquent du sexe depuis la petite enfance et dans les cours d’école. Ils sont les symboles actifs du sexe masculin ou du sexe féminin et agissent par l’obsession et sous le règne de l’interdit d’être dans l’autre vêtement (l’autre sexe). La pudeur, elle, le refoulement, verrouille tout jeu, tout mime même, toute pulsion qui transgresseraient l’interdit. Elle intériorise l’interdit sous la menace de la confusion, de la honte qui frapperaient tout essai, tout accès d’ambiguïté.

 Au lieu d’un apprentissage par l’expérimentation personnelle et le partage social, l’hétérosexuation fait dans le symbolique, l’exclusivement symbolique, hypertrophié. Ni physique, ni pragmatique, l’orientation sexuelle ne s’éprouve pas, elle s’apprend et si possible par cœur comme une récitation. Il n’y a pas le choix. On doit éprouver les sentiments de son « sexe », on doit adopter les comportements de son « sexe », on doit jouir selon son sexe, désirer, aimer, en plus de se tenir, s’habiller etc. On doit se tenir (se contenir) au récit hétérosexiste de ce que c’est que porter tel ou tel sexe, sans impro ni divagation.

 Certes le discours hétérosexiste optimiste en vogue dans les pays dominants prétend que ça doit changer, que ça va changer, que ça change ! En vérité papa lit et maman coud reste le repère même si aujourd’hui c’est Papa regarde le match à la télé, pendant que Maman règle le four à micro-ondes. Si Papa fait un effort ce sera pour  aider Maman tandis que, avec leurs sœurs, les garçons mettront la table, « eux aussi », en râlant et traînant des pieds. (ce « aussi » qui leur est appliqué, leur fait penser que malgré tout ce n’est pas une tâche de garçon).

 Si l’hétérosexisme est le système, l’hétérosexuation en est le bras armé qui s’appuie sur son corps de doctrine et fonctionne selon des modalités précises. C’est le processus littéralement terroriste qui assiège dès l’enfance, par lequel s’assure la perpétuation de l’hétérosexualité exclusive. Elle s’inculque ainsi, à sens unique, universalisée, essentialisée en mode naturel et normal (obligé) de conduites sexuelles et d’identités de genre, préexistant à tout, à toute société, à toute idée, absolue et totalitaire.

On pourrait paraphraser ironiquement la Genèse : Au commencement n’était pas le Verbe, l’esprit ne flottait pas sur les eaux, mais l’hétérosexisme régnait qui séparait le masculin du féminin, la femme de l’homme.

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