Après les mouvements (organisés ou d’opinion) qui se manifestèrent en fin du XIX° et en première moitié du XX° puis succombèrent aux retournements politiques tragiques qui recriminalisèrent et prônèrent l’éradication des LGBT, le groupe social, en s’imposant au cours des quarante dernières années du XX° a (re)pris conscience de lui-même. Dans les Etats dits démocratiques, les principales barrières de la légalité homophobe ont été contestées puis sont tombées, l’une après l’autre. C’est ce processus spectaculaire développé sur moins d’un demi-siècle, vite mondialisé, qu’est venue ravager la tragédie du SIDA.
Un certain angélisme LGBT a pu se croire sur la voie d’une libéralisation qui, désormais, ne sortirait plus d’un ordre des choses quasi irréversiblement assuré. Il s’est ainsi débarrassé du fardeau de radicalité originelle qui prétendait révolutionner la sexualité tout entière. Il paria sur une sorte de Zusammenbruch de l’homophobie, par lequel celle-ci, dûment démasquée, serait conduite à s’effondrer par l’effet de son obsolescence et de l’irréversible soutien d’une opinion enfin gagnée par la tolérance puis acquise à l’acceptation.
Il n’était plus besoin des fulgurances ni des excès « d’action révolutionnaire » de « pédés » et de « gouines » rebaptisés gais et lesbiennes. Des lobbies éclairés dotés d’un patient entregent dialoguent avec des pouvoirs publics de droite comme de gauche désormais ouverts à les rencontrer. La droite sembla même regretter son attitude sur le PACS, la gauche pense y avoir gagné un brevet de modernisme.
Les lobbies leur soufflent de ces « réformes sociétales » (faux nez de leurs contre-réformes sociales) qui seyent tant au teint des modernistes (acquis à ces réformes non tant par conviction éthique que par la force des choses qu’ils nomment évolution des mentalités). On fait chaque année avec les Lesbian and Gay Pride, la démonstration de force d’une communauté en ordre de… marche. Des « enquêtes » aussi intéressées que prescriptrices lui découvrent opportunément un pouvoir d’achat spécifique (sic). Le syndicat des entreprises gay se chargent de l’idée que les gays doivent se faire d’eux-mêmes (de leur sexualité, de leurs loisirs et tutti quanti). La fausse monnaie d’un vote gay, bien utile aux besoins de la cause, est elle aussi « vendue » aux politiques.
L’ordre des choses sembla posé sur des rails sûrs et durables.
Or l’ordre des choses est terriblement sensible aux désordres du monde. Les variations politiques, les coups de chaud sociaux, les guerres civiles tourneboulent les pronostics des lobbies, la routine des gestionnaires ainsi que les assurances données par les faiseurs d’opinions.
Rien qu’en 2013/14, la Russie de Poutine vient de priver les LGBT des droits démocratiques élémentaires en interdisant toute « propagande ». Les violences fascistoïdes s’y perpètrent au grand jour, l’état flatte sans vergogne l’homophobie populaire. En Afrique, des dirigeants jettent les homosexuels en boucs émissaires aux populations qu’ils ont exaspérées de misères et de désarroi politique. De puissantes sectes étatsuniennes y déversent (et ailleurs) les dollars de capitalistes illuminés. Le fondamentalisme d’Islam encourage les violences y compris dans les pays n’ayant pas de lois homophobes. La catholique église romaine bien qu’empêtrée dans ses vices, flatte d’une main les « anti » de tous les pays, de l’autre affecte de ne pas « juger les gays ». L’Inde remet en vigueur des lois répressives issues de l’Empire britannique. Entre autres en Amérique Latine, de pieux instituts élaborent des programmes barbares de redressement psycho-électriques des gays.
En France même, le déchaînement des anti mariage pour tous a explosé à la face des « angéliques ». Des forces jusque-là obscures ont surgi dotées de riches relais internationaux, de l’onction religieuse, de collabo à gauche. Une certaine audience populaire, activée par un activisme très droitier, provoque dérobades à gauche et casaques tournées à droite tandis que s’installe une guérilla délétère contre la liberté d’expression, la pédagogie, la culture sur tout ce qui concerne le sexe et le genre.
Les récentes préconisations d’un procureur marseillais sur un enfant conçu par PMA remettent en cause la filiation comme l’adoption par le/la conjoint. Il n’est pas le seul et préfigure le travail de sape de « l’égalité des droits », qui se profile en cas d’alternance. Treize maires en appellent à la cour européenne de justice en défense du respect de leur « conscience », confondant allègrement celle-ci et leur statut d’officiers d’état civil, vraie atteinte à la laïcité.
En Espagne, Opus Dei et hiérarchie catholique sont en passe d’obtenir de revenir sur le droit à l’avortement. Plus de 80% de la population se dit opposée à cette régression. L’arbitraire transcendantal et tyrannique de la « Divine Providence » orchestrée par ses représentants sur Terre, et le « fatum » de lois prétendument naturelles opèrent un déni, un refus même de démocratie : la minorité religieuse peut, Dieu à ses côtés, imposer ses tabous à la majorité grâce à une droite aux abois.
Ce n’est, dans leur (saint) esprit qu’un début. Un grand retour totalitaire est en gestation dans un climat de crise capitaliste durable. Les fondamentalistes de tout poil l’orchestrent, qu’ils soient évangélique, islamiste, hindouiste, romains de l’association Civitas (qui, en France prétend réinstaurer le « règne du Christ Roi » sur la « la fille aînée de l’église » et s’insurge contre l’Islam « totalitaire » et sa restauration des califats !).
Ce puissant et multiforme courant de réarmement moral laisse les « élites » LGBT plus tétanisée qu’autre chose, bien en de ça de la riposte qu’il serait nécessaire d’élaborer. Comme écrit Gwen Fauchois « L’articulation de nos argumentaires s’est désunie, notre discours dépolitisé. Avec le recul global de l’homophobie, nous nous sommes illusionné.e.s sur sa disparition. Nous avons perdu de vue ses ressorts idéologiques ».
L’optimisme progressiste désarme lorsqu’il croit que quelques bonnes lois et un peu de patience peuvent régler les choses. Il fait perdre aux LGBT la vision d’ensemble et l’énergie des affrontements pour les faire s’imaginer à l’abri derrière les avancées légales.
La politique des tactiques au jour le jour pour une avancée de plus a remplacé l’horizon stratégique de l’émancipation.
Le réveil est brutal.
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