On ne remercie pas assez ses amis !
E. Plénel aime, parait-il, à citer cette phrase terrible de Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à naître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres ».
Dans ce clair-obscur, heureusement, il ne surgit pas que des monstres. Des voix aussi, des refuzniks, des annonciateurs de l’improbable… et, sans flagornerie, Edwy et Médiapart en sont.
(Soit précisé que j’ai 68 ans, une retraite convenable, une vie personnelle agréable, ni compte en Suisse, ni mandat électif, et aucun besoin qui me conduirait à encenser celui-là ou celle-ci).
J’ai croisé Plénel à la LCR à la fin des années 70, je me souviens d’une discussion sur je ne sais quoi (le quotidien Rouge ?) et je ne sais plus très bien quand, mais à Marseille, debout sur La Plaine !
Il portait « krasny » c’est-à-dire rouge ou beau selon la langue et d’après Le Monde. Le rouge avec une affectation satisfaite, le beau avec la rouerie candide de qui se sait appréciable et apprécié. Mais toujours dans l’œil ce pétillement amusé, distancié, l’ironie mélancolique de qui, in petto, ne se prend pas aussi au sérieux que ça, ni son plan de carrière ni sa satisfaction de soi, et entretient, au fond de soi, une rage salutaire qui saura tempérer ceux-ci, les mettre en danger, faire table rase si nécessaire.
Il se dit « trotskiste sociologique ». Huguenot sociologique athée comme une bûche, je comprends ce qu’il veut dire et cela ne hérisse pas le trotskiste encore pratiquant qu’il paraîtrait que je serais. (Ce sont les autres qui nous traitèrent de trotskistes comme une insulte, d’où, à l’occasion, le stigmate retourné).
Médiapart fait plus que du bon travail, à sa façon, qui fait du bien à la démocratie, à la vérité, à la santé mentale (Ah, bon, c'est bien ça, nous ne sommes donc pas fous nous disons-nous en lisant les enquêtes, les coups de gueule). Lire Médiapart allège ce sentiment de suffocation qui m’étreint face à l’arrogance, l’impunité, l’impudence, le cynisme, la petitesse… bref, que les régnants de tous ordres nous infligent dans un monde devenu irrespirable, et pour beaucoup implacable.
Le petit bonhomme qui brandit son journal en en-tête peut être fier. Il n’est pas beaucoup d'occasion de jubiler par les temps qui courent, mais c’en est une (démocratique et éthique) emblématique que de regarder Aphatie contenir vaille que vaille des tremblements d’exaspération (et d’humiliation) régulièrement au Grand Journal de Canal +, quand Edwy est là, qu’on parle de son équipe, ou l’autre soir quand Arfi lui glissa un judicieux et implacable aussi : « quand on leur montre la lune du doigt, certains ne veulent voir que le doigt ».
Ce ne serait que ça, ce serait beaucoup.
Merci l’équipe.