Des voix s'élèvent de plus en plus qui tordent le nez devant la grâce dont a bénéficié Mme S., non pas parce qu'elle fut le fait du prince mais parce que somme toute cette femme, hein, après tout...
Une amie me faisait remarquer au passage qu'elle avait quand même fait quatre ans de prison sur 8 alors que Cantat en avait fait autant sur 9...
Bref. Ces voix éprises de juste justice préfèreraient manifestement une victime pantelante de culpabilité, écrasée de violences subies, travaillée par quatre ans de réflexion philosophique sur la mort, le fait de la donner et les arcanes de ses propres motivations. Une personne qui se repentirait en sanglotant d'un acte qu'elle qualifierait de monstrueux devant les juges et les jurés en tordant un mouchoir, un être que 47 ans de violences subies (et sans aucun doute rendues parfois) n'aurait pas seulement blessé mais anéanti, un pauvre être sans défense et sans contradiction, sans résistance et sans refus qui s'attèlerait courageusement à sa reconstruction, à sa rédemption même, bref un ange, une icone, et tout ce monde serait content.
La réalité de l'oppression, de ses contradictions et de ses ruses est autrement complexe, ambivalente, sombre. L'oppression n'est pas seulement une agression extérieure, des coups, des humiliations, des interdits... C'est aussi une re/déconstruction de soi opérée par le bourreau avec souvent sa propre in/volontaire complicité, un mélange inextricable de refus, de douleur et d'acceptation, de culpabilité et d'orgueil, de volonté de "tenir bon" et de certitude de ne jamais pouvoir soi-même en sortir, de complicité active ou subie, mais surtout d'incompréhension et de non perception quasi totale de ce qui vous arrive.
Et les victimes ne sont pas des agneaux, agnelles bêlants. La relation d'oppression est un couple au sens mécanique du terme quasiment, dans lequel chacun a sa part, le dominant domine, le dominé se fait dominer parce que, souvent, il y a en lui/elle quelque chose qui a été conformé, préparé, conditionné à ça quelle que soit son propre refus conscient ou le prix payé. Les victimes sont aussi des êtres animés de sentiments qui ne seraient pas jugés "jolis jolis" par nos contempteurs, des sentiments d'abandon de soi et de possessivité sur le dominant, de rejet abyssal et de jalousie dévorante, de colère et de soumission, de révoltes et d'acceptation, de souffrance attendue parfois même quémandée, et de pulsions haineuses jusqu'à ce que l'envie de mort l'emporte.
Et le plus souvent l'envie de mort se porte sur soi ! Là elle s'est portée sur l'oppresseur, sur son dos (et c'est tout un symbole de l'oppression en révolte que ces trois coups de feu non de face mais de dos, de face aurait-elle pu ?).
Non , les victimes d'oppressions ne sont pas des saintes, elles n'en sont pas moins victimes et opprimées.