Grande épée de l’islam, savant hors du commun, Tariq voulait faire croire en tout cela : il était une sorte de co-auteur du Coran. Aujourd’hui, après des accusations portées par des femmes, qui l’accusent de brutalité et de viol, la lumière apparait troublée sur la réalité de cette icone parfaite.
Etrangement c’est un autre religieux, Djamel Beghal, lui farouche combattant de l’islam, aujourd’hui injustement emprisonné en France, qui, en mai 2015, m’a alerté sur « l’imposture Ramadan ». Querelle de boutique ? Pas sûr puisque Beghal n’est pas seul à mettre en doute les qualités du « savant ».
Revenons donc sur les aventures de Djamel Beghal. Elles vont nous conduire, lors d’un entretien, à ce Ramadan passé à la moulinette. En novembre 2010, feuilletant Internet de façon machinale, avec la résignation d’un pécheur qui sait qu’il ne prendra rien, je tombe soudain sur une information aussi incroyable qu’un poisson d’avril. C’est sérieux puisque c’est écrit dans « Le Monde ». A cette époque, associé à la crème du journalisme mondial, le quotidien du soir publie les résultats d’une enquête collective, c’est le scandale Wikileaks. Voilà mis à jour le contenu de milliers de télégrammes diplomatiques, et donc secrets, envoyés par les ambassades US de toute la planète à leurs patrons de Washington. Perle entre les perles, ce qui me saute aux yeux en ce triste mois d’automne sont les quelques lignes suivantes. Celles d’un message expédié par l’ambassade des Etats-Unis à Paris, je recopie « Le Monde » :
« Le 9 mai 2005, l’ambassade narre une rencontre avec le juge Jean-François Ricard. Celui-ci explique que les magistrats tels que lui, spécialisés dans l’antiterrorisme, bénéficient d’une crédibilité en or. Il prend comme exemple le dossier Djamel Beghal, arrêté en 2001 et soupçonné d’un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Paris. Ricard dit « que les preuves contre Beghal et ses complices ne seraient pas suffisantes, normalement, pour les condamner, mais il estime que ses services ont réussi à le faire grâce à leur réputation. »
Quand vous lisez une chose pareille vous hésitez. Vérification faite auprès d’un ami qui détient une copie du télégramme, le texte est authentique. Voilà donc un magistrat instructeur, Jean-François Ricard, qui se rend dans une ambassade étrangère pour y faire son docile compte rendu de juge indépendant. Révélant comme une blague que l’on a condamné un innocent, ce Djamel Beghal dont je n’ai jamais entendu parler.
Une plongée dans la « doc » et, en effet, le 15 mars 2005 un certain Djamel Beghal a été condamné à dix ans de prison pour « association de malfaiteurs en liaison avec un acte terroriste »… Si j’ai bien compris le message de l’ambassadeur des Etats-Unis, le prévenu a donc écopé de dix années de prison alors que « les preuves ne seraient pas normalement suffisantes pour le condamner… mais ses services (ndlr. ceux du juge) ont réussi grâce à sa réputation (ndlr. toujours celle du juge) ».Pardon pour la redite, mais elle s’impose.
On a beau être vieux et avoir tout vu, la nouvelle est ébouriffante. J’appelle Me Bérenger Tourné, l’avocat de Beghal. Il me confirme le scandale, et me donne les lignes de l’action qu’il entend lancer. D’abord une poursuite pour « forfaiture » contre le juge Ricard. A l’occasion je découvre l’histoire de ce terroriste qui, officiellement, n’a terrorisé personne. Elle est passionnante.
Beghal, lors d’un voyage entre le Pakistan et le Maroc est arrêté à Abou Dhabi. Pendant deux mois on le torture salement pour le compte des services secrets Occidentaux, la CIA en tête. La liste des supplices est longue. Mais citons comme amuse Bush le retournement des doigts avec un décapsuleur.
C’est donc cet homme, par ailleurs « non recherché » qui est transféré à Paris. Il a fini par avouer un projet d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Sous la douleur il aurait, tout aussi bien, pu désigner la Grotte de Lourdes comme objectif. La preuve quand Beghal dénonce ses « complices » il cite des terroristes connus : « Charles Aznavour, Enrico Macias, Renaud », chanteur ami de Thatcher.
A Paris, même le juge Bruguière et sa célèbre manière de faire tenir ses dossiers à l’amidon, ne parvient pas à mettre sur le dos de Beghal cette affaire d’attentat. Pas grave, on tricote au supplicié d’Abou Dhabi une belle « association de malfaiteurs », une incrimination qui peut conduire n’importe quel quidam en prison. Le juge Ricard est à la baguette et le tribunal suit sa musique sans bémols : Beghal finit au violon.
Résumons, vous avez un voyageur, certes très barbu dans ses idées et ses fréquentations, qui est arrêté illégalement et torturé. Puis, transmis à la France, où on le condamne sans « preuves suffisantes »… Ça devient lourd, même si, comme moi, on est un laïque compulsif.
Bien obligée, faute de loi d’exception, la justice libère Beghal en juin 2009. Le terroriste à la sauce Ricard est assigné à résidence dans le Cantal.
En 2011, toujours cloitré dans le Cantal il est cueilli par des policiers spécialisés. Cette fois il est accusé « d’aide à une tentative d’évasion » et, une nouvelle fois, de « terrorisme ». Ah, vous avez dit « terrorisme ». Le motif en est, tenez-vous bien, que dans la cellule de celui que devait faire évader Beghal, on a trouvé une recette pour fabriquer du cyanure avec des pépins de pommes… Finalement Beghal est une nouvelle fois condamné à dix ans de prison, même si, trop grotesque, le motif du terrorisme à la pomme n’est pas retenu.
En janvier 2015, après l’attentat contre Charlie et la tuerie de l’Hyper cacher, des journalistes, dont ceux du Monde, avec une grande malveillance de plume, nous laissent entendre que Beghal est le cerveau qui a guidé les assassins. Pourtant, en dépit d’une enquête conduite à la machette, aucune nouvelle n’est venue confirmer cette lourde insinuation…
Bref, Beghal doit être libéré en 2018 et on ne sait qu’en faire. Déchu de sa nationalité acquise par mariage, il est prêt à regagner l’Algérie, son pays. Mais la France refuse. Sa femme vit à Londres… mais l’Angleterre lui est interdite. Que faire de Beghal ? Trouver un moyen de le condamner à nouveau. Avec lui la justice sait s’y prendre.
Jacques Marie Bourget. Aujourd’hui en France, le mouvement de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), imprégné par l’idéologie des Frères Musulmans et soutenu par le Qatar, est devenu l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et semble dominer l’organisation de l’Islam en France. Cette influence vous semble-t-elle positive? Et le représentant le plus médiatique de ce courant, Tariq Ramadan, qui vit entre Paris, Londres et Doha joue-t-il un rôle utile ?
Djamel Beghal. Je serai bref, je n’ai aucune affinité avec ce personnage. Le grand-père et la grand-mère de Tariq Ramadan ont marqué l’histoire de la renaissance de l’Islam politique sous anesthésie coloniale. Son grand père, Cheikh Hassane Al-Bana’, a été la première étincelle après l’extinction du califat du sultan Abdel Hamid en Turquie (1909-1924). Al-Bana’ a payé très cher sa bataille contre les sionistes. Nasser a su utiliser la naïveté légendaire des Frères Musulmans. On ne peut pas reprocher cette candeur aux premiers Frères, mais on ne peut avoir la même indulgence pour leurs successeurs.
Dans les années 90, j’enseignais le dogme à des jeunes tout en préparant avec eux l’action d’une association pour « Une immigration inversée ». Il s’agissait, auprès d’adultes, de faciliter l’acquisition des connaissances sur une durée de 5 à 10 ans, tout cela afin de les préparer à retourner dans les pays où sont leurs racines, A fuir le racisme français, celui du Front National et autres. Politiquement ce projet était une « bombe », et le comportement des policiers des Renseignements Généraux d’Evry a failli me coûter la vie.
“Tout le propos de monsieur Ramadan baigne dans l’ignorance, la manipulation, le mensonge”
Quelques membres de notre groupe s’occupaient de la vidéothèque de Monsieur Ramadan. J’ai donc assisté à une de ses conférences… Une catastrophe sur le plan théologique. En contradiction profonde, manifeste et dangereuse, avec les fondamentaux de la religion. Tout son propos baignait dans l’ignorance criante et la manipulation par le mensonge. J’ai été révolté. J’ai pris Ramadan à part pour discuter de ses avaries intellectuelles et morales. Tout cela avant de me rendre compte, très vite, que son islamité était avariée. Le mal était profond.
Tout en étant convivial et magnanime avec lui, je lui ai proposé un débat « en interne » sur très nombreux litiges. A cette demande il a répondu en me tendant sa carte de visite avec son téléphone en Suisse…. Plus tard, étant en vacances à Saint Gervais, je suis parti dans cette Suisse voisine où je n’ai pas pu le rencontrer. De son téléphone je n’ai jamais entendu qu’un éternel Biiiiiiiip Si je précise tout cela c’est qu’en 2002 le « Nouvel Obs » a publié un article me présentant comme celui qui écrivait des conférences pour le compte de Ramadan… C’était archi faux. Dès le départ nous étions opposés. Pour être clair, Ramadan est un philosophe sophiste, ambigu, jouant sur les mots, jamais clair, jamais très franc. Il trompe ses interlocuteurs. Et cela est une attitude contraire à l’Islam qui se veut véridique, clair et honnête.
JMB. Néanmoins les Frères Musulmans, un courant auquel appartient Ramadan, sont dans l’histoire récente la seule force religieuse ayant accédé au pouvoir, en Egypte et en Tunisie. La majorité qui gouverne en Turquie s’abrite sous la même bannière…
Pour comprendre il faut remonter le temps. Après l’extinction du Califat Ottoman, l’Angleterre après les avoirs trahis, a réussi à endormir les dirigeants et monarques arabes. La division de la Oumma (la communauté des croyants) et son déclin étaient tels qu’aucun espoir ne pouvait exister. Pourtant Cheikh Al Bana’ a fait surface avec son étendard, celui de la première expérience politico religieuse conduite, il faut le préciser, sous influence occidentale. Mais il a évolué. J’ai étudié ses épitres, conférences et pensées et constaté l’évolution politique dont je parle. Une évolution positive « islamiquement » parlant, une avancée politique et sociale. L’histoire lui accordera pardon et indulgence dus au novice. Lorsqu’il a commencé à prêcher un contenu nouveau, des idées auxquelles j’adhère aujourd’hui, il a été assassiné. Miséricorde à son âme.
Pour moi c’est Sayi Qotb qui représente la maturité dogmatique et stratégique chez les « Frères ». Des lacunes sont décriées aujourd’hui, mais elles sont insignifiantes. Le patrimoine qu’il a écrit est un océan de savoir. Mais la machination de Nasser a décapité le mouvement. Et Sayid Qotb a été pendu ainsi que plusieurs cadres. Puis la Confrérie s’est divisée, c’est un moment capital de l’histoire. Est apparue Takfir wal Hijra, sous la guidance de feu Mustafa Chokri. Autre tendance celle qui prône la lutte politique pure sur une base de réforme et d’aides sociales. C’est cette branche qui est la plus forte aujourd’hui. Hélas elle a basculé dans une forme d’organisation structurelle semblable, poil par poil, à celle de la franc-maçonnerie ! Et cela perdure jusqu’à Mohamed Badia et Mohamed Morsi. Encore une fois honteusement condamnés à mort… comme leurs aïeux.
Cette tendance, celle qui a été au pouvoir après les « printemps » arabes, a perdu l’esprit, l’âme, le dogme et la distinction de tout ce qui « est » l’Islam. Ils ont pris des décisions contraires à l’islamité de base. D’un côté ils ont agi correctement en pénétrant le tissu social, mais tels des francs-maçons, ils ont visé à s’introduire aussi au cœur des sources des influences politique, financière, économique et universitaire. Au pouvoir, ils ont fait les mêmes erreurs que celles commises par leurs ancêtres. Ça tourne au ridicule ! Combien de fois seront-ils jeter dans les geôles après avoir été bernés, laminés ? Ces Frères sont-ils sado masochistes ?
En retardant le retour de l’Islam à la gouvernance, ils sont beaucoup plus un frein qu’un accélérateur. Là-dessus il faut lire le livre du docteur Dhawahiri, « La Moisson amère ». J’ai jadis discuté avec lui à Kaboul avant qu’il ne rejoigne Al-Qaëda, il était alors l’émir du « Jihad Islamique » et avait une analyse très sévère sur la Confrérie. En tout cas, les Frères Musulmans à la Badia ou à la Morsi, et leur constellation d’intellectuels comme Cheikh Al-Qaradawi et ses semblables, ou leurs orbites politiques et confessionnelles à travers le monde, sont bons à combattre plus qu’à rallier, pour qui souhaite un redressement de l’Islam.