Si la question de la dette sociale, celle de l’ensemble des institutions de protection sociale, comme celle du « trou » de la Sécu, de son déficit, se posent, c’est d’abord qu’elles sont, l’une comme l’autre, régulièrement évoquées comme les preuves avérées de la nécessité de « faire des efforts » ; de devoir, en conséquence, baisser les retraites, différer l’âge de fin d’activité, fermer des maternités, revoir à la baisse le nombre des soignants, etc…. Elles sont ainsi agitées comme des menaces. Telle est, en un sens, la preuve de leur existence : on les agite, donc, elles sont.
Or, de l’affirmation d’une Sécurité sociale en déficit chronique, et donc en grand risque d’avoir une dette ainsi impossible à rembourser, à la réalité, il y a comme une légère distance ; celle qui la sépare de deux « fake news ». Il faut le dire clairement : Non la Sécu n’est pas en déficit ; non sa dette n’est pas un fardeau insurmontable. Car la réalité, c’est, tout au contraire, que la Sécu est désormais en fort excédent et que sa dette sera bientôt remboursée, laissant même alors quelques dizaines de milliards sans emploi, qui pourraient fort utilement servir à améliorer les prestations et aider à régler la question des retraites et celle de l’autonomie[1] ….
La Sécu n’est pas en déficit : le projet de rapt des excédents.
La Sécu est en excédent. Ceci est tellement vrai, y compris pour l’avenir, que, dans une tranquille brutalité, la loi dite « de programmation des finances publiques pour 2018-2022 », votée fin 2017, a de longue date prévu que :
« …dans cette trajectoire [2018-2022], il est fait l’hypothèse conventionnelle d’une contribution du secteur ASSO [Administrations de Sécurité Sociale] à la réduction du déficit de l’État, sous forme de transfert, dès 2019. Ce transfert stabilise l’excédent ASSO (hors Cades et FRR) sur toute la période à un niveau légèrement supérieur à l’équilibre. Ce choix, neutre sur l’ensemble des APU [ensemble des Administrations publiques : Etat + Sécu + Collectivités territoriales], reflète aussi le fait qu’une contribution des sous-secteurs revenus à l’équilibre reste nécessaire. »
En clair, il est depuis longtemps prévu que la Sécu prise dans son ensemble retrouve durablement une situation fortement excédentaire –où les ressources sont donc largement supérieures aux dépenses- et que ces excédents à venir (comme d’ailleurs ceux des collectivités locales) soient l’objet d’un véritable rapt par l’Etat, laissant ainsi facialement la Sécu en équilibre limité et précaire.
Les dernières estimations ne font que confirmer ces prévisions qui datent déjà un peu.
D’abord, celles de la dernière commission des comptes de la Sécu, confirment, dans un champ limité à la Sécurité sociale stricto sensu, la continuité de l’embellie :
« Cette amélioration se traduit en particulier par le constat, pour la 4ème année consécutive, d’un résultat consolidé positif sur le périmètre d’ensemble de la sécurité sociale (12,6 Md€ en 2017 contre 8,1 Md€ en 2016), qui signifie principalement que le résultat annuel de la CADES (qui traduit sa capacité annuelle d’amortissement des déficits passés), couplé aux bons résultats du portefeuille du FRR, ont fait plus que couvrir les déficits des régimes au titre de l’exercice 2017 »[2].
Enfin, sur le champ plus complet de l’ensemble des ASSO cette fois-ci, le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, constate un excédent de 0,6% du PIB pour 2018, soit de l’ordre de 15 Md€, et confirme la prévision de 0,8 % pour 2019, soit 20 Md€[3].
L’excédent de la Sécurité sociale, dont la loi de programmation des finances publiques précitée prévoit très officiellement que, au-delà de 2019, il soit de 0,8% du PIB chaque année jusqu’en 2022, ne sera donc pas mis au service des régimes pour améliorer les prestations ou les équipements, mais à celui des « transferts » au profit de l’Etat. Reste à savoir lesquels, et comment ce tour de passe-passe se fera. Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la Sécu vend la mèche :
« Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 (…) vise tout à la fois un équilibre financier du régime général et du FSV, un rééquilibrage des relations financières de la sécurité sociale avec l’État dans un sens favorable à ce dernier (…) l’augmentation tendancielle de l’excédent du régime général et du FSV serait contenue à un peu plus de 1 Md€ par la prise en charge croissante de certains allègements de cotisations par la sécurité sociale et le transfert par étapes de 5 Md€ de recettes de CSG à la CADES …. »[4].
Là où devraient donc être normalement constatés des excédents de l’ordre de 20 Md€ chaque année, le siphonage de la Sécu par l’Etat ne laissera donc subsister qu’un maigre excédent de 1 Md€. Cela passant pour l’essentiel, comme il était à prévoir, par le financement par la Sécu de la bascule du CICE : ce qui était jusqu’à présent crédit d’impôt, -pesant ainsi sur le déficit de l’Etat-, devient à partir de 2019 une réduction de cotisations sociales patronales, donc supportée par la Sécurité sociale sur ses ressources, une exonération qui ne sera pas compensée.
Pourtant, les dispositions législatives aujourd’hui en vigueur exigent une compensation intégrale des exonérations. Aussi, comme l’indique la Cour : « Le Gouvernement envisage de faire évoluer les règles de compensation des mesures de baisses de prélèvements sociaux. Ainsi, à l’avenir, c’est-à-dire à compter de 2019, les mesures nouvellement adoptées seraient supportées par la seule sécurité sociale quand elles concernent des prélèvements qui lui sont affectés »[5].
Si ces dispositions sont votées, -mais peut-être les forces de gauche au Parlement pourraient-elles s’en soucier-, ce sont donc nos cotisations qui paieront leurs « baisses de charge » !
Bien loin que d’être en déficit, les textes officiels en font abondamment foi, la Sécu est donc désormais une vache à lait…
Fin de l’endettement : Que faire du trésor de la Sécu ?
Une Sécu qui n’est plus en déficit, c’est aussi une Sécu qui ne s’endette plus, qui même rembourse sa dette à vitesse accélérée. Celle-ci, qui était encore de 158,3 Md€ au total en 2014, n’est déjà plus que de 128,8 Md€ à fin 2018, désormais intégralement portée par la Caisse d’amortissement de la dette de la sécurité sociale (CADES).
Or, le remboursement total de la dette de la CADES est aujourd’hui une certitude programmée. Comme le confirme le dernier rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale :
« La CADES a élaboré un indicateur de performance qui lui permet de suivre au cours du temps l’évolution de sa situation nette prévisionnelle (équivalente au niveau des dettes restant à rembourser). Cet indicateur, qui permet d’apprécier l’horizon de remboursement en fonction de différentes probabilités de risque, fait état d’une probabilité de 95% que l’intégralité de la dette transférée soit remboursée en 2024 »[6].
A cette date se trouveront ainsi libérés :
- Les ressources propres de la CADES, soient le produit de la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), et la fraction de Cotisation sociale généralisée (CSG) qui lui est allouée ; respectivement 7,2 Md€ et 7,9 Md€, pour un total qui est donc de 15,1 Md€ chaque année.
- Le portefeuille d’actifs du Fonds de réserve des retraites (FRR), qui ne sert plus du tout à protéger les retraites mais à alimenter la CADES par un versement annuel de 2,1 Md€. Ce portefeuille était de 34,2 Md€ à fin juin dernier. Difficile de savoir aujourd’hui quelle sera la valeur de ce portefeuille en 2024, mais 25 à 30 Md€ est un ordre de grandeur vraisemblable.
Au-delà des 20 Md€ annuels d’excédents dont on a vu qu’ils seraient siphonnés, quel avenir à partir de 2024 pour ces trésors, -les ressources de la CADES et le portefeuille du FRR-, aujourd’hui soigneusement tus et cachés : améliorer les prestations et les moyens du service public de santé, revaloriser et sécuriser les retraites, financer la perte d’autonomie comme certains l’ont récemment suggéré, ou … une nouvelle fois financer des « transferts » vers l’Etat et les baisses de charge ?
Les forces de gauche seraient bien avisées de s’en préoccuper dès aujourd’hui, car, nul doute, Bercy a là-dessus des vues d’ores et déjà bien arrêtées !
[1] Je reprends ici en les condensant et les actualisant, les analyses détaillées faites dans mon livre « La dette arme de dissuasion sociale massive », Editions du croquant, février 2018.
[2] Commission des comptes de la Sécurité sociale, « Rapport sur les comptes de la sécurité sociale, résultats 2017, prévisions pour 2018 et 2019 », septembre 2018, p. 242.
[3] Cour des comptes, « Rapport public annuel 2019 », février 2019, p. 38.
[4] Cour des comptes, « Sécurité sociale, Rapport sur l’exécution des lois de financement de la sécurité sociale», octobre 2018, p. 10.
[5] Cour des comptes, "Sécurité sociale ...", op. cit. , p.60.
[6] Commission des comptes de la sécurité sociale, « Rapport sur les comptes de la sécurité sociale, résultats 2017, prévisions pour 2018 et 2019 », septembre 2018, p. 258.