Tout a démarré hier soir. Après une journée harassante, je m’étais installé confortablement sur le canapé du salon. Des efforts physiques excessifs pour mon âge avaient développé des tensions musculaires douloureuses dans certaines parties de mon corps, et pour les apaiser j’avais décidé d’utiliser une solution classique mais efficace : l’absorption d’un grand verre de Glenfiddich single malt.
Naturellement, faisant partie de la vieille école on the rocks, quelques glaçons étaient nécessaires. Comme toujours.
Le fait de verser le breuvage doré sur les glaçons suscita une association d’idée bien naturelle : je me souvins que notre malheureuse banquise arctique était en train de fondre à une vitesse proprement hallucinante. En tout cas si je devais en croire les derniers SMS que m’avaient envoyés il y a quatre mois mes amis nordiques sur ce sujet brûlant.
Un citoyen doté d’un minimum d’empathie pour la banquise ne pouvait rester indifférent à la fin tragique de celle-ci, je suis sûr que vous en serez d’accord. La pensée que les glaçons allaient fondre dans mon verre alors que la banquise agonisait me devint tout à coup insupportable : leur fonte mettait l’accent sur ma propre responsabilité dans la disparition des glaçons géants de l’arctique.
Je devais vérifier sur le champ l’état des lieux, et je pris in petto l’engagement solennel de supprimer définitivement les glaçons de mon Glenfiddich single malt si la situation de la banquise s’était encore aggravée. Un sacrifice lourd, mais la planète le valait bien !
Comme je ne me sentais pas de partir immédiatement dans le grand nord pour faire les mesures, mon chat Pur malt sur les genoux et le verre de whisky dans la main gauche, je me contentai de gougueuliser de la main droite banquise arctique été 2013.
Et c’est là que je tombai sur les deux titres suivants (suivez les liens si vous avez le temps).
– Été 2013 : les glaces de l’arctique fondent de plus en plus. (revue Ciel et Espace)
– Les glaces arctiques ont moins fondu durant l'été 2013 qu'en 2012 (revue La Presse, Québec)
Il me fallut peu de temps pour vérifier que tous les liens donnés par gougueul se départageaient de la même façon pour l’ensemble de la presse : il y avait ceux pour qui la situation de la banquise était pire que si elle avait été meilleure, et ceux pour qui elle était moins bonne que si elle avait été pire.
Comment peut-on avoir des titres aussi différents à partir de la même info ? me dis-je, ébahi. Glaçons ou pas glaçons ? Il fallait que je lise les deux articles pour trancher, et je devais le faire avant d’avoir fini mon verre, après... ce serait plus compliqué !
Ma lecture des deux articles fut non pas angoissée (faut pas exagérer non plus), mais motivée. Si au bout du compte je devais me fier au premier titre, les glaçons me seraient interdits ad vitam aeternam. Si je pouvais croire le deuxième : tout pouvait continuer comme avant, et la vie était belle !
Très vite, il me sembla évident que les deux journaux avaient pris leur information de départ dans la même agence de presse. Une info qui affirmait, en substance, que pour cet été 2013, l'extension des glaces de la calotte polaire était de 5,8 millions de km2, alors que l'année dernière à la même époque, elle n’était que de 4,3 millions de km2. Mais je vis aussi que cette donnée pouvait être tempérée (ou non) par d’autres éléments à prendre en compte.
En réalité, comme vous le verrez si vous prenez le temps de lire les deux articles, aucun des deux n’avait triché ! Les journalistes avaient simplement mis l’accent sur les éléments qui permettaient à leur lecteur d’aller dans le sens des convictions idéologico-climatiques de leur direction. Un exercice amusant de journalisme « engagé ».
Alors, glaçons ou pas glaçons ? Alors que je doutais toujours, je fus finalement sauvé par un troisième article, tiré d’une revue réservée aux ingénieurs. Celui-ci affirmait que le volume de la banquise arctique avait augmenté de 1400 km3 entre août 2012 et août 2013. Et il ajoutait, cerise sur le gâteau, que cela correspondait à 175 millions de milliards de glaçons de 8 cm3 chacun !
Exactement la taille de ceux que je mettais dans mon Glenfiddich single malt !!!
Je me sentis enfin apaisé : si mon congélateur tombait en panne, j’aurais de quoi boire un nombre confortable de whiskys...