Dans Le Monde daté 18 mars 2016 était publié un « manifeste pour accompagner le désir d'enfant » intitulé « Mettons fin aux incohérences de la politique d'aide à la procréation », signé par 130 médecins et biologistes. Ceux-ci disent avoir aidé des personnes dans leur projet d'enfant dont la réalisation n'est pas possible en France. Cette impossibilité n'est pas due à des carences techniques des praticiens français puisqu'il s'agit de recourir à des techniques basiques utilisées dans des milliers de centres d'Assistance médicale à la procréation (AMP) de par le monde, y compris en France. Il s'agit donc essentiellement d'une demande d'extension de l'usage de ces techniques à des personnes pour lesquelles la loi française pose des interdits (femmes hors couple hétérosexuel) ou des limitations (don et conservation d'ovocytes, examen des embryons).L'appellation « Manifeste des 130 médecins »vite répandue dans les médias avait pour but d'évoquer le fameux « Manifeste des 343 salopes » par lequel des femmes demandaient en 1973, le droit d'avorter que leur donna la loi Veil 2 ans plus tard. Il est peu de points communs entre ces 2 manifestes sauf la revendication d'avoir bravé la loi. Pourtant, les femmes visaient un droit fondamental pour toutes tandis que ces médecins revendiquent l'extension de leur exercice corporatiste et peuvent donc être suspectés de conflit d'intérêts. A ceux qui leur reprochent de ne pas respecter la loi, ils répondent que c'est le Président qui n'a pas respecté ses engagements en différant des décisions promises, comme il est arrivé de beaucoup de ses promesses...S'il est exact que François Hollande avait prévu l'extension de l'AMP aux femmes hors couple hétérosexuel (lesbiennes et femmes seules) qui en sont exclues par la loi actuelle, il n'avait rien dit des trois autres thèmes qui composent les exigences du Manifeste : faciliter le don et l'auto conservation d'ovocytes, augmenter les critères de sélection des embryons issus de fécondation in vitro (FIV) avant leur transfert in utero.
Ce qui frappe dans ce manifeste, c'est l'exigence de pouvoir faire en France ce que les patientes vont chercher dans des pays voisins. A quoi servirait donc d'avoir développé un lourd dispositif national pour la bioéthique (comités, lois, décrets...) si le seul constat que d'autres font autrement, le plus souvent grâce à un dispositif éthique très « allégé », pourrait suffire à les imiter ? La demande de changer les règles du jeu bioéthique français ne peut donc pas se suffire de ce mimétisme mais devrait avancer des arguments solides et dire jusqu'où il faudra aller. Car la bioéthique est toujours affaire de limites et la casuistique nous révèlera sans cesse des situations exceptionnelles justifiant de nouvelles extensions si des principes forts ne sont pas affirmés. Nous analyserons brièvement, et de façon critique, les revendications du Manifeste.
Il faudrait intensifier le don d'ovocytes par des femmes volontaires afin de nourrir la demande, ce don résultant actuellement d'un acte bénévole proposé par des femmes déjà mères. A noter que depuis 6 mois (octobre 2015), le don d'ovocytes a été étendu à des femmes n'ayant pas d'enfant et qui conserveraient pour elles-mêmes une partie des ovocytes recueillis. Ceci afin de ne pas risquer la frustration d'avoir permis la procréation d'une autre au cas où elles se trouveraient ultérieurement en situation d'infertilité. Cette mesure est à l'évidence insuffisante pour répondre aux demandes et nos signataires incriminent une information défaillante au niveau national qu'ils voudraient pouvoir relancer localement. Doutons que le nœud du problème soit là, le Manifeste fait fausse route quand il assimile le don d'ovocytes à celui du sperme en exigeant une symétrie juridique qui ferait fi des épreuves respectives du donneur et de la donneuse.D'un côté un homme consacre quelques minutes à se masturber, de l'autre, une femme est empêchée de vivre pendant plusieurs semaines, médicalement pilotée par des bilans, prises de sang, injections hormonales, contrôles échographiques, jusqu'au prélèvement final, soit les mêmes épreuves que toute patiente dans le « parcours du combattant » de la FIV, un circuit éprouvant qui en a découragé plus d'une, pourtant en situation de « désir d'enfant ». Et un circuit qui n'est pas sans risque même si les accidents sont rares : hyperstimulation par le traitement hormonal, complications infectieuse ou hémorragique lors de la ponction des ovaires. Aussi, sauf à faire ce sacrifice pour une personne chère (ce que la loi interdit au nom du sacro-saint anonymat), les actes bénévoles demeureront trop rares si l'on veut attribuer des ovocytes à toutes les demandeuses, quelle que soit la puissance de la communication. Alors les signataires parlent de « prise en charge correcte » dans le cadre obligatoire de la non commercialisation des produits du corps humain...Sans aller jusqu'à évoquer les émoluments que s'accorde la médecine privée pour les actes de fivète (FIV et transfert d'embryons) dont la pénibilité est incomparable, les donneuses d'ovocytes ne seront pas plus nombreuses avec une « prise en charge correcte » de quelques centaines d'euros. On parle d'une indemnisation de 1500 euros en Espagne mais un tel revenu, bien mérité, nous placerait hors du cadre revendiqué de la non commercialisation...C'est à ce prix que l'on trouverait des volontaires, dans une situation économique propice à l'esclavage (voir les locations d'utérus dites GPA). Assez d'hypocrisies ! nos signataires souhaitent que le don d'ovocytes soit rémunéré car c'est la seule solution pour fournir leurs actes.
Le Manifeste veut aussi l'élargissement de l'autoconservation d'ovocytes à des demandes sociétales. A notre connaissance cette revendication n'émane pas directement des femmes, dont les gynécologues se font protecteurs, mais leur fut suggérée par le Collège national de gynécologie voici deux ans. On connaît les motifs de la proposition médicale : perte de fertilité et risque accru d'anomalies avec le vieillissement de la mère, obligations professionnelles contraires à la maternité, absence de partenaire ou souhait de différer la procréation,...On sait aussi que dans certains pays des entreprises prennent en charge ces opérations afin de s'assurer de la présence active de leurs employées. Décidément les différences entre les genres sont préjudiciables à la compétitivité ! Les différences entre les sexes existent encore (réjouissons nous!) et c'est bien un abus du Manifeste d'établir une symétrie avec l'auto conservation du sperme pour justifier celle des ovocytes. Outre les circonstances très différentes du recueil déjà évoquées, un seul éjaculat peut servir, moyennant le recours à l'injection du spermatozoïde dans l'ovule (ICSI), à produire des dizaines de milliers d'embryons !Quand un signataire du manifeste (M Grynberg, Bondy) évoque sur RTL l'« inégalité reproductive »entre hommes et femmes et se propose de l'annuler , il confond inégalité avec différence. La possibilité de porter un enfant est une autre différence (une « inégalité » au profit des femmes cette fois) que nos signataires pourraient vouloir abolir par le même souci de symétrie dès qu'une solution technique sera disponible (utérus artificiel ou utérus greffé chez l'homme)...
Il est à parier que la plupart des femmes qui stockeraient ainsi leurs ovocytes pour plus tard n'en auront jamais l'usage, soit parce qu'elles enfanteront naturellement, soit parce qu'elles ne voudront jamais d'enfant ou ne rencontreront jamais le père désiré. Et pour les autres, la récupération de leurs gamètes congelés ne garantira jamais la procréation. Il faudrait répéter de nombreuses fois les cycles de collecte-stockage pour promettre une chance sérieuse de grossesse quand on sait qu'un ovocyte ne deviendra un enfant que dans 3% des cas...Rappelons que chacun de ces cycles expose aux désagréments évoqués plus haut pour le don d'ovocytes. Ne s'agit-il pas alors de la mise sur rail d'une lourde machine, d'une surmédicalisation aux résultats très incertains ? Enfin, l'argument d'une baisse de fertilité féminine avec l'âge est exact mais il pourrait se retourner si les femmes, se croyant garanties par le stockage de leurs gamètes, se mettaient à n'envisager la procréation qu'après 40 ans...En revanche, les signataires n'évoquent pas la perspective de voir commercialisés ces ovocytes congelés et donc susceptibles de voyager, ou d'éventuels embryons en résultant. En effet, tout embryon conçu dans un cycle de FIV fait l'objet d'une déclaration obligatoire à l'Agence de biomédecine, ce qui n'est pas le cas de chaque gamète, si bien que le mariage clandestin de ces gamètes au laboratoire est susceptible de produire des embryons disponibles pour la recherche ou la vente...
Une autre revendication du Manifeste est le droit à l'insémination artificielle pour toutes les femmes, en particulier les femmes seules ou les lesbiennes. C'est encore l'identification avec une autre situation qui justifierait cette modification de la loi : puisque le droit à l'adoption existe pour ces mêmes personnes, pourquoi ne pourrait-elle pas relever de l'AMP pour concevoir ? Personne (sauf quelques intégristes) ne nie la capacité d'une personne seule ou d'un couple homosexuel, quel que soit son sexe, à élever des enfants, ce qui est en question c'est l'intervention de la médecine dans ce projet. Mon opinion est que l'insémination artificielle ne devrait pas relever davantage de l'assistance médicale que l'insémination naturelle (le rapport sexuel) puisque le dépôt de sperme dans le vagin est un acte d'une simplicité élémentaire. C'est seulement en cas de déficience du sperme que l'insémination intra utérine, qui constitue un geste médical, est nécessaire. Evidemment, la recherche d'un donneur rebute beaucoup de demandeuses qui préfèrent s'en remettre aux banques de sperme mais il est clair que l'institution médicale n'est plus dans son rôle en agissant comme agence matrimoniale. C'est pourquoi les femmes sans partenaire masculin désirant un enfant pourraient plutôt recourir à l'aide conviviale à la procréation, comme le font depuis un demi siècle les lesbiennes américaines, la communauté venant assister la demandeuse si elle ne peut pas assurer seule les actions nécessaires. Dans cette configuration, l'anonymat du futur père n'est plus qu'une option, ce qui n'est pas le cas dans le circuit institutionnel. Et c'est la seconde raison de s'opposer à la proposition du Manifeste qui ratifie, sans même l'évoquer, la pratique vétérinaire des banques de sperme françaises lesquelles recourent à « l'appariement de couples reproducteurs », selon leur propre expression. Ainsi, les donneurs volontaires sont d'abord sélectionnés selon des critères qui demeurent obscurs et chacun des élus au don du sperme est apparié avec une femme demandeuse dans le but d'éviter le cumul de facteurs de risques identiques, les facteurs pris en compte demeurant également mystérieux. L'ensemble du protocole est financièrement assuré par la sécurité sociale, et assorti d'une impossibilité pour l'enfant né de ces œuvres eugéniques de connaître l'identité de son père génétique, une obligation qui nourrit les divans des psychanalystes. Faut-il élargir le champ de telles pratiques ou les réformer ? Dans ces conditions la demande du Manifeste consiste à augmenter le nombre de ces enfants orphelins de racines sans s'interroger sur les conséquences de cette situation. Les signataires, dont plusieurs sont liés aux banques de sperme, refusent les remises en cause des règles qu'ils ont instituées il y a 40 ans, ce que les débats de bioéthique ont jusqu'ici évité.
Enfin, le Manifeste demande que le DPI (diagnostic préimplantatoire) d'une caractéristique de l'ADN (en général un gène muté) soit complémenté par le caryotype (nombre et aspect des chromosomes) de la cellule analysée. On peut penser, malgré les circonvolutions langagières qui évoquent des couples à risque chromosomique spécifique, une population heureusement rare, que cet examen serait systématique pour tous les couples relevant d'un DPI pratiqué dans le but de rechercher une mutation de gène présente chez les futurs parents. Dans un souci d'encadrer les dérives du DPI, j'avais moi-même proposé dès 1999, avec mon ami regretté le généticien Bernard Sèle, que puisse être pratiqué le caryotype de l'embryon déjà soumis à la recherche d'une mutation, mais cette ouverture était conditionnée par la limitation définitive du diagnostic à une seule mutation de l 'ADN pour tous les embryons d'un même couple « à risque ». L'idée, audacieuse, était d'obtenir un engagement international des praticiens pour s'en tenir là, quelles que soient les nouveaux outils génétiques et surtout le nombre d'embryons dont on disposerait à l'avenir...Pour les signataires du Manifeste, il s'agit plutôt d'un petit pas supplémentaire vers l'élimination de toutes les déviations par rapport à l'humain « normal ». Ce qui freine actuellement le projet eugénique, c'est le nombre réduit d'embryons obtenus, trop faible pour exercer toutes les exigences, et c'est aussi les épreuves que doivent subir les femmes pour obtenir ces embryons. Mais la fabrication de quantités énormes d'embryons à partir de cellules banales apparaît possible selon des travaux récents chez la souris, une perspective qui vaut évidement pour l'espèce humaine. Ainsi la possibilité d'un «screening» intégral (analyse du génome entier) est en vue puisque la disposition de dizaines ou centaines d'embryons décuplerait l'exigence eugénique. Et ceci tout en évitant aux géniteurs inquiets de la qualité de leur progéniture (potentiellement tout le monde) le parcours du combattant de la FIV actuelle puisque les femmes ne seraient plus soumises aux contraintes gynécologiques (injections hormonales, prises de sang, échographies, prélèvements ovariens,...).Fantasmes ! rétorquent les gynécologues qui ne lisent pas les revues scientifiques...mais qui préparent la boite à outil pour que l'impossible devienne réalité en un instant, celui où on saura fabriquer des ovocytes en se passant des ovaires.
Pourtant, on peut douter de la fiabilité du caryotype embryonnaire revendiqué. Si toutes les cellules d'un embryon sont supposées posséder les mêmes gènes (ce qui justifie que l'analyse d'une seule cellule par le DPI permet de porter un diagnostic d'anomalie génique), il semble que le caryotype des mêmes cellules soit hétérogène. Une étude récente (Nature, mars 2016) montre chez la souris que les cellules au caryotype anormal sont le plus souvent éliminées au cours du développement embryonnaire, soutenant ainsi nos observations anciennes portant sur les anomalies morphologiques de l'embryon humain, lesquelles sont en évolution constante au cours des 2 ou 3 jours de culture in vitro. Si une bonne moitié des embryons humains apparaissent chromosomiquement anormaux, il ne s'ensuit pas qu'ils conduiraient à des enfants anormaux pourvu que des cellules normales soient présentes pour assurer une auto régulation, hypothèse qui relativise la pertinence du diagnostic chromosomique chez tous les embryons. Par ailleurs, l'argument avancé d'une incohérence législative actuelle « puisqu’une femme enceinte peut bénéficier d’un dépistage anténatal » (Libération, 17 mars) est à réexaminer d'un point de vue scientifique car, contrairement au jeune embryon, le fœtus semble composé de cellules génétiquement identiques, mais cet argument est aussi malhonnête comme la plupart des comparaisons ou analogies déjà critiquées. En effet, l'issue d'un DPI est incomparablement moins dramatique pour la patiente que l'issue d'un DPN (diagnostic prénatal) si ce dernier doit conduire à une interruption médicale de grossesse (IMG) au prix d'épreuves physiques et psychologiques considérables, et pour laisser un ventre vide d'espoir pour une longue durée. Au contraire, le DPI, qui est bien autre chose qu'un DPN précoce, autorise presque toujours le transfert immédiat dans l'utérus d'un embryon indemne de la pathologie recherchée, il ne recule pas le moment de la procréation et n'engage aucune épreuve supplémentaire à la FIV pour les patientes. Pourquoi alors faudrait-il s'en priver ? Or, si la législation actuelle impose justement que des comités pluridisciplinaires locaux avisent sur les demandes de DPI, ce sont les mêmes comités que ceux qui évaluent les demandes d'IMG, comme si ces situations étaient comparables.En réalité, les épreuves liées à l'IMG sont telles que la femme enceinte devrait détenir la décision d'avorter d'un enfant handicapé tandis que l'absence d'épreuves liées au DPI mériterait la contre partie éthique d'un jugement fort venu de la société.
La recherche impossible de « bébés parfaits » se développe par l'escalade des critères de sélection, en France mais surtout dans des pays voisins. Ce qui pourrait conduire à une position dite « responsable » faisant qu'aucun enfant ne soit conçu hors des laboratoires, mais que tous résultent d'une procréation savante et indolore grâce à la FIV-DPI pour tous les futurs parents , dès que les progrès scientifiques conduiront à fabriquer hors du corps des gamètes en grand nombre (voir Faire des enfants demain, Seuil, 2014). Quasiment tous les médecins d'AMP, et les généticiens, prétendaient en 1986 que l'analyse génétique des embryons de FIV était définitivement impossible, surtout parce que le nombre de cellules disponibles est trop faible. Ainsi, mes craintes anciennes d'un nouvel eugénisme (L'oeuf transparent, Flammarion, 1986) étaient « absurdes »avaient écrit dans Le Monde le plus célèbre généticien mais aussi le plus célèbre gynécologue du moment. La technique de DPI fut bientôt disponible et les praticiens de la fivète revendiquent depuis 15 ans l'élargissement progressif des analyses qu'il permet. C'est qu'ils ne redoutent aucunement la sélection humaine dès lors qu'elle est supposée empêcher des handicaps et qu'elle est pratiquée à la demande des parents, une pratique que j'ai nommée eugénisme mou, savant et démocratique. Bien sûr, nous sommes loin des meurtres de nouveaux-nés (depuis plus de 2000 ans) ou des stérilisations imposées au début du 20°siècle dans tous les pays industrialisés, ou des éliminations de populations par les nazis (d'abord les Sourds et handicapés mentaux, puis les Juifs et les Gitans). Mais, si la violence eugénique se fait discrète, ses effets pourraient être considérables, au point de modifier l'espèce, car on peut parier que « l'acquis du DPI » ne sera pas plus réversible que celui des autres technologies secrétant des demandes et des désirs, et que la seule évolution crédible de la sélection ultra précoce de l'humanité est son extension sans fin. Reste à savoir ce qu'est un handicap (relire Canguilhem: « l'anormal est celui que les autres considèrent comme tel ») et ce que la demande parentale doit aux pressions normalisatrices de la société productiviste (relire Illich, Ellul, Gorz...). Nous n'avons pas encore une idée précise de ce que serait une société d'intolérance édifiée par le libéralisme eugénique, où les êtres différents seraient bien plus ostracisés qu'aujourd'hui puisque l'évitement de leur naissance était supposé possible. Alors, comment ne pas se méfier des discours compassionnels inspirés par des motivations variées et faisant fi de l'épanouissement durable des humains, surtout des enfants, grands absents de ce Manifeste pourtant consacré à leur fabrication ?
Il faut bien évoquer en conclusionles charges financières qui incomberaient à la société pour répondre aux exigences avancées ici. En passant d'une logique de soins à une logique d'intervention« sociétale », on impose en effet à la Sécurité Sociale de rembourser de nouveaux frais (congélation/conservation d'ovules, AMP pour de nouvelles catégories de patientes, multiplication des contrôles sur les embryons). Nous avons été surpris que le Manifeste soit présenté par les journalistes qui l'ont fait connaître comme une « initiative éthique et médicale inédite, un geste civique et politique majeur »...(Le Monde, 18 mars 2016). On peut avoir une autre conception de l'éthique et du politique et voir surtout dans ce Manifeste le poids de frustrations certes compréhensibles, amenant des professionnels à revendiquer surtout le droit de faire en France ce qui se réalise ailleurs. D'où cette litanie pour un alignement sur l'offre étrangère la plus libérale, sans affronter les limites que devrait toujours poser la bioéthique. Le Manifeste des 130 avance deux principes que son texte récuse aussitôt...La non commercialisation du corps humain comme l'interdiction d'aliéner une autre personne sont ainsi mises à mal par l'incitation à délivrer des ovocytes pour le marché procréatif comme par la fabrication d'enfants au profil calibré et privés de racines génétiques
Le « plan contre l'infertilité » proposé est le marronnier dans le jardin de la technologie triomphante. Bien sûr, la prévention, la lutte contre les addictions et les pollutions seraient des mesures bienvenues mais qu'attendent ces médecins pour exiger l'interdiction des pesticides, des perturbateurs endocriniens dont les effets dramatiques ne font que commencer ?
Encore une fois, je suis amené à tenir le rôle du vilain petit canard. Quasiment seul à côté d'une troupe d'intégristes catholiques, je critique depuis longtemps (voir mon site : jacques.testart.free.fr) les exigences des bons docteurs qui prennent les femmes et les homos en otages pour accroître leurs pouvoirs. Deux choses me peinent en cette affaire : la confusion fréquente entre mes positions et celles de certains réactionnaires d'une part, et l'hébétude de ceux dont je suis le plus proche dans la vraie vie d'autre part. Gauchiste athée depuis le début, je suis attristé de la perte de repères humanistes qui fait prendre aux gens de gauche, ou aux écolos, les vessies de l'aliénation à la biomédecine pour les lanternes résistantes des Lumières.